L'antibiorésistance: où en sommes-nous?

Les principaux enjeux liés à l’antibiorésistance ont été au cœur des discussions lors de la 6e conférence du centenaire de la Faculté de pharmacie de l’Université de Montréal, qui s'est tenue le 16 avril dernier.Devant un public composé de pharmaciens, de médecins et d'autres professionnels de la santé, les conférenciers ont discuté des impacts de l’antibiorésistance, plus de vingt ans après la création du programme intégré canadien de surveillance de la résistance aux antimicrobiens (PICRA).De nombreux sujets ont été abordés dans un contexte de santé globale, tels que les opportunités de recherches, les nouveaux traitements, l’optimisation des thérapies et l’innovation technologique. Une seule santéL’approche «Une seule santé» (USS) vise notamment à considérer la santé des humains, des animaux et des écosystèmes - intimement reliées et interdépendantes - dans la quête de solutions globales. Suivant ce principe, le PICRA facilite depuis 2002 la surveillance de l’antibiorésistance, afin de faire face au défi posé par l’utilisation répandue d’antibiotiques, tant en médecine humaine que vétérinaire.Les antibiotiques donnés aux animaux d’élevage à des fins de consommation, tels que le porc et la volaille, peuvent affecter directement l’antibiorésistance chez l’humain. Bien que ces effets aient été soupçonnés depuis longtemps, ce n’est qu’en 2010 qu’une étude a été en mesure de supporter cette hypothèse, après la réintroduction de l’antibiotique ceftiofur en médecine vétérinaire. «[Ce fût] la première fois qu’on a fait le lien direct entre l’antibiotique utilisé en médecine vétérinaire et l’impact sur la santé humaine», a déclaré la Dre Martine Boulianne, titulaire de la Chaire en recherche avicole de la Faculté de médecine vétérinaire de l’Université de Montréal. En effet, les résultats ont démontré une forte présence de salmonelle résistante au ceftiofur chez l’humain en 2005 avant le retrait de cet antibiotique, puis à nouveau en 2007 lors de sa réintroduction.L’importance de l’approche USS a été mise en valeur à la suite de la pandémie de la Covid-19. Comme le rapportait un article de la Revue canadienne de santé publique, elle a aussi retenu l’intérêt de plusieurs institutions, dont le groupe Évolution pour la santé animale (EVAH), fondé en 2020.Le groupe a ainsi choisi de miser sur la prévention plutôt que sur le traitement des maladies chez les animaux destinés à des fins de consommation, tel que le poulet, a expliqué Frédéric Leduc, chef de la direction scientifique du groupe EVAH et titulaire d’un doctorat en biochimie à l’Université de Sherbrooke. L'EVAH a pour objectif de minimiser l’impact des maladies chez les volailles, qui doivent être incinérées en cas d'infection afin d’éviter la contamination des autres poulets et des humains. Or, le taux de CO2 généré par ces incinérations n’est pas négligeable, particulièrement dans le contexte d’une approche USS où la santé de l’environnement est également à considérer.La décision de faire usage d’antibiotiques chez les poulets infectés peut causer en bout de ligne de sérieux problèmes de santé chez l’humain. Une étude publiée dans le journal Foodborne Pathogens and Disease a d’ailleurs suggéré un lien inquiétant entre une souche d’E. coli aviaire et l’antibiorésistance chez des patients diagnostiqués avec une infection urinaire. L’antibiorésistance de demain«[Les antibiotiques] ne sont pas des médicaments anodins», a averti Daniel Thirion, pharmacien au Centre universitaire de santé McGill et professeur de clinique à la Faculté de pharmacie de l’Université de Montréal. Malgré cela, ce sont des médicaments surutilisés.«C’est le fait d’exposer les patients aux antibiotiques, le problème, a-t-il souligné. Exposer un patient à un antibiotique, c’est aussi l’exposer à une résistance antibiotique.» Il recommande donc que les professionnels de la santé en soient conscients en prescrivant des antibiotiques, le même effort étant demandé aux patients lorsqu'ils en demandent. «Il y a beaucoup d’enseignement à faire», admet M. Thirion. Selon lui, les patients veulent en prendre sans nécessairement considérer la possibilité qu'ils développent eux-mêmes une antibiorésistance.Un changement de culture face à l’usage des antibiotiques doit avoir lieu. Benoît Morin, président de l’Association québécoise des pharmaciens propriétaires (AQPP), invite donc ses collègues à travailler conjointement avec les prescripteurs afin de s’assurer que le patient ne reçoive que la dose appropriée. «C’est un travail d’équipe, à faire dans le respect du lien thérapeutique avec le patient», commente M. Morin. Nouvelles technologies: une solution au problème grandissant d’antibiorésistanceAlexandre Le Bouthillier, expert en intelligence artificielle (IA) dans le domaine de la santé, cherche à allier l'IA à la biologie et la génétique dans le but de développer des «organopuces» qui seraient éventuellement en mesure de reconnaître diverses signatures métaboliques chez les patients. Elles pourraient ainsi contribuer à la prévention, au dépistage et au traitement. «On arrive à prédire la COVID à 90% seulement à partir d’une signature métabolique», a-t-il expliqué. Il espère que cette technologie devienne un jour accessible au public dans des centres de santé (pharmacies, CLSC, etc.), afin de faciliter le diagnostic de maladies et d'éviter la prescription d’antibiotiques à titre préventif. Le Canada prend d'ailleurs du retard du côté des antibiotiques. Entre 2010 et 2019, seuls deux des 18 plus récents antibiotiques commercialisés dans le monde sont accessibles au pays. C’est là où un plan style «Netflix» pourrait intervenir pour changer la donne. «Il s'agit d'un incitatif économique, qui n’est pas relié au volume», a expliqué Joël Denis, directeur général du Centre de Préparation Vaccinale et Thérapeutique du Canada à l’Agence de la santé publique du Canada. Une sorte d'«abonnement» à une collaboration entre des compagnies pharmaceutiques internationales permettrait d’obtenir un accès à ces nouveaux antibiotiques, présentement inaccessibles au Canada, en cas de besoin — sans toutefois avoir à payer le plein prix.«[L’antibiorésistance] est invisible, mais ça ne veut pas dire que ce n’est pas important», a-t-il conclu.

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