«Nous avons étiré au maximum la logique du mode de rémunération actuel des pharmaciens» – Jean Thiffault, président de l’AQPP

L’Association québécoise des pharmaciens propriétaires (AQPP) a traversé une année 2015 éprouvante, mais a néanmoins réussi à signer, le 19 juin dernier, une nouvelle entente avec le gouvernement de Philippe Couillard. Les deux parties ont toutefois convenu qu’une révision du mode de rémunération des pharmaciens est aujourd’hui incontournable tellement le monde de la pharmacie a changé. Profession Santé a rencontré le président de l’AQPP, Jean Thiffault, pour dresser le portrait des grands enjeux de la pharmacie communautaire. Jean Thiffault, président de l’AQPPPour de nombreux pharmaciens propriétaires, l’année 2015 aura été celle de l’incertitude quant à la pérennité financière de leurs entreprises. Afin d’éviter une réduction de la valeur des honoraires que les pharmaciens reçoivent pour certains actes, notamment pour le service de pilulier, l’AQPP et le ministère de la Santé et des Services sociaux se sont entendus pour que des sommes soient plutôt prélevées sur une base régulière. Les pertes annuelles pourraient s’élever jusqu’à 133 millions $, mais la valeur de l’honoraire a été épargnée.Pour atténuer l’impact financier de ces prélèvements, l’AQPP a également réussi à convaincre le gouvernement de supprimer le plafond de 15 % d’allocations professionnelles que reçoivent les pharmaciens propriétaires de la part des fabricants de médicaments génériques selon le volume d’achats de chaque officine. Chaque point de pourcentage supplémentaire obtenu par les propriétaires pourrait leur permettre d’obtenir une dizaine de millions de dollars supplémentaires, selon les calculs du ministère de la Santé et des Services sociaux1.Or, quelques semaines avant Noël, le gouvernement a déposé un projet de loi visant à instaurer des systèmes d’appels d’offres pour les fabricants de médicaments et les grossistes des pharmacies. Le projet de loi 81 permettrait notamment de déterminer, sur la base du prix soumis par les fabricants, quelles versions d’un même médicament seraient inscrites à la Liste de médicaments du Régime général d’assurance médicaments. Pour l’AQPP et les autres intervenants du secteur de la pharmacie, il est difficile de prévoir quels seront l’ampleur que donnera le gouvernement à ces appels d’offres et l’impact qu’ils auront sur les allocations professionnelles.Dans leur entente, l’AQPP et le Ministère ont aussi mis en place le modèle de rémunération des activités que peuvent réaliser les pharmaciens communautaires grâce à la Loi 41. Le régime public et les régimes privés d’assurance médicaments rémunèrent désormais quatre de ces activités.Pour faire face à la réalité changeante du secteur de la pharmacie, l’AQPP estime qu’il est nécessaire de revoir le mode de rémunération des pharmaciens communautaires et le modèle d’affaires des pharmacies pour protéger leurs revenus tout en favorisant la reconnaissance de leur rôle professionnel plus grand.La rencontre avec Jean Thiffault s’est déroulée le 11 janvier dernier, dans les nouveaux bureaux de l’AQPP, boulevard Langelier, à Montréal.Le règlement supprimant le plafond de 15 % des allocations professionnelles atténuera-t-il complètement les compressions imposées par l’État ? Les pharmaciens propriétaires pourront-ils même réaliser un gain financier si les allocations sont plus élevées ?Pour le moment, personne n’est capable de dire quel sera le pourcentage des allocations professionnelles. C’est une industrie assez concurrentielle. Plusieurs personnes ont lancé des chiffres en l’air, mais le seul à avoir réellement accès à des données de cette nature est le ministre de la Santé et des Services sociaux.Il faut aussi préciser que l’impact des prélèvements exigés par l’État varie d’une pharmacie à l’autre. À titre d’exemple, celles qui ont un volume plus important de piluliers sont davantage affectées. Une chose est certaine : l’AQPP accorde une grande importance à ce que les pharmaciens propriétaires soient en mesure de compenser les pertes annuelles de 133 millions $ qui découlent de la décision gouvernementale.Le « déplafonnement » est une mesure temporaire de trois ans. Envisageriez-vous qu’il devienne permanent après cette échéance ?L’objectif premier de l’AQPP est de protéger le revenu des pharmaciens. Nous avons été clairs auprès de nos membres en leur disant que l’argent des allocations professionnelles représente un pourcentage important de leurs revenus, mais que c’est fragile. Un simple changement réglementaire ou un changement dans l’économie du générique peut affecter les allocations professionnelles.