Infections respiratoires: mieux trier les patients à l’urgence

«Quand je travaille à l’urgence et que je reçois un patient qui vient de passer 12 à 13 heures dans la salle d’attente et que je finis par lui dire “rentrez chez vous, buvez de l’eau et prenez du Tylénol”, c’est insatisfaisant et frustrant. Pour lui comme pour moi.» Spécialiste et chercheur en médecine d’urgence au CHU de l’Université Laval, le Dr Simon Berthelot est convaincu qu’il est possible d’abroger cette attente superflue en dotant les infirmières affectées au triage d’un outil prédictif fiable. Celui-ci leur permettrait d’«identifier et de stratifier les patients à risque de complications de ceux chez qui l’infection respiratoire est bénigne et qui n’ont pas besoin de voir un médecin.»L’intérêt d’un tel outil est manifeste pour réduire la pression exercée sur les urgences par les virus respiratoires, comme ce fut le cas au dernier temps des Fêtes durant lequel le trio Influenza, Covid-19 et VRS (virus respiratoire syncytial) a provoqué des pics d’achalandage records. «Les patients sans risque n’encombreraient pas les salles d’attente, alors que les patients à risque seraient vus plus rapidement par un médecin», résume le Dr Berthelot.Selon lui, ces patients ambulatoires sans risque de complications constituent un «fardeau clinique et économique pour le système de santé» et pour eux-mêmes aussi, souligne l’urgentologue. «Ces 12 à 13 heures d’attente, c’est énorme et c’est inacceptable pour le patient.» Le temps étant de l’argent, «ces temps d’attente inutiles sont très coûteux socialement parlant», insiste-t-il en ajoutant que l’idée n’est pas «de repousser [ces patients-là] pour les repousser», mais de «leur trouver la meilleure place», sachant que ce n’est pas l’urgence pour 30 à 60% d’entre eux, d’après ses estimations.Des outils prédictifs existent déjà. Dans le cadre d’une revue systématique des études ayant testé leur efficacité, qui a fait l’objet d’une publication dans la revue scientifique Heliyon, l’équipe de recherche du Dr Berthelot en a recensé 14. Trois d’entre eux ont du potentiel — le score de sévérité de pneumopathie (CURB 65), le Pandemic Medical Early Warning Score (PMEWS) et le score quick Sepsis-related Organ Failure Assessment (qSOFA) —, mais ils présentent des lacunes qui empêchent leur utilisation au triage. «Ils ne permettent pas de discriminer les vrais positifs des faux positifs, ils manquent de critères de sélection et, surtout, ils ont été développés pour identifier les personnes à risque de complications et non pas celles qui ne le sont pas», explique le médecin.Un prototype fin marsDevant ces constats, le Dr Berthelot et des collègues de trois autres centres hospitaliers ont donc décidé de développer leur propre outil prédictif dont la première version devrait être opérationnelle d’ici fin mars. Pour ce faire, ils ont réalisé une étude portant sur 1200 patients qui se sont présentés aux urgences entre février 2022 et mars 2023 avec des symptômes d’infection respiratoire. Leur évolution étant connue, les chercheurs ont ainsi pu cerner les caractéristiques à exploiter pour déterminer des règles de discrimination du risque de complications.Lire aussi: Un premier contact virtuel à l’urgenceAu départ, les chercheurs ont envisagé différentes options. Les patients de leur cohorte ont répondu à un questionnaire d’auto-évaluation à leur arrivée à l’urgence. «On s’est vite rendu compte qu’ils n’étaient pas capables d’apprécier objectivement leur condition, car ils manquent de discernement. Si une personne se présente à l’urgence, c’est qu’elle est déjà convaincue qu’elle est à risque», observe le Dr Berthelot. Les chercheurs leur ont également fait passer un test PCR, mais il ne s’est pas avéré si pertinent que ça en termes de prédiction. «Le test permet de confirmer que des gens ont une infection virale, mais celle-ci peut guérir seule, alors que d’autres sont très malades.»Finalement, l’urgentologue et ses collègues se sont orientés vers un outil qui combine questionnaire à arborescence pour les infirmières au triage et score PMEWS amélioré. «On est train de le peaufiner en y ajoutant des variables telles que le statut vaccinal, les comorbidités, la médication prise, le milieu socio-économique, le soutien à domicile», détaille le médecin. Une fois finalisé, l’outil sera testé sur le terrain dans le cadre d’une étude multicentrique canadienne. Pour qu’il soit adopté, «on veut qu’il soit à la fois fiable et facile d’usage, car les infirmières au triage ont déjà une charge de travail très élevée», souligne le Dr Berthelot.

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