Le désastre d’Halifax au cours de la guerre 1914-1918

Le navire français SS Mont Blanc transportait des matières explosives et volatiles, telles que 3121 tonnes d’acide picrique, 200 tonnes de trinitrotoluène (TNT) et plusieurs autres matériaux hautement inflammables, notamment 35 tonnes de benzol remplissant les réservoirs des chars d’assaut alignés sur le pont. En ce 6 décembre 1917 à 8 h 48 du matin dans le port d’Halifax, à la suite d’une erreur de navigation, le SS Mont Blanc entre accidentellement en collision avec le bateau à vapeur belge IMO. Le benzol, répandu sur le pont, prend immédiatement feu et le SS Mont Blanc s’enflamme instantanément. Les flammes et un panache de fumée noire de 600 mètres, visible à des kilomètres à la ronde, accompagnés par le son continu des alarmes du port, attirent tout le monde vers les fenêtres, particulièrement les femmes et les enfants. Précisément 17 minutes plus tard, soit à 9 h 05, une terrible explosion survient au moment de la fusion du benzol et du trinitrotoluène. Toute la zone comprise dans un rayon de 2,5 km2 a été totalement anéantie1. Dans tout le territoire d’Halifax, il n’y avait pas un seul édifice ni une seule maison dont les vitres n’ont pas éclaté, malheureusement trop souvent en plein visage des gens. L’ancre du SS Mont Blanc, pesant six tonnes, fut même retrouvée dans un boisé à plus de cinq kilomètres plus loin.À cette époque, le Canada était grandement impliqué dans la Première Guerre mondiale de 1914- 1918. Le port maritime d’Halifax était son principal lieu de ravitaillement d’où ses vaisseaux de guerre s’approvisionnaient en armes et en munitions destinées à ses troupes combattant dans les tranchées en Europe. Ainsi, cette hécatombe, survenant en pleine guerre, pouvait laisser croire aux citadins d’Halifax que les boches étaient responsables de l’explosion. S’agissait-il d’un acte de sabotage bien planifié ? Les Allemands avaient-ils attaqué le Canada ? Par conséquent, il était impossible de contrôler la terreur et la panique parmi la foule qui, pour quitter le centre de la ville par les rues sombres et sans lumière, couvertes de débris de toutes sortes encore fumants, trébuchait souvent sur des corps dans les décombres.Camp Hill Military Hospital Le Camp Hill Military Hospital, avec ses 280 lits, dont le rôle premier était de prendre soin des soldats invalides à leur retour du front a dû accommoder un nombre record de 1630 blessés en moins de 24 heures. Il allait de soi que chaque espace devait être occupé au maximum et dès les premières heures, trois patients n’avaient pas d’autres choix que de partager le même lit et on retrouvait même des blessés allongés sous le lit ou étendus sur des couvertures entre les lits ou encore sur le plancher dans les corridors. Et, de fait, plusieurs de ces blessés sont décédés le jour même de leur admission à l’hôpital. Les blessures graves les plus fréquemment rencontrées étaient des brûlures généralisées sur tout le corps, de multiples fractures du crâne et un nombre exceptionnel de plaies oculaires. Ces traumatismes oculaires étaient souvent associés à des lésions profondes de la tête, de la face et du cou causées par des débris de verre, de poterie, de brique et de clous. Devant le nombre considérable d’atteinte oculaire, les ophtalmologistes furent réclamés de toute urgence et 12 d’entre eux ont traité 592 patients pour des blessures oculaires et ont procédé à 249 énucléations dont 16 ont dû subir une énucléation bilatérale2.En toute hâte, un fonds de secours pour les aveugles a été mis sur pied sous le nom d’Halifax Home and Blind Relief Fund dans le but de venir en aide à ceux qui avaient perdu la vision3. De plus, la réponse américaine au cri de détresse lancé à partir d’Halifax a été prompte et spontanée. Y prendront part, le Massachusetts State Guard de Boston, l’American Red Cross Unit de Boston et Providence, et le State of Maine Medical Unit4. Ainsi, 120 médecins américains1 ont répondu généreusement à l’appel plus un total de 322 médecins canadiens dont 12 oculistes.Dr George Hasting Cox, ophtalmologiste de Nouvelle-Écosse Sur les lieux du sinistre, dès le premier jour, un travail exceptionnel a été réalisé par le Dr George H. Cox (1871-1953), otorhino-laryngologiste-ophtalmologiste de New Glasgow, située à 100 kilomètres de là. Pendant quatre jours, il a travaillé sans relâche presque jour et nuit. À l’aide de chloroforme, il effectua 75 énucléations, dont 5 bilatérales. Pour sauver la vision des patients dans les plus brefs délais, il a été contraint d’opérer sur la table de la cuisine et même sur le plancher pour laisser les salles d’opération à la disposition des chirurgiens généraux.Dr Thomas Frederick Tooke, chef du département d’ophtalmologie au Royal Victoria Hospital Le capitaine Thomas F. Tooke (1873-1955) de Montréal, médecin spécialiste dans le Corps médical de l’armée canadienne, arrivé cinq jours après la tragédie, a procédé à plusieurs iridectomies, à des excisions du corps ciliaire et également à des sutures de plaies cornéennes. En 5 jours, il a réussi à opérer 48 patients avec des lésions oculaires graves dont 16 ont subi une énucléation5. À cette époque, un des problèmes auquel étaient confrontés les oculistes était la crainte de voir apparaître l’ophtalmie sympathique dans les semaines subséquentes à cause de l’inclusion du corps ciliaire ou bien la rétention de particules de verre dans le tractus uvéal1. Heureusement, aucun cas d’ophtalmie sympathique n’a été officiellement rapporté. Mais quelle catastrophe mémorable ! Le compte final a révélé que 9000 personnes ont été blessées dans l’explosion dont 40 sont restées complètement aveugles et plus de 2000 ont été tuées dont 1600 personnes sur le coup2.Enfin, voici une triste page d’une époque tragique des grands moments de notre histoire médicale canadienne au cours de laquelle les faits et gestes posés par les valeureux Drs Fox et Tooke doivent être rappelés à notre mémoire.* Professeur émérite de l’Université de Montréal1. McAlister CN, Murray TJ, Maxner CE. The Halifax Explosion of 1917 : the oculist experience. Can J Ophthalmol 2008. 43 (1); 27-32.2. McAlister CN, Murray TJ, Lakosha H and Maxner CE. The Halifax disaster (1917) : eye injuries and their care. Br J Ophthalmol 2007. 91 (6); 832-5.3. Auteur inconnu. The Halifax Disaster. Can Med Assoc J. 1918 May. 8(5); 440.4. Auteur inconnu. The Halifax Disaster. Can Med Assoc J. 1918 Jan. 8(1); 59-60.5. Tooke FT. An Experience through the Halifax Disaster. Can Med Assoc J. 1918 April. 8(4); 308-20.

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