La présidente de la FMSQ, Diane Francœur: «Rallions nos forces, car l’ennemi, c’est le prix des médicaments»

La course à la parité financière des médecins semble entraîner des disparités sociales que décrie l’opinion publique. La Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ) travaille à rebâtir une image malmenée par l’acrimonieux débat sur la rémunération. Sa présidente, la Dre Diane Francœur, garde le cap, soucieuse de rassurer ses membres, tout en leur rappelant que leurs privilèges viennent avec des obligations. Entrevue.La rémunération des médecins continue d’être au cœur des débats publics. Qu’en dites-vous ?Nous avons négocié, en 2006, de nous approcher de la parité canadienne. Tout cela est connu, prévu, on n’a pas fait d’inflation. En 2007, Monique Jérôme Forget1, Philippe Couillard et Gaétan Barrette disaient que cette entente respectait la capacité de payer du Québec. Les montants sont arrivés tranquillement et presque 10 ans plus tard, on nous dit que les médecins sont partis avec la banque !Notre objectif n’est pas de vider les caisses du système de santé. La clause-remorque est prévue, on va l’évaluer, l’interpréter. Pour le rattrapage, on a étiré jusqu’en 2021, tous les chiffres sont écrits, ils seront dans les prochains budgets. Mais à chaque année, en avril, tout le monde sera scandalisé de voir ces chiffres-là !Il y a eu le rapport de la Vérificatrice générale, quand même…Tous les chiffres sont bons dans ce rapport, mais pas les conclusions. Alors, pour la première fois en 50 ans, la FMSQ a tenu une conférence de presse avec son négociateur en chef pour expliquer les chiffres aux journalistes.C’est la population qu’il faut convaincre…Nos patients, on les convainc dans nos bureaux. Lors d’une garde, j’ai eu une jeune fille de 18 ans avec une embolie de liquide amniotique. Allez lui demander, à elle et à sa famille, si elle pense que les médecins ne font pas leur job ! On ne parle jamais de nos bons coups. Quand j’ai commencé à exercer, on mourait à 20 ans de la fibrose kystique. Aujourd’hui, j’accouche des femmes greffées des poumons. Extraordinaire, non ? Mais on préfère parler du tarif du méchant médecin qui a les a greffées. Je ne sais pas si vous le savez, mais greffer des poumons, c’est anxiogène…Ce qui est décrié, n’est-ce pas plutôt qu’il n’y a plus aucune adéquation entre une rémunération élevée et les services rendus ?Comme société s’est-on donné les moyens d’arrimer les services ? Il y a des gaps partout. Arrive la loi 10 comme un fait accompli, sans aucune consultation, et là, on s’aperçoit qu’il manque des corridors de services. Dans la réorganisation, tout le monde y perd son latin, on ne sait plus où se référer dans les Centres intégrés de santé et de services sociaux (CISSS). On veut bien prendre ce qui nous revient, mais les règles du jeu, c’est le ministre qui les fixe à ses PDG, et tout le monde marche les fesses serrées, personne n’osant sortir des recommandations.Notre travail, c’est d’accueillir toutes les consultations des 2e, 3e et 4e lignes. Lorsqu’on aura une première ligne vraiment fonctionnelle, on lui retournera les cas qui la concernent, on videra les rendez-vous mal utilisés, et on pourra voir la population. Je comprends les citoyens, ils ne veulent pas attendre, et ils ont raison.Ça ne peut pas être juste un complot des médias, quand même…Non, que le premier ministre et le ministre de la santé soient tous deux des médecins spécialistes est un dommage collatéral. Et, malheureusement, on fait la triangulation, avec moi qui magouille en arrière. Je ne magouille rien. C’est un dommage collatéral et il faut vivre avec.Mais en négociant bien, Gaétan Barrette vous a aidés…Oui, mais la Fédération, c’est pas juste de l’argent. Le bonheur d’un médecin spécialiste, c’est de pouvoir faire son travail, avec un accès aux plateaux techniques lorsqu’il en a besoin. C’est frustrant aussi quand la moitié des patients ne se présentent pas, pour tout un tas de raisons.Que votre ex-président dirige le MSSS, ça vous aide ou ça vous nuit ?On n’a eu aucun traitement de faveur. On était tellement loin de la parité canadienne qu’il fallait agir, toujours en considérant la capacité des Québécois de payer : cette petite phrase de bas de page, on la répète. La chose à faire, c’était ça. En 2016, on est exactement là où l’on avait prévu d’arriver en 2006. Aujourd’hui, les enjeux sont différents, il s’agit de donner des soins à la population.Comment vivez-vous la loi 20 ?On aurait très bien pu dire au ministre qu’on n’avait pas besoin de cette loi, car c’est la première ligne qui est problématique. Réglez les problèmes et revenez nous voir après. Mais on a saisi l’occasion d’avoir des outils pour mieux gérer la demande, et on y travaille avec le Ministère.La demande de quantifier les engagements est nouvelle, mais cela a toujours été fait. Je dois m’assurer que chacune des 35 associations