Intégration des TP: entre excitation et inquiétude

«Je suis fière et très optimiste!» s’exclame Hélène Gamelin lorsqu’on lui demande comment elle voit l’avenir. Cette finissante de la toute première cohorte de techniciens en pharmacie (TP) du Cégep de Drummondville a opéré une réorientation professionnelle: après plus de vingt ans à œuvrer en tant que technicienne en santé animale, elle a choisi de s’occuper des humains.Et après trois éprouvantes années de cégep, Hélène Gamelin est soulagée de pouvoir enfin nager dans le grand bain. «Faire partie de la première cohorte m’a poussée à me dépasser. Nous discutions beaucoup de nos attentes avec nos professeurs qui se sont adaptés, et les stages m’ont permis de mettre en pratique tout ce que j’avais appris, mais j’ai hâte d’être enfin sur mon terrain de jeu. Il y a d’ailleurs tellement de possibilités que c’est un peu angoissant de choisir [un milieu de pratique]!» sourit la mère de famille. Hélène Gamelin est néanmoins convaincue que les TP tailleront rapidement leur place au sein du réseau de la santé, dans les établissements de santé et dans les pharmacies communautaires. «Les pharmaciens nous attendent et les équipes aussi, ils veulent nous avoir comme collègues. [Notre présence] va faire une différence dans la répartition des tâches.»Or, l'arrivée des TP soulèvent malgré tout encore un grand nombre de questions: les pharmaciens délégueront-ils vraiment? La conciliation dans la répartition de certaines tâches entre les TP et les ATP se déroulera-t-elle sans anicroche? Le salaire des TP sera-t-il un frein à leur embauche?Des standards de pratique pour faciliter l'intégrationPour répondre à certaines de ces questions, «l’Ordre a justement déterminé des standards de pratique pour s’assurer de la bonne compréhension du rôle de chacun, rassure Patrick Boudreault, directeur principal de la Direction de la qualité de l’exercice et des relations partenaires à l’Ordre des pharmaciens (OPQ). On commence, et si nous avions été trop étanches, on aurait causé le chaos dans les milieux de pratique. Les ATP ont une job hyper importante qui va demeurer, et les pharmaciens seront délestés de certaines tâches plus cléricales. On voulait avoir des gens bien formés et qui avaient des compétences au jour zéro.»Supervision du travail technique, gestion du personnel, contrôles de qualité, gestion du changement, gestion du parc technologique… Voilà quelques-unes des tâches dévolues aux nouveaux TP, encadrées par un programme développé en collaboration avec les ministères de l’Éducation et de la Santé, «pour s’assurer d’avoir les bonnes compétences au bon niveau», précise Patrick Boudreault. «Les pharmaciens sont peut-être encore dans un certain niveau d’attente, de curiosité, reconnaît-il. Mais il faut faire confiance aux TP et les accueillir en stage. Les essayer, c’est les adopter!» Les stages sont vraiment un passage obligé pour mettre les connaissances nouvellement acquises des TP en pratique et repenser son cadre de travail, appuie Guylaine Bertrand de l'OPQ: «Cette relation de confiance entre le technicien et le pharmacien doit passer par le stage, c'est la meilleure façon de découvrir un potentiel. Onze Cégep à travers la province offrent le programme, donc toutes les pharmacies et les établissements de santé peuvent prendre des étudiants en stage. C’est un premier pas pour les intégrer plus facilement et éviter des réflexions comme "mon personnel est complet", "je ne sais pas où je vais les mettre", ou "je ne sais pas ce que je vais pouvoir faire avec".» À lire aussi: Injecter des techniciens dans le processus de vaccinationL'intérêt serait pourtant déjà bien présent chez les pharmaciens, à en croire les demandes d’informations que reçoit l’AQPP de la part de ses membres. «Ce qu’on entend le plus souvent est “comment je fais pour en avoir une?”