«Il n’y aura pas de pilule miracle contre l’Alzheimer» - Serge Gauthier, neurologue

Avec le vieillissement de la population au Québec et dans le reste du Canada, la prolifération de la maladie d’Alzheimer inquiète. La Société Alzheimer du Canada et même l’Organisation mondiale de la santé parlent d’une épidémie qui aura d’importantes conséquences sur le système de santé.L’impact de la maladie d’Alzheimer sur la personne atteinte est évidemment important, mais il ne faut pas non plus sous-estimer les bouleversements qu’elle entraîne sur les proches des patients.Afin de les aider dans cette épreuve, les Dr Serge Gauthier et Judes Poirier viennent de publier un livre appuyé sur de riches assises scientifiques, mais dénué du jargon propre aux chercheurs.La maladie d’Alzheimer – Le guide cherche à répondre le plus concrètement possible aux préoccupations quotidiennes des familles dont un membre souffre de la maladie, de la première visite chez le médecin en passant par les traitements pharmacologiques disponibles et l’avenir de la recherche.Profession Santé a rencontré le Dr Serge Gauthier afin de connaître ses vues sur les moyens que la société québécoise peut mettre en place pour faire face à l’énorme défi que représente l’Alzheimer.Pourquoi avoir décidé de publier un livre destiné au grand public?Nous disposons aujourd’hui d’une masse d’informations scientifiques qui nous permettent d’avoir une meilleure compréhension des différents volets touchés par la maladie d’Alzheimer, tels que les considérations cliniques et sociales.Nous croyons également que le public est prêt pour un livre de cette nature, notamment parce que les baby-boomers arrivent à un âge où ils commencent à s’inquiéter à propos de la maladie. Quel est présentement l’état des lieux de l’Alzheimer au Québec et au Canada?Les meilleures estimations, qui sont une extrapolation d’une vaste étude menée dans les années 1980, nous portent à croire qu’environ une personne de plus de 65 ans sur 20 et qu'une personne de plus 85 ans sur trois souffrent d’une démence causée par l’Alzheimer ou par une maladie apparentée. Cela correspond aux chiffres que l’on voit dans d’autres pays. Quelles sont les causes possibles de l’Alzheimer?C’est l’une des grandes questions entourant la maladie que l’on se pose depuis maintenant plus d’un siècle. Pourquoi tout le monde n’en est pas atteint? Plusieurs pistes ont été explorées et continuent de l’être encore aujourd’hui.L’Alzheimer semble être une combinaison de facteurs qui diffèrent d’une personne à l’autre. Il y a tout d’abord des facteurs jouant un rôle sur la maladie et sur lesquels nous n’avons pas d’emprise, comme la génétique. Il y aurait aussi une panoplie d’autres facteurs, des composantes liées à l’âge et possiblement à la maladie de Parkinson, notamment. Sait-on ce qui se passe dans la tête d’une personne souffrant d’Alzheimer?L’image la plus fréquemment utilisée est celle d’un arbre dont l’écorce reste identique, mais qui s’érode de l’intérieur. La mémoire s’efface année après année, mais il y a aussi des conséquences sur la logique de la personne qui sont plus difficiles à comprendre pour les chercheurs.C’est une question difficile, car les personnes qui en souffrent ont parfois des moments de lucidité, même dans les stades sévères de la maladie. D’ailleurs, et c’est important de le souligner, il ne faut jamais tenir pour acquis que la personne ne comprend pas lorsqu’on lui parle.Cela veut dire que les connexions dans le cerveau sont encore présentes, mais qu’elles ne sont pas fonctionnelles, cause d’un réarrangement engendré par la maladie. Les nouveaux médicaments nous aideront peut-être un jour à prolonger les moments de lucidité des patients. Les médias grand public font parfois mention de «percées majeures dans le traitement de l’Alzheimer», de «pilule miracle». Pourra-t-on un jour guérir la maladie?Il n’y aura pas de «pilule miracle» ou de «diète miracle» contre l’Alzheimer. L’hypothèse de travail de la communauté scientifique, c’est que différents facteurs de protection peuvent jouer un rôle afin de retarder le plus longtemps possible l’émergence des symptômes. L’un de nos objectifs, c’est de donner plus de résistance au cerveau pour lui permettre de faire face à la maladie.Il y a par exemple des éléments sur lesquels nous pouvons travailler pour ralentir la progression de la maladie. Nous savons que les patients qui