Le Saint-Graal des soins aux patients

Dans la légende de la quête du Graal, peu après avoir quitté la cour du roi Arthur, le jeune chevalier à la recherche du Saint Calice se retrouve à chevaucher à travers un terrain vague en direction d’un château.Selon les récits, Perceval, Galaad ou Gauvain sont entourés de champs desséchés. Rien n’y pousse, et même les oiseaux se taisent. Alors qu’il s’approche du château, le chevalier aperçoit un homme qui pêche dans un ruisseau. Le vieil homme le salue chaleureusement et lui propose de l’héberger pour la nuit. Le vieillard lui explique qu’il est le Roi pêcheur, le seigneur du château et le roi de ce pays. Le chevalier, que nous appellerons Perceval, accepte. Le roi se lève et Perceval remarque qu’il est blessé à l’aine et que la blessure dégage une odeur horrible et nauséabonde. Le chevalier ne dit rien, ne voulant pas être impoli.Ce soir-là, un banquet est organisé. Tous les convives semblent excités et heureux. Tous leurs regards sont tournés vers Perceval. Il est gêné d’être le centre d’attention. Au son des trompettes, une belle femme entre dans la salle, portant un plateau. Sur celui-ci se trouve une lance dégoulinant d’un sang frais et une soucoupe débordant de vin, de fruits et de toutes sortes de mets délicieux. Tous les regards se tournent vers lui, mais encore une fois, ne voulant pas être impoli, le chevalier ne dit rien. Tout le monde est poli, mais triste, tandis que chacun mange et boit. Perceval va se coucher et se réveille au loin, dans une forêt déserte. Il lui faut dix ans pour revenir au château. Je supervise mon élève grâce à un système de caméra vidéo. La patiente enceinte est recroquevillée sur elle-même. Même à travers la caméra, je peux entendre les larmes dans sa voix. Sa misère est palpable. Mon étudiante parcourt la longue liste de questions qui composent la première visite prénatale. Elle utilise notre interprète en ligne. La patiente ne parle ni anglais ni français. Son ventre semble bien trop gros pour une première visite prénatale. Elle répond aux questions d’un ton mécanique et plat. Je regarde le dossier et constate qu’il s’agit d’une demandeuse d’asile qui vient d’arriver au Canada, enceinte de 25 semaines. Mon étudiante vient examiner le dossier. Elle examine méticuleusement, mais un peu mécaniquement, les antécédents de la patiente. Je l’interroge: «Avez-vous remarqué quelque chose d’inhabituel chez elle?» L’étudiante me regarde d’un air perplexe. «Et son affect?» «Eh bien», dit l’élève, hésitante, «elle semble très anxieuse et triste».«Oui!» dis-je. «Lui avez-vous demandé pourquoi?»«Dois-je le faire?» demande encore mon élève. «Cela me semble un peu indiscret.»Je retiens mon roulement d’yeux. Je me rappelle que la «génération pandémique», comme j’appelle cette génération d’étudiants, est arrivée à l’âge adulte avec beaucoup plus d’apprentissages en ligne et beaucoup moins d’observation clinique.«Oui, ce serait impoli si vous vous rencontriez lors d’une fête», lui réponds-je. «Mais dans ce contexte clinique, c’est un élément essentiel du processus. Vous devez reconnaître et nommer les grandes émotions présentes dans la pièce. Les grandes émotions sont comme des démons, si vous les nommez, vous aurez du pouvoir sur elles.» L’étudiante a l’air sceptique. Peut-être que je suis trop «olé olé» pour eux.Je la relance: «D’accord. D’où vient-elle?»Elle me le dit. «Pourquoi a-t-elle choisi de venir ici au milieu de sa grossesse?»«Je ne sais pas», me répond-elle.«Où est son mari?»«Je ne sais pas.»«Eh bien, allons le découvrir.»Nous entrons dans la salle; un nouvel interprète s’affiche à l’écran. Durant toutes mes années de pratique, j’ai rarement vu une personne qui avait l’air aussi effrayée et malheureuse. Quelques minutes plus tard, beaucoup de choses sont révélées. Nous apprenons qu’elle a quitté son pays natal parce que la famille de son mari désapprouvait leur mariage. Ils ont découvert qu’il avait épousé par amour une personne qu’ils désapprouvent, et qu’elle était enceinte. Ils l’ont menacée de la retrouver, de lui arracher le bébé du ventre et de l’égorger. Le jeune couple s’est enfui à travers le pays. Ils ont réussi à obtenir des visas pour le Canada, mais n’ont pu se payer qu’un seul billet. Aujourd’hui, elle est ici, effrayée et seule.Lire aussi: «Aimez vos patients comme vous aimez vos parents»Une fois que nous avons compris ce qui se passe, je suis en mesure de mettre en place des plans appropriés et de la mettre en contact avec notre assistante sociale et notre infirmière mère-enfant. À la fin de l’entretien, je m’agenouille devant elle, je lui tiens la main et je lui promets de faire de mon mieux pour prendre soin d’elle et de son enfant. Elle me serre la main, me fait un petit sourire faible et part voir l’assistante sociale.Après la consultation, je fais le point avec l’étudiante. «Je pense que j’aurais dû poser ces questions et lui demander ce qu’elle ressentait», déclare-t-elle. «Mais je n’aurais jamais été aussi émotive que vous. Je ne suis pas comme ça.»«Tu n’as pas à l’être», lui réponds-je. «Je n’ai pas besoin que tu copies mon style sentimental. Tu peux le faire d’une manière qui correspond à ta personnalité, tant que tu réponds à ce que le patient te montre et que le travail est fait. N’oublie pas que tu dois demander "pourquoi". Nous essayons d’atteindre le Saint Graal des bons soins aux patients. Si vous ne posez pas la question, vous risquez d’errer dans le désert pendant très longtemps.»Vous souhaitez vous aussi faire valoir votre point de vue sur un enjeu du système de santé? Apporter une réflexion vis-à-vis de votre profession?Envoyez-nous un texte d'opinion à titre de professionnel de la santé ou d'association en santé, afin qu'il soit relayé sur le site. Plus d'infos >

Le Saint-Graal des soins aux patients

Pour accéder au contenu, connectez-vous ou créez un compte gratuit.

Catégories connexes