Inconduites sexuelles: acquittement confirmé pour un médecin de famille

Le Dr Omid Aram va pouvoir dormir sur ses deux oreilles. Le médecin de famille, qui pratiquait à Gatineau à l’époque des faits, vient d’être définitivement acquitté des accusations d’inconduites sexuelles qui pesaient contre lui depuis avril 2020. Comme le Conseil de discipline du Collège des médecins du Québec (CMQ), le Tribunal des professions estime que le «manque de crédibilité» d’une des patientes concernées «affecte grandement le poids que (l’on) peut attribuer» à l’ensemble de ses dires concernant l’examen des seins effectué par l’omnipraticien. Le Tribunal des professions rejette donc l’appel intenté par le syndic du CMQ qui considérait, entre autres, que le Conseil de discipline avait mal apprécié les témoignages de la jeune femme, du médecin et de l’adjointe administrative qui l’a accompagné lors de la consultation en question. Pour ce faire, le Tribunal s’est notamment fié aux notes médicales du Dr Aram. Le 27 mars 2018, le médecin de famille reçoit en consultation une de ses patientes, une femme âgée de 27 ans alors étudiante en technique médicale. Selon elle, le but de ce rendez-vous était de mettre à jour son carnet de vaccination afin qu’elle puisse postuler à des stages. Durant la consultation, le Dr Aram lui propose d’effectuer un examen des seins, sans explication précise, et s’exécute. La patiente témoigne que la palpation se serait faite sans jaquette, en position debout. À un moment, elle indique que l’omnipraticien s’est retrouvé derrière elle, tenant ses deux seins dans ses mains pendant une minute et qu’il était si près qu’elle sentait ses parties génitales sur ses fesses. La patiente poursuit son témoignage en indiquant qu’aucun «chaperon» n’était présent dans la pièce. Elle rapporte enfin qu’elle était en panique et qu’elle a quitté rapidement le rendez-vous. Dix-sept mois plus tard, elle dépose une demande d’enquête auprès du syndic. La version du Dr Aram diffère radicalement. Le médecin affirme d’une part qu’il était accompagné d’une adjointe administrative de la clinique lors de la consultation. D’autre part, il signale, en se référant à ses notes médicales, que le but de ce rendez-vous était de renouveler la prescription relative à un mal de gorge pour lequel la patiente l’avait consulté précédemment, mais aussi de procéder à un «examen général pour le travail». Il souligne également que lorsqu’un examen des seins est requis pour un formulaire de travail, il procède «plus rapidement». Durant son audition devant le Conseil de discipline, l’adjointe administrative citée par le médecin confirme sa version. Elle indique que l’examen s’est fait rapidement, en précisant que le Dr Aram n’a jamais pris les deux seins de la patiente en même temps et qu’elle n’a vu aucun geste déplacé de sa part. Par la suite, elle témoigne qu’elle a quitté le bureau et que la patiente est venue la rejoindre pour remplir le formulaire. Dans sa décision rendue le 28 juillet 2021, le Conseil de discipline souligne qu’il existe «des divergences importantes entre (la) demande d’enquête (de la patiente), sa version (devant le syndic) et son témoignage rendu lors de l’audition.» De plus, le Conseil demeure perplexe vis-à-vis de l’affirmation selon laquelle elle aurait quitté les lieux de façon précipitée «puisque le dossier indique qu’elle a reçu certaines explications de la part (du Dr Aram) pour le carnet de vaccination. Et qu’en plus, elle devait faire remplir son formulaire par (l’adjointe administrative)». Par ailleurs, le Conseil s’expliquait «mal le délai entre la consultation du 23 mars 2018 et la demande d’enquête un an et demi plus tard». Le contenu du dossier médical prévaut En s’appuyant sur la jurisprudence qui, faute de preuve du contraire, fait valoir que les indications au dossier médical du patient «reflètent effectivement les constatations qui pouvaient être faites à ce moment», le Conseil a conclu que le syndic «n’a pas présenté une preuve claire et convaincante que (l’omnipraticien) a posé un geste abusif à caractère sexuel en caressant les seins de sa patiente le 23 mars 2018». Même s’il convient que le Conseil de discipline du CMQ a commis «des erreurs manifestes et déterminantes dans l’appréciation de la preuve», le Tribunal des professions constate lui aussi que le témoignage de la patiente «est contredit sur des éléments importants, telles les notes médicales déposées au dossier». Il observe que la jeune femme répète à plusieurs reprises que le but de la consultation était de faire remplir le formulaire de vaccination pour son école et que le seul examen effectué par le Dr Aram ce jour-là fut celui de ses seins. Or, la note précise que les raisons de la visite sont «renouvellement/mal de gorge/examen general (sic) pour le travail» et le Tribunal remarque que le médecin «y a aussi inscrit les résultats de divers examens au niveau du cou, du cœur, des poumons, de l’abdomen, des membres inférieurs et supérieurs, des téguments et des seins». Pour le Tribunal, étant donné que la fiabilité du contenu du dossier médical n’a pas été contestée par le syndic «et qu’il n’y a pas de raison de croire que (le Dr