«Jeunes médecins, avez-vous le temps de pratiquer la médecine?» - Dre Ruth Vander Stelt

Une profession cernée de toutes parts et dont l’autorité et l’influence s’émoussent. C’est ainsi que la Dre Ruth Vander Stelt perçoit la médecine de 2013.Plus que jamais, dit-elle, l’Association médicale du Québec (AMQ), qu’elle préside, a un rôle à jouer pour rebâtir la crédibilité de la profession face à la société québécoise.ProfessionSanté.ca l’a rencontrée lors du récent Colloque médical étudiant du Québec, organisé par l’AMQ (voir notre article). Pourquoi avez-vous d’emblée parlé aux étudiants en médecine de «menace» planant sur la profession?Parce que notre profession est menacée de trois façons :par la perception que se fait d’elle désormais la société;par les autres professionnels de la santé qui nous dénigrent;et par la profession elle-même. On est aussi notre propre ennemi: manque de collaboration entre médecins omnipraticiens et spécialistes; manque d’organisation au plan médical; manque de leadership dans les départements. Où est l’innovation dans la qualité des soins?Au vu de ces trois facteurs, on est en train de se faire manger tout rond.Mais l’interdisciplinarité, c’est une bonne chose, non?Bien sûr, et il était temps. Une infirmière qui fait son travail d’infirmière, on l’accueille à bras ouverts, mais les IPS ne sont-elles pas plutôt en train d’empiéter sur le travail du médecin?Est-ce du protectionnisme de votre part?Non, mais la médecine est un art, pas une série de protocoles ou d’algorithmes ou une charte de croissance.«L’heure de l’autonomie professionnelle est passée», disait récemment le gouverneur général du Canada, David Johnston, à une classe de diplômés du Collège royal du Canada des médecins et chirurgiens du Canada. Je crois malheureusement que c’est vrai, et les médecins auront contribué à leur malheur.Pourtant, tout médecin revendique haut et fort son autonomie professionnelle?Oui, sauf qu’il la confond avec la liberté d’organiser une pratique qui fait son affaire à lui, parfois au détriment des vrais besoins de la population, de la réalité des soins à donner. Or ça, les citoyens l’acceptent de moins en moins.Que voulez-vous dire?Que chaque médecin se pose sérieusement la question: est-ce que je travaille pour moi ou pour la population? C’est ce qu’on appelle la responsabilité populationnelle. À l’hôpital, on l’a confiée au directeur général, mais on a parfois le sentiment que les médecins ne se sentent pas concernés. Et la perception croissante qu’a la population du médecin le confirme: le médecin travaille pour lui, pas pour nous!Hier, les médecins n’avaient que des privilèges à l’hôpital. Aujourd’hui, on commence à leur rappeler qu’ils ont aussi des obligations. Autrement dit, un médecin ne peut plus se contenter de faire une pratique qui l’arrange en fonction de ses besoins à lui, il doit contribuer à répondre aux besoins des patients qui s’adressent à lui.Rendre service à la population, c’est voir les vrais besoins, pas juste ceux qui font mon affaire. Il s’agit d’amener réellement les soins au peuple.Et où se situe le médecin dans la longue marche vers la santé?Il n’est que le dixième sur la liste pour aider le patient, après les déterminants sociaux dont, entre autres, le statut social, les bonnes conditions de vie, un habitat sain, le niveau de scolarité, le réseau social soutenant, etc. L’Association médicale canadienne insiste désormais sur l’importance des déterminants sociaux de la santé. Elle ouvre la discussion et c’est sain.Qu’est-ce que cela implique concrètement?Ouvrir à plus de résonnance magnétique en région, par exemple, est-ce que ça entraîne plus de santé pour la population? Certes, il y aura plus de patients ayant eu une résonance magnétique, mais n’aurait-il pas été plus judicieux d’investir cet argent dans les soins à la petite enfance, pour contrer le décrochage scolaire?C’est ce genre de questions qui vont se poser avec acuité à l’avenir; elles vont devenir de vraies questions sociales et les médecins aussi devront y répondre. Comment voyez-vous le rôle des fédérations médicales à ce chapitre?Elles interagissent avec le gouvernement, c’est leur travail. Nous, à l’AMQ, nous interagissons, comme profession, avec la société. Nous voulons être une profession au service de la population, nous voulons rapprocher la société de la profession et réciproquement.Où va notre profession si nous ne parvenons pas à démontrer la plus-value qu’elle peut lui apporter? Et à ce sujet, il faut bien dire une chose plutôt déplaisante: le phénomène générationnel nous gruge.Pouvez-vous préciser?Jeunes médecins, avez-vous le temps de pratiquer la médecine? «Un bébé, un an de congé, j’ai le droit!» Bien. Ce sont les droits de l’individu par rapport aux droits de la société.Or, la société aussi a le droit de recevoir des soins. Les médecins, elle les a formés, elle les rémunère bien et a mis en place les hôpitaux et tout un réseau de soins pour cela. Alors, je rappelle aux jeunes médecins: «On vous a formés parce qu’on a des besoins, et voici que vos droits individuels priment sur les besoins de tous!»Que craignez-vous au fond?Que la société impose à la profession une nouvelle façon de fonctionner. Que l’absence de leadership médical fasse tranquillement de nous, médecins, de simples instruments de l’État.Ça se renforce déjà avec l’euthanasie et le suicide médicalement assisté. «J’ai le droit de mourir, mais ça ne me tente pas de me suicider». Pas de problème, le docteur est là. On vient de trouver à quoi est bon un docteur!Voici un bon exemple, car la profession ne s’est pas arrangée pour avoir assez de soins palliatifs et pour réfléchir à la mort. Alors, la société et un comité de juristes ont décidé qui va appliquer les droits individuels poussés à l’extrême: c’est le docteur. Un nouveau mandat pour lui!C’est là un signe extrême annonçant la fin de notre autonomie professionnelle: on place le docteur là, pour donner la mort. C’est l’exemple parfait du projet de loi qui fait de nous des instruments de l’État. On se fera donner un livre d’instruction et le reste va suivre.Comment les docteurs pourraient-ils faire mieux?La société ne tolère plus que l’autonomie professionnelle serve de prétexte à éviter de répondre aux besoins réels de la population. Alors, un conseil d’administration d’hôpital, par exemple, pourra fort bien dire à ses médecins, et exiger d’eux: «On vous accorde des privilèges, mais arrangez-vous pour satisfaire les besoins de la population dans votre spécialité, ou on vous les retire, vos privilèges». Autrement dit: «Faites partie de la solution, accomplissez votre rôle de médecin!»Est-ce cela que vous appelez la responsabilité sociale du médecin?Oui. En résumé: docteurs, ne faites pas juste ce qui vous tente et ce qui vous arrange en fonction de vos conditions de vie, répondez vraiment aux besoins réels des gens.Minimalement, du moins à l’hôpital, ça veut dire aussi que les médecins vont devoir partager la responsabilité populationnelle avec le directeur général.À lire aussiMédecin et chômeur: deux mots risquent d’aller bientôt ensemble…

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