Informer pour mieux soigner

Ce nouveau livre du Dr Alain Vadeboncoeur serait en quelque sorte une évidence. «C’est le sujet qui occupe ma pratique depuis 23 ans; ça ne pouvait aboutir qu’à ça», reconnaît l’auteur. À l’urgence de l’Institut de cardiologie de Montréal, le médecin a ausculté et soigné des centaines et des centaines de cœurs. Il a enseigné les rouages de cette pompe essentielle à la vie à une ribambelle d’étudiants et de résidents en médecine. Et il a mené de nombreuses recherches pour faire avancer la science cardiaque. Dans Cœurs, du premier au dernier battement, son expérience et tous ses savoirs – et même un peu plus – sont résumés en 272 pages. Destiné à M. et Mme tout le monde, l’ouvrage raconte la genèse du cœur depuis les premières cellules, il y 4,5 milliards d’années. L’urgentologue en détaille également les mécanismes, parfois complexes, ainsi que les multiples affections et indispositions qui peuvent contrarier son fonctionnement. Surtout, il indique à ses lecteurs comment se prémunir de ses défaillances. «J’ai passé ma vie à répondre aux questions des patients et des médias sur le cœur. La littératie concernant cet organe, comme de tous les autres d’ailleurs, est assez sommaire», constate le Dr Vadeboncoeur. Son but principal avec ce livre, le septième à son actif: «Informer les gens et les amener à avoir une réflexion sur leur cœur pour qu’ils se l’approprient. J’indique comment on le soigne et comment on peut le préserver. On a plus de pouvoir qu’on ne le pense sur cet organe vital. On peut réellement influencer son destin de manière très impressionnante.» Cet aspect prévention est trop souvent négligé, quand il n’est pas tout bonnement relégué au second plan, regrette le clinicien. En matière de soins cardiaques, «on a fait des progrès impressionnants ces 70 dernières années. Au point qu’on a l’impression de pouvoir tout soigner», souligne-t-il, en observant que la recherche médicale est principalement orientée vers les médicaments et les techniques médicales. «Ça a mis dans l’ombre la prévention, qui est bien plus puissante que la médication et que la plupart des interventions.» Médecin médiatique Très régulièrement interviewé dans les médias et omniprésent sur les réseaux sociaux, notamment durant la pandémie de COVID-19, le Dr Vadeboncoeur dit retrouver sa zone de confort avec ce livre. «C’est un retour aux sources qui m’a sorti un peu des échanges sur Twitter et Facebook qui sont devenus trop intenses. Avec la pandémie, la polarisation des perceptions s’est accentuée.» Cette prise de parole publique, l’urgentologue la voit comme une extension de sa pratique médicale. «C’est notre rôle de diffuser des infos fiables sur la santé. Si on n’occupe pas le terrain médiatique, il va être occupé par d’autres. Je considère que c’est un devoir d’y être, comme scientifique et comme médecin, même si ce n’est pas simple.» À l’inverse, cette visibilité que lui procurent les médias l’aide grandement dans sa pratique. Lorsque des patients arrivent à l’urgence, la grande majorité le reconnaissent. «C’est un peu injuste par rapport à mes confrères, car je n’ai pas beaucoup d’efforts à faire pour créer une relation de confiance. Elle est déjà là, ce qui me permet de me concentrer sur le reste.» La médecine est une langue incompréhensible Le Dr Vadeboncoeur reconnaît également qu’il a beaucoup appris de ses expériences à la télé, notamment lorsqu’il a animé de 2010 à 2013 l’émission Les docteurs diffusée à Radio-Canada. «Travailler avec des professionnels de la communication a amélioré ma capacité à communiquer. [Quand on s’adresse au grand public], il faut être compréhensible, trouver les bons mots, rester simple. Avant, je n’avais pas conscience que j’employais des mots compliqués.» Le problème de la médecine, estime l’urgentologue, c’est que c’est une langue de 5000 mots inintelligibles par la plupart des gens. «Seuls les médecins la parlent, sans même s’en rendre compte. Ça crée des problèmes de communication avec les patients. Après deux mots bulgares sur leur organe malade, ils sont dans le champ et décrochent complètement.» Si son ouvrage est destiné à des «non médecins», le Dr Vadeboncoeur estime qu’il pourrait néanmoins intéresser ses pairs, au-delà des anecdotes de pratique qui le jalonnent. «J’ai moi-même appris plein de choses en l’écrivant, notamment sur les origines du cœur et sa raison d'être fondamentale il y a 500 millions d’années alors que nous sommes devenus épais, au sens premier du terme, contrairement à la méduse. C’est éclairant sur bien des aspects de la fonction cardiaque et son évolution.» Un peu d’histoire À travers son livre, le clinicien relate également les avancées de la médecine cardiaque au fil des siècles et son accélération depuis les années 1950. On y (re)découvre par exemple les expériences du chirurgien américain C. Walton Lillehei au printemps 1954. Désespéré d’attendre l’avènement du cœur-poumon artificiel, il décide de brancher un enfant sur la circulation d’un de ses parents pour l’oxygéner et faire circuler son propre sang, ce qui lui permet d’arrêter son cœur afin de l’opérer. «Son idée aussi révolutionnaire que surprenante a fonctionné et il a sauvé une vingtaine d’enfants», souligne le Dr Vadeboncoeur. Il évoque aussi le Dr Werner Frossman, un médecin allemand, qui s’ouvre lui-même les veines du bras gauche en 1929 pour y introduire un cathéter de 65 centimètres, qui n’était autre qu’une sonde urinaire, et le glisser jusqu’à son cœur. Il passa à la postérité en radiographant la sonde qu’il avait faufilée jusqu’à son ventricule droit. «Ces médecins-là ont permis des avancées qualitatives incroyables. Il fallait des gens inconscients et ingénieux pour franchir ces étapes. Ça m’a fasciné de découvrir ça», témoigne le Dr Vadeboncoeur, convaincu que la science cardiovasculaire va encore faire des progrès. «On est toujours à un moment de l’histoire. Quand je vois ce qu’on m’a enseigné il y a 40 ans, qui sait ce qu’on pourra faire dans 40 ans!?»

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