Le GAP du Bas-Saint-Laurent: un modèle pour tout le Québec?

Les députés n’ont eu d’yeux et d’oreilles que pour lui, jeudi dernier en commission parlementaire, dans le cadre de l’étude du projet de loi 11. La Fédération des médecins omnipraticiens du Québec y est favorable. Quant au ministre de la Santé, Christian Dubé, il n’a cessé d’en parler cette semaine en entrevue avec ProfessionSanté.ca. Il s'agit du GAP, ou Guichet d’accès de première ligne, mis en place par le Centre intégré de santé et des services sociaux (CISSS) du Bas-Saint-Laurent. Ce projet-pilote — amorcé à l’été 2019, opérationnel depuis novembre 2020 — consiste en une ligne téléphonique dédiée aux 15 000 patients orphelins recensés sur le territoire du CISSS. Lorsque l’un d’entre eux appelle, ses besoins sont évalués par un agent administratif, qui peut également solliciter une infirmière pour une évaluation plus approfondie. En fonction de cette dernière, le patient est ensuite référé à un médecin, si cela est nécessaire, ou à un autre professionnel de la santé compétent. Après une phase de rodage, soutenue par une campagne de communication pour informer la population de l’existence de ce service, le GAP a atteint sa vitesse de croisière. Il reçoit désormais 1000 appels par mois environ. La moitié débouche sur une consultation avec un médecin, l’autre moitié aboutissant à un rendez-vous avec un pharmacien, une infirmière, un psychologue, un physiothérapeute ou un travailleur social. Dans tous les cas, les services médicaux sont offerts dans un délai maximum de neuf jours, dépendamment l’urgence de la situation. Ce système de prise en charge des patients sans médecin de famille est plébiscité par ses bénéficiaires: 92% des usagers s’en disent satisfaits, notamment en raison de l’efficacité du service, selon un sondage réalisé par le CISSS du Bas-Saint-Laurent. «On a même eu un patient qui a appelé le guichet huit ou neuf fois. On lui a proposé de l’inscrire auprès d’un médecin de famille, mais il a refusé en nous expliquant qu’il avait un trop bon service avec le GAP», indique le chef du Département régional de médecine générale du CISSS, le Dr Éric Lavoie, en signalant qu’un mécanisme est déclenché après cinq appels d’un même patient pour prioriser son inscription. Le GAP suscite également l’adhésion des 12 groupes de médecine familiale (GMF) desservant la population bas-laurentienne, qui ont tous embarqué dans le projet. «La plus-value du guichet, c’est sa pertinence. Les usagers qui nous sont référés ont vraiment des besoins. Ça évite que ces patients inconnus des médecins ne viennent les voir pour n’importe quoi», témoigne la gestionnaire du GMF de l’Estuaire, à Rimouski, où 19 omnipraticiens pratiquent. «C’est simple et ça se fait facilement, car il y a une bonne communication entre le GAP et nous», ajoute-t-elle, en demandant que son nom ne soit pas cité. Un projet partenarial… Et c’est bien là que semble résider «le mystère de Rimouski» que les députés ont voulu percer, dans la concertation et la collaboration. «On a une structure de gouvernance qui rallie les GMF. On les a associés au projet en amont et on les consulte régulièrement, aux trois ou quatre semaines, parfois en one-to-one. Ça crée un climat de confiance mutuelle», explique le Dr Lavoie. Un climat qui encourage les GMF à libérer des plages horaires pour les usagers du GAP. Au GMF de l’Estuaire par exemple, au moins quatre rendez-vous par jour leur sont réservés. «Dernièrement, on en a dégagé deux de plus pour répondre à la demande. Lorsqu’un patient nous est référé par le GAP, on peut ainsi lui donner satisfaction le jour même ou le lendemain», indique la gestionnaire de la clinique, où 14 000 patients sont inscrits. Pour le Dr Lavoie, le succès du GAP tient aussi aux données qu’il a permis de colliger sur la demande de soins. «On s’est rendu compte que les patients inscrits génèrent en moyenne deux visites par an chez leur médecin, alors que les orphelins qui passent par le guichet ont besoin de 0,6 rendez-vous annuellement, dont la moitié ne nécessitent pas une consultation avec un omnipraticien. Ce constat nous a permis de moduler et d’affiner l’effort demandé aux GMF pour éviter qu’ils aient des chaises vides», indique le DRMG. Au final, il a ainsi demandé aux GMF de libérer une visite sur cinquante pour les patients du GAP. «On peut penser que c’est facile, mais ça demande aux GMF qu’ils mettent en place des mécanismes qui questionnent leurs systèmes de rendez-vous auprès des inscrits.» … duplicable à la grandeur du Québec En commission parlementaire, les députés ont voulu savoir si ce projet bas-laurentien est exportable ailleurs au Québec. Le Dr Lavoie leur a répondu par l’affirmative. «Ça nécessite d’instaurer un climat de confiance avec les médecins et les GMF pour dégager des plages horaires. Il faut aussi du personnel habilité, qui connaît le terrain pour bien aiguiller les patients vers le bon professionnel. Et ça prend un solide arrimage intra-régional pour mobiliser tous les acteurs du territoire», a-t-il précisé. Emballé par le GAP, le ministre Christian Dubé est d’ores et déjà convaincu qu’il faut le déployer à l’échelle de la province. «J’ai l’impression que tous nos GMF vont être connectés au GAP d’ici la fin de l’été», a-t-il annoncé en entrevue avec ProfessionSanté.ca. Le DRMG du Bas-Saint-Laurent voit encore plus loin, en estimant que le filtrage, qui est au cœur du projet GAP, devrait s’appliquer aussi aux patients inscrits. «Vu le manque de médecins, ça permettrait de mieux balancer l’offre et la demande de soins en s’assurant de la pertinence des visites auprès des différents professionnels de la santé.» Le Dr Lavoie pense également qu’il faudrait modifier les ententes avec les GMF. «Elles sont bâties autour du taux d’assiduité des omnipraticiens, ce qui ne les motive pas à accueillir des patients orphelins», observe-t-il en ajoutant qu’il faut revoir en conséquence la définition d’un bon docteur ou d’une bonne visite.

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