«Nous étions tout près d’en arriver à une entente avec les pharmaciens» – Réjean Hébert

«Nous étions tout près d’en arriver à une entente avec les pharmaciens, après de longues négociations avec l’AQPP. Les élections d’avril ont tout suspendu. Je n’ai vu aucune indication, ni dans le budget Leitão ni dans les propos du ministre Barrette, montrant que le PLQ veuille aller dans la même voie que nous avec les pharmaciens», indique à ProfessionSanté le Dr Réjean Hébert. Nous l’avons rencontré le 17 juin lors d’un 5 à 7 organisé à Montréal par le Groupe Espace Santé.Et ce silence, poursuit l’ex-ministre de la Santé et des Services sociaux, je le déplore. «Je le déplore, parce que les pharmaciens peuvent contribuer activement à la première ligne et améliorer l’accès aux soins.»On était vraiment à la veille de trouver un terrain d’entente avec eux, dira-t-il à deux reprises, «et notre gouvernement avait réussi à négocier la rémunération de 4 des 7 actes prévus à la Loi 41».Le Dr Hébert, gériatre, chercheur, clinicien, professeur et homme politique, a effectué un survol des grands dossiers qu’il a pilotés durant les «18 mois trop courts» qu’il a passés à la tête du MSSS. Il s’adressait à un auditoire composé, pour l’essentiel, de professionnels de la santé et d’universitaires. Son post-mortem répondait au thème de la rencontre: «La santé et les services sociaux vus de l’intérieur!»Réseau inadaptéD’abord, dit-il, ce constat d’un réseau inadapté, créé au siècle dernier pour une population jeune ayant, pour l’essentiel, des problèmes aigus. Le Dr Hébert refuse le terme «tsunami» pour qualifier le vieillissement de la population. «Un tsunami, c’est par essence imprévisible. Or, les conséquences du vieillissement, on peut les anticiper». Aussi préfère-t-il recourir à l’image de l’iceberg vers lequel fonce le gros paquebot du réseau de la santé, mais dont il est encore temps, selon lui, d’infléchir la course.PréventionL’ex-ministre Hébert avait préparé une Politique nationale de prévention. Tout y était, précise-t-il, les classiques (saines habitudes de vie, exercice, lutte au tabagisme), comme les déterminants sociaux de la santé (égalité des chances dès le CPE, ouverture à l’environnement, etc.). «Ce qui accroissait les chances de réussite de la Politique, c’est qu’on avait rallié dès le départ d’autres ministères. Une dizaine de chantiers concernaient huit ministères, dont l’éducation. C’est lourd, je sais, mais la santé, ça couvre bien plus large que le MSSS».À trois reprises, il a fait état au Conseil des ministres de l’avancement de son projet de Politique nationale de prévention. «On allait la faire, cette Politique, on était prêt!» D’où sa déception de constater que le budget Leitão n’en glisse pas un mot.SuiviLe suivi en première ligne constituait une autre de ses priorités de ministre. Il y a eu bien des ratés en GMF, reconnaît-il, car le cadre de gestion était trop lâche: 40% des GMF n’atteignaient pas leur cible d’inscription et n’ouvraient pas aux heures prévues au contrat. «À mon départ, 85% des GMF respectaient les heures d’ouverture. J’étais confiant d’en arriver à un cadre de gestion resserré pour 2014, un cadre sur le point d’être adopté par la FMOQ. Mais là, c’est le retour à la case départ.»Nous devions investir davantage dans les GMF, insiste l’ex-ministre, car le médecin n’est pas seul pour le suivi des maladies chroniques. L’inhalothérapeute peut aider pour les MPOC, la nutritionniste pour le suivi diabétique et le kinésiologue, pour la remise en forme. «Nous avons ainsi distribué 180 de ces professionnels de la santé dans une soixantaine de GMF. Tout cela contribue à éviter les hospitalisations ou les consultations à l’urgence.»MédicamentsLe Dr Hébert a aussi donné sa vision de l’assainissement des finances publiques. «Les médecins et les médicaments, c’est là où il faut économiser». Ainsi, dit-il, l’abolition de la règle des 15 ans pour la durée des brevets et les restrictions appliquées au remboursement des inhibiteurs de la pompe à protons ont épargné près de 150 millions au Trésor public.InformatisationLà où il faut aussi faire le ménage, poursuit-il, c’est dans l’informatique. «Dans le Dossier Santé Québec, nous avions rapatrié l’expertise au MSSS.» Le DSQ, dit-il, est un vaste entrepôt de données en radiologie/labos/pharmacie où se connectent les établissements, GMF, cliniques médicales. «Or, pour l’informatique de la santé, nous avons fait la même erreur que pour les routes : celle de confier l’expertise au secteur privé. Il faut la rapatrier à l’interne.»Comme exemple d’«expropriation à l’externe», il a cité «le cauchemar, la catastrophe de