contrôlent bien leur hypertension risquent de subir moins rapidement les effets négatifs de l’Alzheimer. Nous savons aussi qu’un réseau social fort, une bonne éducation et une saine alimentation sont d’autres facteurs pouvant contribuer à retarder l’apparition des symptômes.En quoi l’éducation peut-elle retarder l’Alzheimer?Il est prouvé que l’apparition des symptômes sera retardée de plusieurs années chez une personne scolarisée par rapport à une personne qui l’est moins, grâce à ce l’on appelle la «réserve cognitive due à l’éducation».Lorsque nous sommes jeunes et que nous sommes à l’école en train d’apprendre des poèmes, la philosophie ou les mathématiques, nous pensons parfois que nous perdons notre temps! Or, notre cerveau se bâtit un réseau de synapses qui nous servira durant toute notre vie et qui va contribuer à combattre plus efficacement la progression de la maladie.Comme les personnes âgées sont aujourd’hui plus éduquées et en meilleure santé que leurs prédécesseurs, j’oserais même avancer qu’il devrait y avoir moins de personnes par 1000 habitants qui souffriront des symptômes de l’Alzheimer à 70 ans. Notre défi collectif, c’est qu’il y aura cependant beaucoup plus de personnes âgées! Êtes-vous alerté par ce phénomène de vieillissement de la population?Le vieillissement de la population est une réalité connue. Le premier défi à relever est le nombre de personnes que nous aurons à prendre en charge avec des familles toujours plus petites. Les réseaux sociaux sont mieux qu’il y a dix ans, c’est indéniable, mais c’est très rare que les patients puissent rester à la maison durant toute la maladie. L’Alzheimer se traite-t-elle vraiment à domicile?Les patients pourraient être soignés à domicile si leurs familles avaient le soutien nécessaire de la part du système de santé, notamment durant les stades plus avancés de la maladie.Mais il n’est pas nécessairement souhaitable pour un patient de vivre plus longtemps à un stade sévère de la maladie si on ne tient pas compte de sa qualité de vie. La famille doit aussi admettre que l’Alzheimer est une maladie mortelle.Afin d’aider les patients et leurs familles, nous abordons d’ailleurs dans le livre les grandes décisions qu’ils auront à prendre au fil de l’évolution de la maladie. Quelles autres ressources devraient être créées pour soutenir les patients et leurs proches?Les premières cliniques de prévention pour les patients atteints d’Alzheimer devraient voir le jour au cours des prochaines années.Il serait également très bien que des intervenants puissent accompagner les patients et leurs familles aux différents stades de la maladie. Le meilleur exemple serait un professionnel que l’on pourrait toujours appeler pour obtenir des conseils, à l’instar des infirmières pivots pour le cancer.Je souhaite également que les soins palliatifs destinés aux patients souffrant de la maladie soient un jour structurés comme ils le sont pour le cancer. Des petites mesures concrètes pourraient-elles être instaurées dans les établissements de santé dès demain?Grâce à la formation du personnel soignant, il y a eu de grandes avancées ces dernières années pour mieux soigner les patients souffrant d’Alzheimer. Cependant, dans le réseau, il y a ce réflexe encore trop présent de donner des pilules aux patients agités. Il faudrait plutôt cibler les causes de l’agitation, les facteurs pouvant être modifiés. Des tonnes de livres existent sur le sujet, mais il s’agit de les mettre en application.À ce titre, un geste facile à poser et qui pourrait avoir beaucoup d’impact serait que les familles fournissent au personnel soignant un cahier avec quelques mentions biographiques, des photos, des pièces musicales qu’aimait le patient. Un modèle de cette nature a déjà été développé aux États-Unis par la professeure Jiska Cohen-Mansfield.Ce petit résumé permettrait aux intervenants de savoir que tel patient était un architecte ou un dessinateur de profession. Peut-être que le simple fait de lui donner un crayon et du papier pourra avoir un impact positif sur son comportement. Comme il a déjà été démontré, des patients complètement confus à cause de l’Alzheimer peuvent parfois réaliser de splendides dessins.*La maladie d'Alzheimer - Le guide est publié par les Éditions du Trécarré.

«Il n’y aura pas de pilule miracle contre l’Alzheimer» - Serge Gauthier, neurologue

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