J’ai échoué à l’évaluation par les pairs de l’OMCO

À l’époque, j’avais 66 ans (aujourd’hui j’en ai 76) et j’étais médecin généraliste à Cambridge (Ontario), à une heure de route à l’ouest de Toronto, juste au sud de Kitchener. J’ai reçu une lettre de l’Ordre des médecins et chirurgiens de l’Ontario (OMCO) — je déteste les lettres qui vous sont adressées et qui portent la mention «privé et confidentiel». Le courrier indiquait que je ferais l’objet d’une évaluation aléatoire par les pairs dans l’un des foyers de soins de longue durée où je travaillais. Cet établissement était le seul lieu dans ma pratique qui n’était pas informatisé. L’hôpital, l’autre foyer et ma clinique ont des dossiers dactylographiés ou informatisés, mais dans ce foyer, les dossiers contenaient mes vieux gribouillages en pattes de mouche. J’avais même commencé à dicter mes notes médicales, il y a 13 ans, parce que je savais que ce jour viendrait. Mais le collège a trouvé la faille dans mon armure. Mon pair évaluateur était un merveilleux médecin qui s’occupait également de foyers de soins de longue durée. Il a passé trois heures à examiner 12 dossiers choisis au hasard, puis m’a rencontré. «John, je suis choqué de constater à quel point vos dossiers sont clairsemés. On dirait les dossiers d’un service des urgences.» Je plaide coupable. J’ai été urgentiste pendant 20 ans et j’avais l’habitude de dessiner des visages souriants avec trois points de suture. Je me suis fait prendre sur le fait. L’évaluateur m’a également recommandé d'établir une «liste de problèmes» et de produire des graphiques des INRs (International Normalized Ratio) et des HbA1c. Ceux-ci étaient générés automatiquement dans tous mes autres lieux d’exercice. Je me suis senti mal et j’ai traversé les cinq étapes de la mort (de ma carrière). Avec mes excuses au Dr Kubler-Ross: Le déni: J’étais trop occupé pour ces choses insignifiantes. J’étais un excellent médecin, je voyais mes patients rapidement et je leur fournissais un véritable service. Négociation: Si je m’en tire à bon compte, je remonterai mes chaussettes lorsque ce foyer sera équipé d’un ordinateur. Colère: Si j’avais plus de temps, je serais meilleur que ces types dans leur tour d’ivoire qui voient trois patients par jour et ont une foule d’employés de bureau. Dépression: Je me suis senti terriblement mal; c’était ma première expérience négative en 40 ans de médecine. Acceptation: Je documentais mal mes dossiers et cela se répercutait sur mes soins. J’ai vraiment fait un examen de conscience. J’étais beaucoup trop occupé, avec 20 patients pris en charge au service de rééducation de l’hôpital, une maison de retraite, deux foyers de soins de longue durée, une ressource intermédiaire pour personnes âgées et un cabinet de médecine familiale, dont 50% des patients sont des aînés. J’ai démissionné de l’hôpital et j’ai demandé à deux nouveaux médecins de prendre en charge la ressource intermédiaire et la maison de retraite. Il est beaucoup plus difficile de travailler dans ces établissements que dans les foyers, car les patients y sont souvent aussi malades, mais bénéficient de moins de soins. J’ai également demandé à un autre médecin de partager ma patientèle dans le plus gros des deux foyers de soins de longue durée. Cela présentait en outre l’avantage que mes patients étaient pris en charge pendant mes vacances, mes congés de maladie et de formation. À mon retour au bureau, j'ai rattrapé mon retard et je n'ai pas eu à faire face à un arriéré de 40 patients le premier jour. Lire aussi: Les patients baby-boomers vieillissent, mais les médecins baby-boomers aussi Formation sur les dossiers médicaux J’ai suivi le cours sur les dossiers médicaux de l’Ordre des médecins et chirurgiens de l’Ontario, dirigé par le Dr Henry Wu, un médecin généraliste très occupé de Scarborough. La salle de formation était remplie d’une vingtaine de médecins, dont des spécialistes, des médecins en sans rendez-vous et des médecins de famille. Le Dr Wu a passé huit heures à nous enseigner l’importance d’une bonne prise de notes. Nous avons participé à des ateliers et apporté des exemples de nos propres dossiers et nous nous sommes mutuellement critiqués. Son message principal était que nous devions nous concentrer à «raconter l’histoire du patient», laisser une trace pour les médecins de garde, les spécialistes, notre personnel, le personnel paramédical, les avocats, les compagnies d’assurance et d’indemnisation des accidents du travail, mais surtout pour le patient lui-même. Lire aussi: Les fois où je dis «non» à mes patients Fausses excuses Je pense que beaucoup de médecins sont comme moi. Nous nous disons que nous sommes tout simplement trop occupés pour bien documenter nos dossiers. Mais ce n’est pas une excuse. La paperasserie et les dossiers médicaux électroniques (DME) font partie de notre travail et sont aussi importants que l’examen physique, les laboratoires, les imageries et les procédures. Si vous êtes trop occupé, changez de situation, faites-vous aider, dictez ou dotez-vous d'un DME. Si vous êtes si occupé, c’est que vous gagnez beaucoup d’argent et que vous pouvez vous offrir du temps, du soutien administratif, un DME ou un logiciel de dictée vocale. Nous ne pouvons pas utiliser l’argent comme excuse, nous sommes tous bien payés et à peu près tout le monde dans la société est informatisé, sauf la moitié des médecins. Après l’échec de mon évaluation par les pairs, je me suis donc mis au travail et j’ai pris le temps de compléter mes dossiers, sans me précipiter vers ma prochaine tâche. J’ai également trouvé un endroit calme pour travailler afin d’éviter les distractions. J’ai obtenu de bien meilleurs résultats lors de l’examen suivant, mais il me restait encore du chemin à parcourir. Par exemple, en ajoutant une analyse fonctionnelle et des antécédents sociaux à mes dossiers médicaux, ce qui était difficile, car mes patients étaient souvent déments et je devais retrouver leurs vieux dossiers et contacter des membres de leur famille. J’ai alors assisté à toutes les réunions d’admission avec les familles et j’en ai appris beaucoup plus sur les patients grâce à leurs proches. Cela me permettait aussi de faire une bonne première impression auprès du patient et de sa famille. Lire aussi: Nous devons apprendre aux médecins fraîchement diplômés à se ménager La rédemption Les mains tremblantes, j’ai ouvert la dernière lettre «privée et confidentielle» envoyée par l’OMCO et j’ai été ravi d’avoir obtenu les meilleures notes lors de mon évaluation par les pairs. Le plus beau dans cette histoire, c’est que je suis devenu un meilleur médecin et que je fais un meilleur travail parce que je détecte davantage de problèmes grâce à mes dossiers mieux tenus. Les patients, leurs familles, le personnel et moi-même sommes gagnants. Si vous souhaitez obtenir une copie de mes modèles de notes, envoyez-moi un courriel à l’adresse drjohncrosby@rogers.com. Le Dr John Crosby est médecin de famille à Cambridge, en Ontario. Vous souhaitez vous aussi faire valoir votre point de vue sur un enjeu du système de santé? Apporter une réflexion vis-à-vis de votre profession? 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