Les manquements d’un ORL laissent sa patiente dans un état neuro-végétatif

Jeune médecin, inscrit au tableau de l’Ordre en oto-rhino-laryngologie (ORL) et chirurgie faciale depuis un peu plus d’un an, le Dr Varan Labajian exerce à l’Hôpital de la Cité-de-la-Santé, à Laval, lorsqu’il est appelé, le 18 mai 2019, pour une consultation à l’urgence. La patiente qu’il doit évaluer présente une dyspnée, un stridor audible, de la tachycardie et un goitre. Cette femme âgée de 46 ans, qui n’a pas de symptôme infectieux, a été référée par son médecin de famille parce que sa dyspnée est en évolution depuis trois jours et qu’elle est associée à une toux, à des expectorations ainsi qu’à une respiration striduleuse.À son arrivée à l’urgence, la saturation de la patiente est mesurée à 97% et sa fréquence respiratoire est jugée normale. La présence du stridor est notée à trois reprises avant que l’urgentologue et le Dr Labajian conviennent de demander son admission aux soins intensifs afin de surveiller sa condition respiratoire et de mieux l’évaluer. Après une nuit de sommeil qualifiée de «rassurante» par l’ORL, car sans dyspnée ni bruit respiratoire et avec une bonne saturation, le Dr Labajian se rend au chevet de la patiente vers 11h30 afin de l’évaluer à nouveau. Le CT scan de son cou montre une compression trachéale au niveau de la jonction cervico-thoracique évaluée à 3 mm dans le diamètre transverse. En revanche, son stridor n’est plus audible, même lorsque la femme est couchée à plat. Le médecin lui explique alors qu’il doit l’opérer pour retirer son goitre. Il lui prescrit une échographie et convient de la revoir dans un mois pour réévaluer sa condition et planifier la chirurgie.Deux jours plus tard, le Dr Labajian apprend que sa patiente a subi un arrêt cardiorespiratoire, une complication qu’il dit n’avoir jamais vue avec un goitre. «Les conséquences du retard dans le traitement sont dramatiques puisque l’arrêt respiratoire, provoquant l’encéphalopathie anoxique sévère, laisse la patiente dans un état neuro-végétatif», peut-on lire dans la décision rendue à l’encontre du spécialiste par le Conseil de discipline du Collège des médecins du Québec (CMQ).Pris d’un grand sentiment de culpabilité, le Dr Labajian se rend aussitôt au chevet de sa patiente pour répondre aux questions de la famille. Cette dernière accepte qu’il effectue une trachéostomie afin d’améliorer le confort de la femme et qu’il demeure son ORL traitant. Fonction qu’il occupera jusqu’au 26 octobre 2022, date à laquelle ses enfants déposent une demande d’enquête devant le syndic du CMQ.Un rapport d’expertise accablantAprès avoir reçu la version des faits du Dr Labajian — telle que présentée ci-dessus — le syndic en charge de l’enquête mandate la Dre Danielle Beaudoin à titre d’experte. Le rapport de la professeure de clinique titulaire au département d’oto-rhino-laryngologie et d’ophtalmologie de la Faculté de médecine de l’Université Laval est catégorique:«Je ne crois pas que la prise en charge médicale de madame […] a été adéquate. Je ne suis pas d’accord avec les affirmations du docteur Labajian dans sa lettre d’explication des faits, (voulant) que les risques d’obstruction sont moins élevés lorsque le goitre n’est pas plongeant et que l’évaluation des symptômes durait depuis quelques mois, ce qui était rassurant et qu’en l’absence de stridor, un suivi échographie dans un mois était acceptable.L’examen du dossier de cette dame démontre à plusieurs reprises (qu’elle) présentait un stridor qui était fluctuant. De plus, tel que mentionné préalablement, une échographie de contrôle était inutile et d’évaluer s’il y avait (une) évolution au niveau de ses symptômes était également inutile. Il y avait déjà une indication chirurgicale claire et formelle d’agir dans les plus brefs délais. Je crois également qu’il est inacceptable de dire qu’on peut congédier une patiente à domicile en raison de ressources limitées. Pour conclure, je crois que cette dame ne devait pas quitter l’hôpital vers un retour à domicile et qu’une prise en charge chirurgicale dans un délai de quelques jours était nécessaire avec surveillance aux soins intensifs, en attendant la chirurgie et consultation auprès de collègues en anesthésie pour évaluation d’intubation difficile, en raison de compression trachéale symptomatique.»Amende honorableAprès avoir pris connaissance du rapport de la Dre Beaudoin, le Dr Labajian a reconnu en entrevue avec le syndic adjoint qu’il a commis une erreur de jugement dans son appréciation de la sévérité de la condition de la patiente. Il mentionne avoir sous-estimé le degré de compression de son goitre et donc l’urgence de l’opérer. Le médecin ajoute qu’il ne se passe pas une journée sans qu’il ne pense à cette patiente et à sa famille. Il dit regretter profondément sa décision en signalant que cet événement a modifié pour toujours sa conduite face à des situations similaires. Depuis, il a eu deux autres cas de goitre compressif pour lesquels il est intervenu rapidement, en procédant à une chirurgie urgente ou en transférant le patient dans un centre tertiaire. Lire aussi: Un médecin expert coupable de conflit d’intérêtsPoursuivi pour non-respect de l’article 47 du Code de déontologie des médecins, qui stipule que le clinicien «doit s’abstenir de faire des omissions, des manœuvres ou des actes intempestifs ou contraires aux données actuelles de la science médicale», le Dr Labajian a plaidé coupable et il a présenté une recommandation conjointe avec le syndic adjoint sur les sanctions à lui imposer. Recommandation qui a été entérinée par le Conseil de discipline du CMQ.Celle-ci précise que «l’infraction commise par le Dr Labajian de ne pas exercer sa profession avec la qualité requise est d’une gravité objective intrinsèquement grave» et qu’elle mérite une sanction sévère. «Quel que soit le milieu ou le contexte dans lequel le médecin exerce, il doit élaborer ses diagnostics avec la plus grande attention, ses plans de traitement doivent être adéquats, le suivi médical requis par l’état de santé des patients doit être effectué et les patients doivent être informés des résultats des démarches médicales.»Soulignant que l’infraction de l’ORL est un acte isolé, ne touchant qu’une seule patiente dans un contexte d’urgence, le Conseil de discipline a également considéré que «le Dr Labajian était un médecin avec peu d’expérience» au moment des faits et qu’il n’avait jusque là aucun antécédent disciplinaire. Jugeant son risque de récidive «globalement faible», ses pairs lui imposent finalement une radiation de trois mois; une sanction qui «s’inscrit dans le spectre des sanctions imposées dans le passé en semblable matière».

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