est respectée dans ses besoins et traitée équitablement pour tenir compte de la réalité de la pratique. La seule façon d’arriver à quelque chose qui fait l’affaire de tous, c’est que les règles du jeu soient claires pour tous.Comment faites-vous pour gérer 35 associations aux intérêts divergents ?Ce n’est pas facile, mais ce qui recharge mes batteries, c’est quand je rencontre des médecins spécialistes, en faisant mes courses par exemple, et qu’ils me remercient de ce que nous faisons pour eux. Ils disent se sentir fiers d’être médecins spécialistes. On vise la perfection, mais quand on nous attaque de partout, on essaie d’abord de sauver le bateau…Quel est le dénominateur commun entre les associations ?Une même base les rallie toutes : un médecin spécialiste doit travailler à l’hôpital et faire des gardes. Ensuite, on essaie d’évaluer les actes par rapport à la durée, à la lourdeur des cas, etc. Un travail titanesque certes, mais quand les règles du jeu sont claires et qu’on respecte tout le monde, on y arrive. Je ne peux pas donner plus au radiologiste, au pédiatre ou à l’obstétricien, car tous les autres me regardent. Même si on n’avait qu’une seule association, il faudrait tenir compte des contingences. Dans ma propre spécialité, par exemple, l’obstétrique-gynécologie, il y a le cancer, la fertilité, la grossesse, la gynéco, la chirurgie, le médical.En quoi votre style de gestion diffère-t-il de celui de votre prédécesseur ?Gaétan Barrette imposait davantage sa vision. C’est la différence entre les gars et les filles. Nous, on gère plus par consensus. Une équipe, c’est toujours plus fort.Les femmes vont investir massivement la profession au moment où son image publique décline. Comment vont-elles gérer cela ?On va le leur apprendre. À la Fédération, on est proche des jeunes, on leur dit de ne pas attendre d’avoir 60 ans avant de s’impliquer². On a un comité jeunesse, des présidents qui sont très jeunes. J’offre aux jeunes femmes de les mentorer. C’est difficile de faire de l’administratif et de concilier travail et famille, comme pour toute professionnelle. Alors, quand on a des mentors, il faut le faire savoir !Et vous-même, vous avez réussi…Après 28 ans, on ne m’a pas encore mise à la porte, à la maison (rires). Il faut les aider, ces jeunes femmes-là ! La génération Y est investie, elle sait ce qu’elle veut et ne veut pas. Elle avait l’impression que la profession permettait d’avoir une autonomie totale, mais ça ne peut pas arriver : les médecins spécialistes doivent travailler à l’hôpital, participer à la liste de garde, qu’ils aient 30, 40, 50 ou 60 ans. Et si tu ne peux plus le faire à 70 ans, laisse la place aux jeunes.Les privilèges hospitaliers, ça vient avec l’obligation de faire ta garde, tes cliniques externes, sinon, tu te fais remplacer. Tu ne peux pas décider de faire du 10 à 2. Ma génération faisait le médico-administratif les soirs et les fins de semaine, mais les jeunes n’embarquent plus là-dedans. Il faut se débarrasser de l’image selon laquelle si tu t’impliques dans ton département, tu n’auras plus le temps de t’occuper de tes enfants. Ce n’est pas vrai !Avez-vous encore le temps de faire de la clinique ?Une garde par mois à Sainte-Justine, parce que je m’ennuie des patientes et pour voir ce qui se passe sur le terrain.Pourquoi l’autonomie professionnelle doit-elle être, pour vous, absolument liée à la rémunération à l’acte ?En fait, 80 % des médecins spécialistes sont à l’acte, mais 50 % d’entre eux ont une rémunération mixte. Ce n’est donc pas une rémunération à l’acte pure et dure. Quand on est rémunéré à l’acte, ça ne veut pas dire pour autant qu’on peut choisir les pathologies.Libres entrepreneurs en situation de monopole, mais payés par l’État : la confusion des statuts ne vous dessert-elle pas ?Jamais on n’ira vers le salariat, ce serait sous-productif. Tu as une tâche difficile à faire, comme annoncer un cancer du sein à une femme de 39 ans. Tu t’apprêtes à la rencontrer quand ta secrétaire t’annonce que tel médecin a appelé et que deux petites urgences viennent de s’ajouter. Ça veut dire que tu ne dîneras pas, que tu seras en retard pour aller chercher tes enfants. Les p’tites urgences, ça n’existe pas, car la personne a toujours autre chose à régler en même temps. Vais-je dire à cette femme : « Prenez rendez-vous, je suis salariée, j’ai une convention collective en béton, je m’en vais à 16 heures » ?Le médecin devenant une entreprise à lui tout seul, le patient n’est-il pas alors un client, en droit de recevoir les services qu’il paie par ses impôts ?Clients, utilisateurs, usagers, bénéficiaires, le nom change à chaque décennie, mais pour nous, ce sont des patients. Les médias ont énormément contribué à nous faire passer pour des vilains. Je comprends les citoyens qui veulent être soignés quand ils sont malades, mais nous devons remettre les pendules à l’heure, car on nous attribue