Instaurer la diminution progressive des benzodiazépines chez vos patients

Les benzodiazépines sont couramment prescrites pour traiter diverses affections allant de l'insomnie et l'anxiété aux troubles convulsifs et à la spasticité des muscles squelettiques1. En 2017, on comptait 533 prescriptions de benzodiazépines pour 1000 habitants au Canada2. Si ces médicaments sont efficaces à court terme, leur utilisation prolongée est associée à une myriade d'effets indésirables. C’est pourquoi de nombreuses lignes directrices ne les recommandent pas pour une utilisation à long terme3-6. Cela est particulièrement vrai pour la population âgée; les effets indésirables tels que l'augmentation du risque de chute, les troubles cognitifs, l'agitation paradoxale et la sursédation ont d’ailleurs conduit le groupe Choisir avec soin à recommander généralement de ne pas les utiliser chez ces patients7,8. Par ailleurs, l’apparition d'une accoutumance au fil du temps conduit souvent à une augmentation des doses de benzodiazépines, ce qui accroît encore davantage les risques d'effets secondaires et de dépendance9.Même si l’utilisation à long terme est rarement indiquée, dans la pratique, de nombreux patients consomment des benzodiazépines sur de longues périodes8. Étant donné la prévalence de l'utilisation à long terme, les cliniciens doivent souvent aider les patients à réduire graduellement leur consommation de benzodiazépines, et la tâche n’est pas simple.Engagez la conversation et informez vos patientsÉvoquer la diminution progressive des benzodiazépines avec les patients peut s’avérer délicat, et c'est peut-être ce qui explique pourquoi tant de personnes prennent des benzodiazépines sur le long terme. Cependant, compte tenu des nombreux effets indésirables que cela entraîne, il convient de passer outre les éventuelles réticences des patients, d’engager la discussion et de les accompagner dans ce processus souvent difficile.Après une évaluation clinique approfondie en collaboration avec l'équipe soignante du patient et le médecin prescripteur, informez le patient en vous abstenant de tout jugement. De nombreux patients ne sont tout simplement pas conscients des nombreux risques à long terme des benzodiazépines et n'ont jamais envisagé de réduire leur consommation parce qu'ils ne savaient pas que cela pouvait représenter un quelconque risque.À lire aussi: Déprescription: comment faire passer la pilule au patient?Il est prouvé que l'éducation favorise grandement l'arrêt des benzodiazépines ou la réduction de la dose quotidienne totale chez les patients âgés10. Il peut ainsi être judicieux d'aborder les nombreux risques potentiels et leurs répercussions en fonction des aspirations et du mode de vie du patient. Par exemple, mentionner le risque accru de chutes et de fractures peut être déterminant pour un patient de 67 ans qui souhaite apprendre à ses petits-enfants à jouer au football. De même, étant donné les nombreuses interactions entre les benzodiazépines et les médicaments couramment prescrits (par exemple, les antihistaminiques de première génération, les antihypertenseurs, les autres somnifères), il serait également souhaitable d'en informer les patients et de souligner les avantages potentiels d'une diminution graduelle de ces médicaments. Les patients ignorent souvent que les benzodiazépines sont à l'origine de leur somnolence diurne ou de leur lassitude lorsqu'elles sont associées à d'autres médicaments, et qu'une diminution de leur consommation peut améliorer leur vigilance, leur concentration et leur énergie tout au long de la journée.Proposez des solutions«Ne vous contentez pas de pointer les problèmes, proposez des solutions», m’a dit un sage collègue un jour. Même si la santé du patient est votre priorité, ce qu’il peut ressentir quand vous lui proposez de réduire sa consommation de benzodiazépines, c’est que vous voulez lui retirer son somnifère ou sa «pilule d'urgence» en cas d'anxiété. Il faut donc toujours chercher à comprendre pourquoi les patients prennent des benzodiazépines et leur offrir des alternatives, qu'il s'agisse d'une option pharmacologique plus sûre ou de stratégies non pharmacologiques pour les aider à gérer leur état. Vous pouvez même suggérer une évaluation du sommeil; le patient découvrira peut-être qu'il souffre en fait d'apnée obstructive du sommeil et que son insomnie serait mieux gérée avec un appareil de ventilation en pression positive continue qu'avec une benzodiazépine.Soyez conscient de ce qu'implique une diminution graduelleLes données relatives à la diminution progressive des benzodiazépines sont rares et il existe de nombreuses approches différentes. Un bon point de départ est de suivre la règle générale qui consiste à réduire la dose totale de 10 à 25% toutes les semaines ou toutes les deux semaines8,11. Le recours à une benzodiazépine particulière pour la réduction progressive n'est appuyée par aucune preuve solide. Toutefois, l'utilisation d'agents à longue durée d'action (par exemple, le diazépam ou le clonazépam) peut être bénéfique pour minimiser les symptômes de sevrage tout au long de la journée8,11. Les agents à courte durée d'action (par exemple, l'alprazolam) doivent être évités dans la mesure du possible, car ils nécessitent généralement des doses fréquentes et ils peuvent entraîner une plus grande instabilité et des symptômes de sevrage1. Bien que la demi-vie ultra-longue du diazépam et les nombreuses doses disponibles offrent de multiples avantages, son utilisation chez les personnes âgées et les personnes souffrant d'insuffisance hépatique doit être considérée avec prudence1,8.À lire aussi: Quels médicaments peuvent augmenter le risque de chute chez les personnes âgées?L'usage de plusieurs benzodiazépines devrait idéalement être remplacé par la prise d'une seule benzodiazépine à longue durée d'action afin de simplifier le processus. Bien que cela soit courant dans la pratique, il n'y a pas vraiment de raison pour qu'un patient prenne du clonazépam deux fois par jour, plus du lorazépam «au besoin». La réduction progressive doit généralement être effectuée avec des doses programmées, en évitant les doses «en cas de besoin» (prn)8.Vers la fin de la période de sevrage, il est raisonnable de ralentir le rythme de la diminution à la fois en termes de dose et de fréquence (par exemple, réduire de 5% toutes les 2 à 4 semaines)8. Cependant, il est important d'éviter d'étaler la période de diminution de la dose trop longtemps (> 6 mois) afin de minimiser le risque que les patients développent une dépendance psychologique supplémentaire11,12. Une approche ferme mais rassurante s'avère souvent utile.Rappelez aux patients les progrès significatifs qu'ils ont réalisés, ainsi que les nombreux avantages de cesser les benzodiazépines. Suggérez par ailleurs d'autres stratégies non pharmacologiques (par exemple, hygiène du sommeil, thérapie cognitivo-comportementale pour l'insomnie [TCC-I]) pour aider le patient à calmer ses inquiétudes12,13. Dans la mesure du possible, respectez les calendriers de réduction progressive prédéterminés et convenus, d'une manière ferme mais en faisant preuve d’un grand soutien. Si le patient présente des effets indésirables importants ou des symptômes de sevrage extrêmement pénibles, il est préférable d'interrompre la diminution graduelle, de réajuster la dose à l'étape précédente et de réévaluer la situation une à deux semaines plus tard pour reprendre la réduction progressive à un rythme plus lent.

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