Je vous prendrai un livre…

Quand, l’été passé, j’ai appris le décès de Kundera, je me suis immédiatement rappelé L’Insoutenable légèreté de l'être. Vous vous souvenez de ce magnifique roman qui a été porté à l'écran? L’histoire de Thomas, chirurgien pragois renommé, appelé à faire du dépannage dans une petite ville tchèque. Peut-être vous souvenez-vous de la première scène où il demande à l'infirmière du bloc opératoire, en salle de réveil, de se déshabiller? Thomas qui fait la connaissance de Tereza, une petite serveuse au bistro local et qui l’invite à venir lui «rendre visite» à Prague. Ce qu’elle fera. Contre toute attente, ils se marieront. Bizarre de couple. Tout en contradiction. Cette incessante confrontation entre la passion et la fidélité, entre la folie et la raison, entre le ça et le surmoi freudiens. D’où le titre du livre. Je retiens ce passage: Nous avons tous besoin que quelqu’un nous regarde. On pourrait ranger en quatre catégories selon le type de regard sous lequel nous voulons vivre. La première cherche le regard d’un nombre infini d’yeux anonymes, autrement dit le regard du public […] Dans la deuxième catégorie, il y a ceux qui ne peuvent vivre sans le regard d’une multitude d’yeux familiers. Ce sont les inlassables organisateurs de cocktails et de dîners […] Vient ensuite la troisième catégorie, la catégorie de ceux qui ont besoin d’être sous les yeux de l’être aimé. Leur condition est tout aussi dangereuse que celle des gens du premier groupe. Que les yeux de l’être aimé se ferment, la salle sera plongée dans l’obscurité […] Enfin, il y a la quatrième catégorie, la plus rare, ceux qui vivent sous les regards imaginaires d’êtres absents. Ce sont les rêveurs. […] Puis j’ai appris que Cormac McCarthy était aussi décédé. Auteur de The Road (et de No Country for Old Men, entre autres). Quelle histoire épouvantable. Je n’ai jamais lu quelque chose d’aussi effroyable. L’histoire d’un père et d’un fils qui prennent la route après une apocalypse nucléaire. Une incroyable histoire de survie. Une fabuleuse histoire d’amour filial. Je ne peux m’empêcher de penser, quand les super puissances se menacent de leurs bombes, que cela arrivera, que ce n’est qu’une question de temps. Me vient alors en tête le passage suivant (âme fragile s’abstenir) Dans le plancher de cette pièce, il y avait une porte ou une trappe et elle était verrouillée avec un énorme moraillon fait de plaques d’acier empilées l’une sur l’autre… Il commença à descendre les grossières marches de bois. Il baissa la tête puis alluma un briquet, balançant la flamme devant lui dans l’obscurité comme une offrande. Le froid et l’humidité. Une abominable puanteur. Le petit s’agrippa à sa veste. Il apercevait une partie d’un mur de pierre. Le sol de terre battue. Un vieux matelas maculé de taches sombres. Il s’accroupit et descendit un peu plus bas tenant la flamme au bout de son bras tendu. Tapis contre le mur du fond il y avait des gens tout nus, des hommes et des femmes, tous essayant de se cacher, protégeant leurs visages avec leurs mains. Sur le matelas gisait un homme amputé des jambes jusqu’aux hanches et aux moignons brûlés et noircis. L’odeur était atroce. Si un jour cela survient, puisse la destinée me placer aux premières loges afin de ne jamais connaître The Road. Quoi, vous pensez que cela est impossible, que cela ne puisse pas arriver...? N’avez-vous pas lu L’Île aux Cannibales? (C’était au 20e siècle – hier en quelque sorte) N’avez-vous pas lu La Servante écarlate, de Margaret Atwood? À l’opposé, j’aurais aussi bien pu vous parler de choses de plus gaies. Comme C’t’à ton tour, Laura Cadieux, de Michel Tremblay, ou de The Leisure Seeker, dont je vous ai déjà parlé. Il y a dans les livres quelque chose d’absolument fabuleux. On a là, à portée de main, des milliers et des milliers d’histoires, des milliers et des milliers de vies qui s’offrent à nous. Il suffit d’ouvrir le livre et de tourner la page (papier ou électronique) pour que les personnages s’animent et reprennent vie. Ce qui fait que lorsque j’arrive dans un village ou en ville, je m’en vais directement à la bibliothèque ou à la librairie. Je fais comme au bar: — Je vais vous prendre un Goncourt, un Médicis, un Prix du Gouverneur général ou un Femina. ou encore: — Vous n’auriez pas un grand cru à me suggérer? Je suis rarement déçu. Je sais qu’il y aura là une histoire, un monde parallèle, imaginaire ou réel. Je sais qu’il y aura là la vie, tout simplement.

Bâbord amures

Je vous prendrai un livre…

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Derrière ce blogue:

Roger Ladouceur

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