À terme, il est préférable de privilégier un revenu qui repose sur des honoraires adéquats pour nos services professionnels plutôt que sur des allocations professionnelles. Le gouvernement a sous-investi dans nos honoraires depuis trop longtemps et cela doit changer.Ceci dit, il est tout à fait normal qu’il y ait des rabais volume dans un milieu commercial comme le nôtre. D’autant plus que les allocations professionnelles sont documentées et transparentes.En quoi le projet de loi 81 pourrait-il compromettre les allocations professionnelles ?Le ministre a la fâcheuse tendance à présenter des idées simplistes. Le projet de loi est peu détaillé. Nous allons connaître davantage ses intentions au cours des prochains mois. Nous consacrons d’ailleurs beaucoup d’énergie à nous préparer pour la commission parlementaire [NDLR : prévue durant la session parlementaire qui débute].Il faudra notamment savoir quelles molécules en particulier seront visées pour déterminer quel impact cela pourrait avoir sur les allocations professionnelles. Nous sommes contre la partie du projet de loi visant à instaurer des appels d’offres pour les grossistes, qui serait une mesure beaucoup trop complexe à instaurer sur le plan administratif.Nous partageons cependant le constat que les médicaments génériques sont généralement trop chers. Dans nos conversations récentes avec le ministre, nous avons voulu lui faire comprendre que nous pouvons travailler sur les prix, mais de façon intelligente.Qu’est-ce qui pourrait être fait différemment pour réduire la facture de médicaments des Québécois ?En quelques mois, l’Alliance pancanadienne pharmaceutique2 a déjà permis au Québec de réaliser des économies concrètes sans bouleverser toute l’infrastructure du médicament. C’est la meilleure solution à notre portée, quitte à la bonifier. Nous savons que les Québécois consomment trop de médicaments et que les médecins en prescrivent trop, mais il n’y a eu aucune initiative à cet égard. Nous privilégions aussi une révision de la Politique du médicament.La Loi 41 est en vigueur depuis plus de six mois. Comment les nouvelles activités s’intègrent-elles dans le quotidien des pharmaciens ?Comme il y a eu certains retards, notamment à cause de la facturation à la Régie de l’assurance maladie du Québec et auprès des assureurs privés, il est difficile, à cette étape-ci, d’avoir un portrait précis de ce que représenteront les nouvelles activités en pharmacie, une fois la vitesse de croisière atteinte.Y a-t-il des correctifs à apporter ?Il faut certainement optimiser la communication, car il y a une certaine confusion qui règne dans le modèle interprofessionnel actuel, notamment avec l’acte de prolongation. À ce chapitre, l’AQPP a demandé à l’Ordre des pharmaciens, au Collège des médecins et à deux fédérations médicales (FMOQ et FMSQ) de former un comité afin de rendre la communication plus pertinente entre les intervenants pour savoir quel est le bon professionnel pour agir au bon moment.Un médecin a confié à Profession Santé qu’il ne comprend pas pourquoi certaines ordonnances assez simples, comme pour de l’acétaminophène ou des laxatifs, ne sont pas prolongées.La prolongation pose en effet beaucoup de questions. Devrait-on y avoir recours pour un patient qui n’a pas de rendez-vous ou plutôt pour un patient qui n’a plus de médecin ? Que fait-on avec un patient qui est inscrit dans un GMF et qui a accès à d’autres professionnels que son médecin ?Avant qu’elle ne soit balisée par la Loi 41, la prolongation était un acte de dépannage, fait de façon quasiment administrative. Aujourd’hui, elle engage la responsabilité professionnelle du pharmacien et elle prend du temps. À mon avis, la prolongation devrait