Panorama, un programme censé gérer les inventaires de vaccins et rassembler les informations sur les vaccins reçus par les patients.»Assurance autonomieLe vrai «bébé» du Dr Réjean Hébert, et ce dont il est le plus fier, concerne toutefois son projet d’assurance autonomie pour les soins à long terme, déposé en décembre 2013. «Nous constations l’épuisement des proches aidantes et les très fortes disparités, d’un CSSS à l’autre, dans l’offre de services à domicile. Surtout, nous voulions redonner à la personne la liberté de choisir là où elle veut vieillir.»C’est qu’il faut gérer dès à présent les effets du vieillissement, martèle-t-il. Le Japon, la France, entre autres, ont adopté une telle politique d’assurance autonomie. «Le Japon est là où nous serons dans 15 ans; là-bas, 26% de la population a plus de 65 ans.»L’assurance autonomie passe par une somme forfaitaire que reçoit la personne en perte d’autonomie pour financer un plan de services qui réponde vraiment à ses besoins. Elle peut décider, à partir de cette allocation de soutien à l’autonomie, d’acheter elle-même les services professionnels qu’elle juge utiles (aide aux activités de la vie quotidienne, aide domestique, équipements spécialisés, etc.).Dans l’état actuel des choses, résume le Dr Hébert, «un couple de 50 ans de mariage doit déménager ou se séparer s’il n’a pas eu la malchance d’avoir en même temps une perte d’autonomie. Déménage, t’auras de meilleurs services!» En effet, précise-t-il, les services d’aide à domicile peuvent varier de 15 h à 45 h, selon le CSSS dont vous dépendez!Le gouvernement Marois avait publié un Livre blanc sur l’assurance autonomie et tenu une commission parlementaire. «Si c’était à refaire, j’éviterais cette voie. Pour un gouvernement minoritaire, ce type de commission donne un temps de parole très important à l’Opposition et nous, au gouvernement, n’avions pas le loisir de répliquer.» L’Opposition estimait, entre autres, que le Québec n’avait pas les moyens de s’offrir une telle Politique.La tyrannie des établissementsAu moins, poursuit le Dr Hébert, 61 groupes ont pu s’exprimer sur la question qui reviendra tôt ou tard sur le tapis, selon lui. «L’assurance autonomie est incontournable, car elle donne le droit à la personne de choisir ses services. Pour l’instant, elle doit quêter et prendre ce qu’on lui donne.» Et puis, dit-il, le projet aurait revivifié l’économie sociale en aide à domicile et le milieu communautaire, «mettant un terme aux salaires de crèves-faim qui prévalent dans ces milieux».Le Dr Hébert a aussi ajouté que l’assurance autonomie aurait libéré les soins à domicile du carcan, «non, de la tyrannie» des établissements. «Pour l’heure, c’est le CSSS qui décide ce qui est bon pour vous. Mais il faut redonner le pouvoir à la personne. Et une équipe multidisciplinaire, ça déborde d’un établissement, ça implique aussi le communautaire, les entreprises d’économie sociale en aide à domicile.»L’ex-ministre Hébert reconnaît par ailleurs que le projet de loi 52, sur les soins de fin de vie, de sa collègue Véronique Hivon, a éclipsé le projet 67 sur l’assurance autonomie. «Et voilà que le Parti libéral met le projet d’assurance autonomie à la poubelle. On l’abandonne et c’est triste. Oui, j’ai de l’amertume, parce que le Québec ne va pas là où il devrait aller.»Trop politisé, le réseau?Un auditeur a demandé au Dr Hébert s’il était possible de dépolitiser la santé. «Comment imaginer que la santé, qui représente plus de 45% du budget du Québec, ne soit plus sous le contrôle des élus!» Quant à la vieille idée de créer un Hydro-Québec de la santé, il s’y oppose, «parce que la santé, c’est aussi une entreprise de 32 milliards qui échapperait au contrôle de l’État. La solution serait pire que le problème.»Une personne de la salle a demandé pourquoi le Québec avait négligé de promouvoir les CLSC. «Est-ce le lobby des médecins, n’était-ce pas assez payant pour eux?» a demandé un auditeur. «C’était une bonne idée, les CLSC, mais les médecins n’y ont jamais adhéré», s’est-il borné à répondre.Le Dr Hébert dit avoir visité 75 établissements de santé en 18 mois. «Et ce que je déplore, comme ministre de la Santé, c’est de ne pas avoir disposé d’un tableau de bord. Comme doyen de la faculté de médecine et sciences de la santé, j’en avais un. Je connaissais instantanément différents indicateurs : nombre d’étudiants, taux de diplomation, etc. Ça manque énormément au réseau de la santé ne pas avoir en temps réel une vue d’ensemble de la situation.»

«Nous étions tout près d’en arriver à une entente avec les pharmaciens» – Réjean Hébert

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