. Il y a une inquiétude de ne pas avoir accès à la ressource», observe Marie-Pascale Beaulieu. Et pour cause, il ne devrait y avoir qu’une centaine de finissants cette année, en plus des parcours de reconnaissance des acquis et compétences (RAC) à répartir entre les 1900 pharmacies communautaires et tous les établissements de santé de la province. «Les TP vont arriver petit à petit, les pharmaciens ne vont pas remplacer les ressources existantes avec les nouvelles ressources. Il y a des besoins à combler et c’est d’abord là qu’ils iront», tempère la présidente de l’Association québécoise des assistantes et techniciens en pharmacie (AQATP), Marylène Lévesque. Du travail pour tout le monde et des rôles complémentaires: voilà le mot d’ordre de la profession à l’aube de cette évolution de la pratique pharmaceutique qui va demander du temps pour s’installer durablement. «Comme c’est un nouveau rôle, chacun va aller à son rythme. Un nouveau joueur dans l’équipe donne l’occasion de repenser certaines tâches, comme le triage et la priorisation des patients», estime Marie-Pascale Beaulieu. L'enjeu de la rémunérationReste une inconnue de taille: la rémunération de ces nouveaux techniciens. Devraient-ils être plus payés en vertu de leur parcours académique? Ou moins payés car ils n’ont pas d’expérience? «Le bagage clinique et les compétences en gestion et coordination des TP sont des atouts indéniables, et nous avons confiance que les pharmaciens sauront reconnaître leur valeur», espère Marylène Lévesque. L’AQPP a d’ailleurs diffusé un guide contenant une échelle salariale confidentielle à ses membres. «On propose une réflexion sur ce sujet pour que les pharmaciens puissent évaluer l’expérience, la compétence et la plus-value du TP pour l’équipe, précise Marie-Pascale Beaulieu. Mais chaque propriétaire sera libre de fixer son salaire pour être le plus attractif.» De son côté, l’Association des pharmaciens des établissements de santé (APES) renvoie, dans son guide pour l’intégration des TP, vers la grille salariale établie par le CPNSSS. Elle prévoit pour l’instant un salaire de base à 24,36$ de l’heure, pouvant aller jusqu’à 33,95$, tandis que le salaire d’un ATP est compris entre 21,89$ et 23,35$.Certains ATP craignent ainsi d’être lésés sur le plan financier. «Dans n’importe quel milieu de travail, quelqu’un qui a plus de diplômes doit être mieux payé, mais il faut comparer ce qui est comparable, alerte Cédric Renard, ATP senior dans la pharmacie Martin Duquette de Montréal. Quelqu’un qui sort de l’école avec un salaire fixé lors de l’embauche ne devrait, selon moi, pas gagner plus qu’une personne qui a 20 ans d’ancienneté et qui connaît super bien le travail. Il va falloir un juste milieu. Mais si on intègre en même temps une personne qui sort du DEP et une personne qui sort du TP, c’est normal que la seconde soit mieux payée que la première.»À lire aussi: Pour un réajustement salarial des assistants techniques en pharmacie hospitalière au QuébecL’Ordre promeut quant à lui la libre détermination de la rémunération par les milieux de pratique, en fonction du marché et de l’équipe en place. «Il faut voir d’un côté les ATP avec 10 ou 15 ans d’expérience et, de l’autre, des gens qui arrivent dans le monde du travail, mieux formés, prêts à prendre des tâches et des défis plus grands. Il n’y a pas que le diplôme qui détermine un niveau de rémunération», rappelle Patrick Boudreault. Les finissants de la première cohorte et les ATP en parcours de reconnaissance des acquis et compétences vont donc essuyer les pots cassés cette année, mais c’est pour la bonne cause, se rassure Hélène Gamelin. «Ça va se faire au fil des ans, nous ne sommes que la première cohorte et il va falloir attendre d'avoir un certain nombre de finissants sur le marché. Ça va prendre des années avant que tout se mette en place et qu’on nous fasse confiance.»

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