«Le MSSS et Santé Québec n’ont pas de vision pour la première ligne»

Après un printemps mouvementé pour la médecine de famille, ProfessionSanté.ca s’est entretenu avec le président de la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ), le Dr Marc-André Amyot. L’occasion d’une discussion franche et ouverte sur les enjeux et défis auxquels la profession est confrontée, à brève et moyenne échéance.Le renouvellement de l’entente n°368Dr Marc-André Amyot: «La prolongation de l’entente 368 était essentielle pour la population. Elle mérite d’être peaufinée, il manque encore des trajectoires de soins à définir, mais c’est un pas dans la bonne direction. Grâce à cette entente, un million de consultations médicales ont été données au cours de la dernière année et un million de rendez-vous ont été donnés par d’autres professionnels de santé. En termes d’accessibilité aux soins, ce n’est pas rien! On a convenu avec le gouvernement de renouveler cette entente pour un an. Le forfait annuel a été diminué de 20$ par patient inscrit collectivement [de 120 à 100$] et il sera versé en deux temps: 50% à l’inscription et 50% quand la plage de rendez-vous médical sera utilisée par le patient. On s’est également entendu pour insérer une clause de prolongation au cas où les négociations de notre accord-cadre ne seraient pas réglées d’ici là. Nous ne voulons pas revivre le même psychodrame de ce printemps.Je trouve un peu dommage le climat politique qui a entouré cette entente 368. On aurait pu s’entendre sereinement avec le gouvernement. Il s’est dit des choses pas toujours vraies, ou qui ont mal été interprétées, comme quoi les médecins de famille ne prenaient que des petits cas ou qu’on n’avait pas livré la marchandise. C’est faux. Les données le prouvent.La cerise sur le sundae, c’est quand François Legault a déclaré qu’il voulait se battre contre le syndicat des médecins de famille. J’ai écrit au premier ministre pour lui dire qu’il se trompe d’ennemi. Nous devons nous battre tous ensemble pour améliorer l’accessibilité à des soins de qualité en première ligne. Si on ne travaille pas en partenariat, personne n’en sortira gagnant.»Le projet de loi 67 sur l’élargissement de certaines pratiques professionnelles dans le domaine de la santé et des services sociauxDr Marc-André Amyot: «Dans un contexte de pénurie de médecins de famille, on ne peut plus faire reposer tous les besoins de la population sur nos épaules. On est donc favorable au travail interdisciplinaire et on voit toujours d’un bon œil les mesures qui améliorent l’accès aux soins des Québécois. Cependant, on doit éviter le piège du travail en silos en misant sur l’intégration et la collaboration interprofessionnelle. Autrement, l’information ne circule pas et on dédouble les services et les investigations. L’autre piège à éviter serait de décloisonner les professions du lundi au vendredi de 8 heures à 16 heures et que le reste du temps, les médecins de famille assurent les services en heures défavorables. Avec de nouveaux pouvoirs doivent venir de nouvelles responsabilités populationnelles en dehors des jours ouvrables. J’espère qu’il va en être ainsi, mais j’ai une certaine inquiétude.Les médecins de famille m’ont aussi fait part de leurs préoccupations quant aux compétences de tous ces professionnels qui vont pouvoir poser des diagnostics en santé mentale. Personnellement, je n’ai pas évalué ça. J’ose espérer que le Collège des médecins l’a fait et je présuppose que les autres ordres vont jouer leur rôle pour s’assurer que ces nouvelles compétences vont venir venir avec la formation adéquate.»Lire aussi: Nouveaux pouvoirs aux professionnels de la santé: un pas de plus en faveur l’interdisciplinaritéLa négociation de l’entente générale sur la rémunération des omnipraticiensDr Marc-André Amyot: «On ne doit pas mettre la charrue avant les bœufs. J’ai toujours dit que nous devons d’abord revoir l’organisation des soins pour ensuite définir le modèle de rémunération qui appuie cette organisation et suscite l’adhésion des médecins. Ce qui est triste, c’est qu’il n’y a pas de vision pour la première ligne au ministère [de la Santé et des Services sociaux] ni à Santé Québec d’ailleurs, où il n’y a pas de médecin de famille sur le conseil d’administration. Ça en dit long sur l’importance de la première ligne…Actuellement, on a déjà un modèle mixte de rémunération où la capitation représente environ 30% de la rétribution des médecins. Doit-elle en constituer une plus grande part? Rien n’est exclu, rien n’est déterminé. On regarde ce qui se fait ailleurs, notamment en Colombie-Britannique et au Manitoba, mais on n’est pas encore arrêté sur un modèle en particulier.On a toujours espoir de valoriser la médecine de famille en corrigeant l’écart de rémunération entre les omnipraticiens et les médecins spécialistes, de même qu’avec les médecins ailleurs au Canada. J’arrive de bonne foi à la table des négociations, avec des données et des arguments. Je suis bien préparé, mais je suis inquiet que le gouvernement ne le soit pas.»Le rôle des médecins de familleDr Marc-André Amyot: «Malgré l’élargissement des compétences des autres professionnels, le médecin de famille demeure le pilier central de la première ligne et il va le rester pour plusieurs années encore. Qu’on le veuille ou non, le dispensateur de soins le plus accessible, c’est le médecin de famille. Nous sommes les spécialistes de la personne, dans son individualité, dans sa famille et dans son environnement. Au sein des équipes interdisciplinaires, notre rôle est de prendre en charge les cas les plus lourds et les plus complexes et de venir en support aux autres professionnels.»Lire aussi: Médecine de famille: déception, colère, inquiétude et espoirL’accessibilité aux médecins de familleDr Marc-André Amyot: «On ne doit pas oublier que la trame de fond de la situation actuelle reste le manque de planification des effectifs. La gestion à la pièce de la crise vient de là, car il y a des pénuries un peu partout dans le réseau de la santé. Cela dit, je dois reconnaître que le ministre Dubé a mis son pied à terre en rehaussant les cohortes d’étudiants en médecine. Dans un contexte où il manque 1500 médecins de famille, il faut sortir de la notion de volume, car on n’a pas beaucoup de marge pour en faire plus. On doit plutôt réfléchir à optimiser la consultation médicale pour accroître sa valeur ajoutée pour le patient. On peut notamment mieux les préparer. Quand on découvre par exemple qu’il a été vu par un cardiologue ou qu’il s’est fait opérer aux urgences, on doit regarder dans son DSQ [Dossier santé Québec] pour savoir quels nouveaux médicaments lui ont été prescrits afin de déterminer quel diagnostic a été posé. Il y a là matière à amélioration, car on perd ainsi du temps qui n’a aucune valeur ajoutée pour le patient.L’intelligence artificielle (IA) peut aussi nous aider à optimiser la consultation en elle-même, pas dans 20 ans, à très court terme. L’IA va pouvoir rédiger la note et pas que transcrire nos observations mot à mot. Après notre examen physique, elle va nous assister dans le diagnostic différentiel, les investigations à réaliser, le plan de traitement à définir et elle va pouvoir remplir les formulaires nécessaires à notre place. On va gagner du temps au profit du patient.Enfin, lorsque le patient sort du bureau et qu’il a besoin d’une échographie, d’un scan ou d’une consultation en deuxième ligne, si je dois passer des appels pour lui obtenir des rendez-vous, ce n’est n’est pas l’idéal non plus. Il y a là aussi un gros potentiel d’optimisation grâce à une meilleure coordination des soins.» Les propos du Dr Amyot ont été réorganisés et condensés à des fins de clarté et de concision.

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