Je suis un anti-fax

Quoi de mieux pour briser la glace de cette nouvelle collaboration avec Profession Santé que d’y aller avec un titre un peu provocateur sur un sujet qui meuble souvent les conversations de mes apéros avec ma conjointe depuis des années. Ma conjointe est pharmacienne… Quel beau tandem! Je ne compte plus le nombre de débats que nous avons tenus au sujet des télécopies, ce medium de communication libéralisé dans les années 80 et voyageant par les lignes téléphoniques d’Alexander Graham Bell. On aura beau le maquiller en télécopie infonuagique, une télécopie sera toujours une télécopie; c’est soit un papier, soit une image numérique d’un papier. Le fax est malgré tout devenu le symbole des communications médecin-pharmacien au Québec, mais aussi la risée des citoyens branchés qui critiquent le système de santé, avec raison. Au sein de mon comité consultatif conjugal visant l’abolition des télécopies dans les échanges interprofessionnels, nous avons, ma conjointe et moi, pensé et repensé toutes les solutions possibles. Surtout, nous avons plus récemment signé un traité de paix visant à éviter d’identifier les coupables de la survie du fax, médecins ou pharmaciens. Le traité n’a pas tenu bon, nous n’y arrivons pas. Pensez-y. À l’ère où chaque pharmacie est dotée d’un système informatisé de pharmacie communautaire (SIPC) et chaque clinique munie d’un dossier médical électronique (DMÉ), comment se fait-il que nous devions échanger des messages sur des papiers téléphoniques? Tant qu’à ça, je préfèrerais des pigeons voyageurs. Au moins ça mettrait de l’ambiance dans notre système de santé gravement malade. Nous sommes en 2021. Les pharmacies et les cliniques médicales dépensent des milliers de dollars pour utiliser chacun de leur côté un outil informatique. De part et d’autre, on y tient les informations à jour. Mais quand vient le temps de mettre en commun nos données pour collaborer, on doit sortir du système. Les SIPC et les DMÉ ne parlent pas ensemble! Je dois extraire une prescription du DMÉ pour l’envoyer au SIP et le pharmacien doit faire le chemin inverse s’il souhaite un changement ou un renouvellement. La télécopie et l’humain deviennent en quelque sorte des traducteurs… pour que le DMÉ puisse comprendre le SIPC et l’inverse. Le gros problème est là! Tout traducteur peut déformer le message! Je dois garder à jour ma liste de prescription dans mon DMÉ, le pharmacien garde ses informations à jour dans son SIPC. Décodage, encodage… à chaque étape son risque d’erreur! Si je signe tout bonnement le fax de demande de prescription et le retourne… mon DMÉ n’est pas à jour dans sa liste de médicaments! Et mon collègue qui consulte nos dossiers communs devra retracer la foutue télécopie numérisée quelque part dans le DMÉ plutôt que de se fier à la liste de médicaments au prescripteur. J’ai toujours pensé sincèrement que le Dossier Santé Québec (DSQ) était la solution ultime au problème. Véritable point de rencontre entre les SIPC et les DMÉ, il m’apparaissait clairement comme l’élu. Je prescris dedans, tu relèves et fais les ajustements dedans et pourquoi pas, même un système de messagerie intégré pour communiquer nos suggestions et informations pertinentes de part et d’autre. Eh bien non. Des années et des millions de dollars plus tard, on attend toujours que le ministère de la Santé termine la mission inachevée du DSQ. Gardons espoir, le MSSS a récemment lancé le projet «Prescription-Québec» qui poursuit précisément l’objectif de faire du DSQ une véritable passerelle entre les DMÉ et les SIPC. Échéancier prévu: automne 2022. D’ici là au moins, je garde ma liste de médicaments à jour grâce à la fonction de synchronisation entre mon DMÉ et le DSQ, quand ce dernier n’est pas en panne. D’ailleurs, j’ai une idée pour le MSSS: il pourrait nous aviser quand le DSQ est opérationnel au lieu de nous aviser lorsqu’il est en panne. Le nombre de courriel dans nos boîtes diminuerait inévitablement. Un des problèmes les plus répandus avec les télécopies, c’est l’affection variable que les professionnels de la santé y vouent. Certains médecins donnent comme consigne à leur secrétariat: «Je n’en veux pas de fax… Dites aux pharmaciens qu’ils demandent au patient de prendre rendez-vous et qu’ils prolongent en attendant.» D’autres mettent carrément sur leur message d’accueil téléphonique: «Si vous appelez pour un rendez-vous dans le but de renouveler votre médication, demandez à votre pharmacien qu’il nous envoie une télécopie.» L’insulte. Le pharmacien est maintenant devenu une succursale du secrétariat de la clinique médicale. J’entends d’ici le pharmacien s’offusquer: «Je lui dis de prendre rendez-vous, mais le médecin n’est pas accessible.» Soit, il y a du travail à faire pour augmenter l’accessibilité au médecin de famille. La diminution du temps consacré à analyser des télécopies et à y répondre peut faire partie des solutions. La pratique élargie du pharmacien peut également grandement aider à diminuer le nombre de visites médicales et ainsi augmenter l’accessibilité du médecin. En attendant les avancées technologiques qui signeront la fin de l’ère des télécopies, est-ce qu’on peut s’entendre sur une chose: Si tous les médecins déterminaient une durée d’ordonnance correspondant au temps voulu avant de réévaluer le patient, et que tous les pharmaciens acceptaient d’utiliser leur droit de prolonger les thérapies stables en attendant que le patient obtienne un rendez-vous, ce serait presque la mort annoncée du fax, non? Il ne nous restera qu’à attendre un vrai médium de communication entre médecin et pharmacien, destiné uniquement à échanger sur la santé de notre patient commun, de façon intégrée aux outils informatiques en place. Et voilà ! Le tour est joué! J’ai réglé le problème du fax! Magie, vous dites? Oui. Magie. Parce que je viens encore de retourner une télécopie à un pharmacien qui me demandait de prolonger une ordonnance… d’acétaminophène. Allez, collègue! Fais-toi confiance! Tu peux prolonger et même prescrire maintenant! Je persiste et je signe, je suis un anti-fax.

Pratique Santé

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Derrière ce blogue:

Mathieu Pelletier

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