L’encéphalomyélite myalgique, vous connaissez?

Ce n’est qu’une simple fatigue nécessitant du repos, lui ont martelé plusieurs professionnels de la santé au fil des ans. Un jour, elle en a eu assez de ne pas se sentir entendue et s’est mise à faire ses propres recherches sur l’internet. Après de nombreuses heures de lectures, elle est finalement tombée sur Unrest, un documentaire saisissant, qui aborde de manière poignante la réalité des patients souffrant d'encéphalomyélite myalgique (EM). Aussitôt, Ophélie s’est reconnue à travers les expériences personnelles de Jennifer Brea, la réalisatrice du film atteinte de cette maladie.Après trois ans d’errance médicale, il y avait enfin une lueur d’espoir; une explication potentielle à ses symptômes pseudogrippaux à répétition, à ses multiples infections et à sa fatigue incapacitante. Un rendez-vous avec son médecin et une investigation plus tard, le diagnostic a été confirmé.L’EM aurait été causée par une mononucléose contractée par le passé , un lien ne pouvant être établi que rétrospectivement.C’est donc l’encéphalomyélite myalgie (EM), anciennement appelé syndrome de fatigue chronique, qui se cache derrière cette jeune Montréalaise lumineuse de 24 ans qui aspirait à une carrière ambitieuse en droit. Diagnostic difficile à établir Cette condition neurologique est souvent mal diagnostiquée voire pas diagnostiquée; la maladie est encore peu connue et son dépistage est complexe. L’EM se déclenche dans 80% des cas à la suite d’une infection virale, telle que la mononucléose ou la COVID-19. Le symptôme le plus caractéristique est une fatigue invalidante et persistant plus de six mois, qui n’est pas soulagée par le repos. Il faut donc évaluer et exclure d’autres causes de fatigue chronique pour poser le diagnostic. D’autres symptômes s’ajoutent à l’épuisement: trouble du sommeil, troubles neurologiques et cognitifs, malaises post-effort, douleurs musculaires et crâniennes, troubles de thermorégulation, pour n’en nommer que quelques-uns. Chaque patient a une présentation clinique différente, ce qui explique la complexité diagnostique.Et la génétique dans tout ça? «Il n’y a pas vraiment d’apport génétique, à ce stade-ci des recherches. Il y a juste mon intensité qui est génétique», ironise Ophélie. L’intensité, elle connaît ça. Quand ses premiers symptômes sont apparus, Ophélie était étudiante à temps plein en droit, co-fondatrice et co-directrice d’un organisme juridique à but non lucratif (le S.A.L.V.A.S.), athlète de tennis et travaillait comme photographe professionnelle. Un mode de vie, toujours en quête d’excellence, très valorisé autant dans sa famille que dans le domaine du droit, mais aussi dans notre société moderne.Fardeau de performanceRécipiendaire de bourses d’engagement social et d’un prix Force Avenir, Ophélie a grandement bénéficié de cette intensité durant la course aux stages en droit, grâce à un curriculum bien rempli. Et elle en ressentait une très grande fierté, la valorisation externe étant l’essence même de ce mode de vie qu’elle qualifiera plus tard d’«insoutenable».Percevez-vous le paradoxe entre sa maladie et son mode de vie? Malgré sa fatigue chronique, comment parvenait-elle à mener à bien autant de projets?Les psychostimulants. Lisdexamfétamine 60 mg DIE, pendant des années.Désemparée devant ses infections constantes, un intense brouillard mental, parfois même une difficulté à lire ou parler pendant ses études au Barreau, Ophélie avait dû trouver une solution pour rester fonctionnelle. «Les doses augmentèrent au gré de la fatigue, un épuisement que je croyais normal. Mais, avec le recul, je réalise que j’avais fait l’association que j’avais besoin de psychostimulants pour cultiver mon sentiment d’accomplissement. Et j’ai dérapé. Je ne m’en allais pas dans la bonne direction.» À l’âge de 13 ans, Ophélie avait été diagnostiquée avec un trouble d’exécution moteur et reçu une prescription de lisdexamfétamine. Toutefois, les doses croissantes ont plutôt été utilisées pour mieux répondre à la pression de performance.Parce qu’elle s’est fait dire trop souvent que sa fatigue était dans sa tête et que ses rendez-vous médicaux étaient un gaspillage des fonds publics. Parce que l’EM est encore trop peu connue des professionnels de la santé.Le fait de masquer ses symptômes de fatigue par cette médication a mené à un crash inévitable et violent à l’été 2023: elle a subi à moins d’une semaine d’intervalle deux accidents d’auto qualifiés de pertes totales.Ses réalisations – aussi exceptionnelles soient-elles – représentaient un fardeau qui se faisait ressentir au quotidien. Le succès pèse. L’excellence épuise. Et les psychostimulants refoulent cette fatigue qui ne doit pas freiner notre élan vers des réalisations auxquelles se rattache notre identité.Jusqu’où irons-nous pour atteindre ces sommets inaccessibles? Où est la limite de la médicalisation? Quand cesserons-nous de valoriser l’ignorance de notre fatigue? Forcée de tout arrêter pendant plusieurs mois, Ophélie apprécie aujourd’hui cette pause forcée, malgré un mode de vie extrêmement confrontant en raison de ses nouvelles limitations: «Quand j’ai commencé à me reposer et à respecter mon nouveau rythme, je me suis retrouvée, j’ai revu le beau dans mon quotidien, ce que je ne percevais plus auparavant. Je ne fais plus d’anxiété causée par la maladie. Je ne prends plus mes psychostimulants, même si j’en ai pour des urgences. La tentation est forte lors des périodes d'invalidité, mais cela brouille les signaux de fatigue, que je dois respecter, et surcharge mon système nerveux, que je travaille fort à réguler. J’ai apprivoisé ma condition et j’écoute ces signaux comme un ami bienveillant.» Adieu, l’école du Barreau et les innombrables prouesses. Bonjour, le repos et l’indulgence.À la recherche de solutionsIl n’existe pas encore de médicaments pour traiter l’EM. Avec la covid longue, l’intérêt scientifique a un peu augmenté pour stimuler les recherches dans l’espoir de trouver de nouveaux remèdes pour les 600 000 patients au Canada.Les patients doivent se motiver à chercher des solutions pour soulager leurs symptômes. Ophélie a développé ses propres ressources pour mieux gérer sa maladie. Elle a consulté une nutritionniste et opté pour une diète anti-inflammatoire. Avec son ergothérapeute, elle travaille à un plan de réadaptation physique. Les bonnes journées, elle peut marcher 45 minutes tout au plus. Elle augmente progressivement la durée d’une minute par sortie. Elle utilise également une bague intelligente pour pratiquer le «pacing», l’invitant à méditer très régulièrement. Elle a aussi joint un groupe Facebook de patients souffrant d’EM; échanger avec ce collectif sur la thérapie lui apporte un grand soutien émotionnel. Elle réfléchit également à l’idée de faire du neurofeedback.J’en retiens que les stigmas des professionnels de la santé sur la fatigue peuvent contribuer à passer sous le radar une maladie très complexe et invalidante. Et je réalise que même les gens «intenses», que nous croyons peut-être invincibles, ne sont pas à l’abri. Il y a encore beaucoup de choses à apprendre sur l’EM et je continuerai à m’y intéresser.Sur ce, je vous souhaite un bon repos.

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Derrière ce blogue:

Clara Scattolin

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