des problèmes qui ne sont pas les nôtres.Lesquels ?La première ligne, elle n’est pas à nous, mais on a compensé pendant des années, et même encore aujourd’hui, pour l’absence de services. Nous, on est là pour les 2e, 3e et 4e lignes, et on fait notre travail. On a beau se chercher des amis dans les autres professions, mais greffer des cœurs, des poumons, c’est dans la cour des médecins spécialistes.La loi 20 nous donne l’occasion de ne plus devoir nous occuper de cette première ligne qui prend beaucoup de place dans le quotidien du médecin spécialiste. Quand on dit au patient de retourner voir son médecin de famille avec son plan de traitement, la réponse est : « Je n’en ai pas ! » Alors, soit tu lui suggères le sans-rendez-vous du coin, ce qui est inhumain, soit tu essaies de faire quelque chose. Quand la question de la première ligne sera réglée, on pourra voir les patients qui ont besoin d’être vus rapidement et les retourner aux médecins de famille. C’est ça, le nœud gordien.Mais il y a la déontologie…Les infirmières l’ont aussi, mais à 15 h 30, elles s’en vont. Le salariat vient avec une heure de début et une heure de fin. La déontologie s’applique dans la façon dont on soigne les gens, et à salaire, on ne peut pas ajouter, ajouter, ajouter. Notre quotidien à nous, médecins spécialistes, c’est qu’on est toujours en train d’ajouter, sans jamais dîner, en finissant deux heures plus tard. Or, pour pouvoir toujours ajouter, il faut un incitatif. L’acte aura toujours sa place. C’est toujours la même ritournelle selon laquelle la population n’en a pas pour son argent. Mais que devrait-elle avoir comme services en médecine spécialisée ?La discussion sur le panier de services n’est-elle pas déjà amorcée ?Encore faudra-t-il avoir le courage de poser les bonnes questions et d’écouter les bonnes réponses ! Devrait-on payer les réanastomoses tubaires parce qu’une femme a un nouveau conjoint ? Même chose pour la vasectomie. Doit-on payer pour la deuxième, troisième, quatrième opinion pour un même problème de santé, et payer trois fois pour la même prescription parce que le patient a perdu ses pilules ?Chacun va arriver avec sa liste d’épicerie, non ?Pour notre part, nous devons nous assurer que des services de qualité pertinents continueront à être offerts à l’hôpital gratuitement et pour tous. On travaille avec l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux (INESSS) et on va inclure tout cela dans notre plateforme de développement professionnel continu, par exemple en ce qui concerne les examens pour le mal de dos, la surprescription de Ritalin, la réduction des prescriptions et des dépistages inutiles, comme récemment avec le cancer du sein.Ce qui manque, c’est le courage politique de dire à la population : arrêtez de demander telle ou telle chose, on ne la paiera plus. Revoir le panier de services, ça prend du courage. Ça ne se limite pas à couper ceci ou à cela.Ce courage politique, existe-t-il ?Le voyez-vous, vous ? Rallions nos forces, car l’ennemi, ce qui s’en vient, c’est le prix des médicaments, ça monte, ça monte. Vous nous reprochez de ne penser qu’à l’argent. Voyez tout le travail d’antibiovigilance, d’antibiogouvernance, comment on peut mieux utiliser les antibiotiques, prescrire les moins chers. C’est sans doute le Québec qui score le mieux à ce chapitre. Quand lisez-vous cela dans les journaux ?Les médecins ne sont-ils pas en train d’encourager la privatisation du réseau ?La Fédération va toujours défendre un système public fort. J’ai fait du suivi de grossesse pendant 20 ans auprès d’ados qui n’avaient pas d’argent, pas de vitamines. Mes valeurs n’ont pas changé parce que je préside la FMSQ. Les gens doivent avoir des services gratuits à l’hôpital. Et pour que le panier de services ne soit pas trop maigrichon, des choix s’imposent. C’est là que les politiciens doivent arrêter de « spinner » la nouvelle que les docteurs pensent juste à l’argent. Il leur faut faire des choix.Il reste que votre profession est désormais sous le projecteur public, qu’elle souffre d’un problème d’image…C’est clair, mais l’antidote à ces mauvais traitements dans les médias, c’est d’être disponible aux patients, c’est de bien les soigner, idéalement avec le sourire. Alors qu’on nous tape dessus, mon objectif à moi consiste à rassurer les médecins spécialistes, tout en leur rappelant que des privilèges, ça vient avec des obligations. Un vrai docteur, ça fait de la garde, et il ne peut pas toujours être en vacances. Il doit aussi continuer d’être le défenseur de ses patients, mais n’est-ce pas aussi ce que fait la FMSQ depuis 50 ans ?1. Alors présidente du Conseil du Trésor. Philippe Couillard était ministre de la Santé, Gaétan Barrette présidait la FMSQ.2. En 2016, on comptait 3 970 femmes médecins spécialistes, 5 573 hommes; 8 femmes sont présidentes d’association.

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