Aram) aurait, lors des deux consultations espacées d’un an, pu inscrire de fausses informations pour se protéger, (il) ne peut conclure que la version de (la patiente) est crédible sur ces éléments.» Le syndic avançait également que dans sa version écrite des faits, l’omnipraticien s’était excusé de son comportement et que ses excuses constituaient un aveu de sa conduite dérogatoire. Un argument rejeté par le Conseil de discipline qui a considéré que les excuses du Dr Aram «ne constituent pas une reconnaissance de faits et ne peuvent, par conséquent, être considérées comme des aveux». Ce raisonnement a été validé par le Tribunal des professions en s’appuyant sur l’article 2853.1 du Code civil, qui prévoit qu’une excuse ne peut constituer un aveu, ainsi que sur la jurisprudence qui exige qu’un aveu soit clair, sans ambiguïté et non équivoque. La conclusion du médecin «à l’effet qu’il est désolé constitue tout au plus des excuses qui ne peuvent être admises comme aveu», affirme le Tribunal. Lire aussi: Sa patiente se plaint du cou et du dos, il lui masse les seins et les fesses Témoignage peu fiable S’agissant de la seconde patiente qui portait peu ou prou les mêmes accusations que la première, le Conseil avait jugé que «ses explications semblent contradictoires et peu crédibles». Elle indiquait avoir consulté le Dr Aram à deux reprises, à huit mois d’intervalle, et que les deux fois, il lui avait examiné les seins sans jaquette ni chaperon. Elle le rencontre ainsi fin mai 2017, car elle souhaitait renouveler ses prescriptions et obtenir un document justifiant une absence pour le cégep alors qu’elle était malade. Le médecin lui aurait proposé un premier examen des seins qu’elle a accepté même si elle ne le consultait pas pour ça. Selon son témoignage, le praticien s’est retrouvé à un moment derrière elle, et a pris ses deux seins en même temps. Elle précise qu’elle était si proche de lui qu’elle sentait son torse dans son dos. Le 29 janvier 2018, la jeune femme désormais majeure revient voir le Dr Adam pour un renouvellement de prescriptions. Le médecin s’exécute et lui propose un second examen des seins. La patiente précise qu’elle était seule, et que la palpation s’est faite sans jaquette encore une fois. Convaincue a posteriori par sa mère que l’examen ne s’était pas déroulé de façon appropriée, elle dépose une demande d’enquête auprès du syndic du CMQ. Le Dr Aram a témoigné devant le Conseil qu’il se souvenait très bien de cette patiente puisqu’il était le médecin traitant de toute la famille, à l’exception du père. Il affirme que lors de la première consultation, il n’a pas procédé à un examen de ses seins, et que selon ses notes, il n’a examiné que son cou, son cœur, ses poumons et son abdomen afin de rédiger le billet médical justifiant son absence. L’omnipraticien prétend également que durant la seconde consultation en question, la jeune femme était accompagnée de sa partenaire, que cette dernière a assisté à la consultation et qu’il n’a commis aucun geste dérogatoire. Lire aussi: Un portrait inédit des inconduites sexuelles en milieu professionnel au Québec À l’audience, sa conjointe, qui était son adjointe à l’époque, confirme qu’elle était bien présente lors de la première consultation en question et qu’aucun examen des seins n’a eu lieu. Concernant la seconde consultation, une autre patiente présente à la clinique à ce jour-là confirme que la jeune femme était accompagnée par une personne et que cette dernière est entrée dans le bureau du Dr Aram. Cette témoin, citée par le médecin, dit s’en souvenir très bien, car elle était «arrivée en avance à son rendez-vous et que la patiente et sa compagne étaient très bruyantes». Pour le Conseil de discipline, «il est fort probable que l’examen des seins n’a pas eu lieu le 23 mai 2017». Quant à la consultation du mois de janvier 2018, le Conseil «ne comprend pas l’attitude de la patiente. En effet, alors qu’elle a la possibilité d’être suivie par un autre médecin avec qui elle se sent plus à l’aise, elle retourne quand même consulter (le Dr Aram). De plus, encore une fois lors de son témoignage, elle ne fait aucunement mention que l’intimé lui a caressé les seins.» Elle indique par ailleurs au Conseil qu’elle a quitté la clinique et que c’était «business as usual». En conséquence, le Conseil a conclu que le syndic n’avait pas «présenté une preuve claire et convaincante que (le Dr Aram) a posé un geste abusif à caractère sexuel». En appel, le syndic reprochait au Conseil d’avoir «retenu des motifs inacceptables pour disposer de la crédibilité de (la patiente) et de la fiabilité des versions qu’elle a données». En premier lieu, le Tribunal des professions constate que le syndic ne remet pas en cause les contradictions et les différences entre les versions données par la patiente à travers le temps. Ensuite, il considère que les «motifs inacceptables» soulevés par le syndic doivent être remis en contexte et que, ce faisant, le Conseil n’a pas commis «d’erreur manifeste et déterminante dans l’appréciation du témoignage (de la patiente)». Le Tribunal déclare donc qu’il ne peut pas infirmer sa décision.

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