Les femmes sous-traitées pour les sténoses aortiques: «Ça me met hors de moi!»

Au Québec, les femmes atteintes d’une sténose aortique (SA) seraient victimes d’une forme de sexisme dans les traitements. À conditions égales, elles sont sous-traitées et moins souvent opérées pour un remplacement de la valve que les hommes. Leurs qualité et espérance de vie s’en trouvent ainsi diminuées, et leur taux de mortalité plus élevé. «C’est une situation qui me met hors de moi», a répété à plusieurs reprises en entrevue Marie-Annick Clavel, PhD, chercheuse à l’Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec (IUCPQ) et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la santé valvulaire cardiaque des femmes. Mme Clavel a dirigé une étude sur la SA chez les femmes québécoises (de 2006-2007 à 2018-2019), dont les résultats ont été publiés dans la publication spécialisée Heart. Les femmes moins orientées vers une intervention L’étude de Marie-Annick Clavel a confirmé ce que de précédentes études lui avaient laissé entrevoir: il y a réellement une inégalité des soins pour le traitement de la SA chez la femme, par rapport à l’homme. En effet, les données de l’étude ont confirmé que le taux de patients qui présentent une SA incidente et qui ont subi une intervention a augmenté chez les hommes, tandis que les femmes souffrant de SA, isolée ou non, sont moins orientées vers une intervention et le remplacement de la valve. Néanmoins, cette situation ne serait pas unique au Québec. Elle serait similaire au Canada anglais, aux États-Unis et en Europe. Les chercheurs ont constaté que durant la période considérée dans l’étude, d’environ 12 ans, la prévalence de gens qui vivent avec une SA a augmenté dans les deux sexes. Cependant, le taux de patients masculins ayant bénéficié d’une intervention est passé de 11,7% à 14,5%, mais il a stagné à environ 10% chez les femmes. Ainsi, les femmes qui ont été sous-traitées pour la SA ont été victimes de surmortalité, explique la Dre Clavel, vraisemblablement parce qu’elles sont prises plus tardivement en charge au niveau chirurgical ou interventionnel, ou ne le sont pas du tout. Grosso modo, elle établit la surmortalité entre 1 à 2% chez la femme. À l’inverse, celles chez qui on a procédé à un remplacement de la valve bénéficient de la même qualité de vie et de la même espérance de vie que les hommes ayant subi cette intervention. La sévérité de la maladie sous-estimée «Chez les hommes, on va penser que la maladie est plutôt sévère et que chez les femmes, ça ne l’est pas, déplore la Dre Clavel. C’est un biais. Il faut se battre contre cela. Même dans certains milieux en médecine, on pense toujours que les femmes font très peu de maladies cardiaques car elles seraient protégées par les oestrogènes.» Ce n’est pas totalement faux, mais ce n’est pas si vrai non plus, nuance-t-elle: «les symptômes ne sont pas forcément les mêmes chez les femmes. Ils sont moins bien reconnus ou ils sont attribués à d’autres causes, tels que le stress ou les désordres gastriques. On le savait pour les maladies coronariennes, mais pour les maladies valvulaires, c’est plus récent». «Chez certaines femmes qui souffrent de SA, dit la chercheuse, on a l’impression que tout va bien, mais ce n’est pas forcément le cas. La sévérité de la maladie est sous-estimée. Les médecins ne les envoient pas subir une intervention aussi facilement que les hommes. Le seul traitement dont on dispose pour traiter la SA est le remplacement de la vague aortique, soit par voie chirurgicale (SAVR), soit par cathéter (TAVI). Si on ne remplace pas la valve, les conséquences peuvent être très graves pour le patient, en termes de perte de qualité de vie ou d’espérance de vie, et se traduisent par une augmentation de la mortalité.» Les vérifications à faire À partir du moment où un individu présente une SA sévère et qu’il est symptomatique, il ne devrait pas y avoir de délai de traitement, insiste la Dre Clavel. La difficulté est de confirmer sa sévérité chez la femme. Il s'agit de reconnaître les symptômes et de les associer à la maladie. «Quand l’échographie ne suffit pas à évaluer la SA, on peut aller plus loin avec des examens complémentaires, précise-t-elle. Nous avons publié des seuils en tomodensitométrie pour évaluer la sévérité de la SA autant chez l’homme que la femme. Peut-être qu’en 2007 et 2008, on ne les avait pas, mais depuis 2014, on a les moyens de faire cette évaluation.» Une situation qui ne s’améliore pas partout Alors, pourquoi ne le fait-on pas si les connaissances le permettent désormais? La Dre Clavel est consciente que la situation s’améliore, mais pas partout. La démarche clinique figure dans les guides de pratique depuis peu aux États-Unis, et depuis 2017 en Europe. À l’Institut de cardiologie et de pneumologie de Québec (IUCPQ), les cardiologues y sont plus conscientisés, même si certains ont été étonnés par les résultats de l'étude qui a confirmé un écart de 4% entre le nombre d’interventions chez les hommes et les femmes. Examens pour diagnostic À partir du moment où l’échocardiographie de dépistage de la SA n’est pas concluante, précise la Dre Clavel, il faudrait systématiquement envoyer tous les patients, hommes et femmes, en tomographie axiale et mesurer la quantité de calcium dans la valve aortique pour laquelle on dispose de seuils spécifiques en fonction du genre. Cela permettrait de constater la sévérité réelle de la maladie et si la valve est sévèrement sténosée ou pas. À partir du moment où la sténose est sévère, il faut déterminer le statut symptomatique du patient et mesurer les biomarqueurs de souffrance cardiaque dans le but de parvenir à un diagnostic fiable. La Dr Clavel est en campagne pour que le corps médical et la population prennent connaissance des résultats de son étude sur la SA. «Il faut augmenter le savoir des médecins et des patientes, prône-t-elle. Je souhaite que l’on soit plus conscients que lorsqu’une échocardiographie n’est pas concluante sur la présence d’une SA, on doit penser à une tomographie avant de conclure que ce n’est pas sévère.»

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