être réalisée par le pharmacien lorsque le patient n’a vraiment plus d’autres choix et lorsqu’il y a une valeur ajoutée à ce que ce soit lui qui s’en charge.Des médecins estiment que les pharmaciens sont en conflit d’intérêts en prescrivant et en vendant des médicaments. Que leur répondez-vous ?Il ne faut pas oublier que c’est le patient qui vient consulter en pharmacie. Les pharmaciens ne sont pas à l’origine de la demande. Techniquement, le patient peut obtenir l’avis d’un pharmacien, mais obtenir son médicament auprès d’un autre. Et si le patient était allé consulter un médecin, nous aurions quand même eu à exécuter l’ordonnance.Je trouve dommage que l’on revienne régulièrement à la question du conflit d’intérêts, car certaines personnes semblent préférer un état de fait inacceptable [NDLR : les problèmes d’accès aux médecins de famille] et vouloir mettre des bâtons dans les roues d’une solution qui contribue à faciliter l’accès à la première ligne. De plus, les nouvelles activités sont très transparentes, car tout est documenté et l’information est aisément accessible.Dans l’entente, l’AQPP et le MSSS conviennent qu’il faut revoir le mode de rémunération des pharmaciens. Pourquoi avoir formé un comité paritaire sur la question ?Nous avons étiré au maximum la logique du mode de rémunération actuel des pharmaciens. Le meilleur exemple est de devoir rémunérer les nouvelles activités professionnelles en passant par le régime général d’assurance médicaments. Nous avons pris le véhicule qui était à notre disposition, mais le contexte a tellement changé au cours des dernières années qu’il ne tient plus la route.Le comité que nous avons formé avec le MSSS regardera l’ensemble des problématiques et soumettra des recommandations communes en octobre 2017. Les prochaines ententes devront assurer la sécurité financière des pharmaciens, tout en renforçant leur rôle professionnel et en répondant aux attentes légitimes du Ministère. À ce chapitre, il y a plein de modèles inspirants dans le monde, mais nous allons aussi consulter nos membres tout au long de ce processus.Le gouvernement a statué que ce sont surtout des pharmaciens communautaires qui seront présents dans les GMF. Quelle est votre perspective ?Sans rien enlever aux pharmaciens d’établissements, il est important que ce soient des pharmaciens communautaires qui soient présents en GMF, car ils sont bien positionnés pour comprendre la dynamique du patient en dehors de l’hôpital. Nous sommes aussi très contents que le MSSS dispose d’une enveloppe budgétaire protégée pour ces postes.Par contre, le document détaillant le rôle du pharmacien communautaire en GMF est très sommaire. D’ailleurs, nous déplorons que l’AQPP n’ait pas été consultée dans ce dossier, car nous aurions pu contribuer à régler certains enjeux qui peuvent poser problème.Il faut notamment éviter les duplications d’actes ou les omissions thérapeutiques entre ce qui se fait dans les pharmacies communautaires et les GMF. L’encadrement légal, opérationnel et financier n’est pas très clair. Ce sont peut-être des détails, mais c’est précisément là que peuvent survenir des problèmes.Comment voyez-vous l’accent mis par le gouvernement sur les soins de première ligne, notamment avec les GMF et, éventuellement, les supercliniques ?Ce qui est désolant dans la planification du MSSS, c’est qu’il conçoit des grands modèles dans lesquels les pharmaciens ne sont jamais mentionnés, malgré le fait qu’ils soient un rouage important de l’offre de soins.Nous n’entendons jamais dire de la bouche du ministre que les pharmaciens sont l’une des solutions intégrales aux problèmes d’accès à la première ligne et qu’ils contribuent au suivi multiprofessionnel des maladies chroniques. Le ministre pourrait par exemple dire que pour tel problème de santé, c’est en pharmacie que le patient peut obtenir le service dont il a besoin. L’idée est d’avoir le bon acte posé au bon moment par le bon professionnel et pour un bon prix. Ce n’est pas le cas actuellement.

«Nous avons étiré au maximum la logique du mode de rémunération actuel des pharmaciens» – Jean Thiffault, président de l’AQPP

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