Hôpitaux indépendants sans but lucratif: la solution pour optimiser le système de santé?

Et si le Canada s’inspirait du modèle européen pour rendre son système de santé plus efficace? C’est ce que propose l’économiste de l’Institut économique de Montréal (IEDM), Emmanuelle B. Faubert, dans une récente note économique publiée sur le site du think tank. Selon elle, le recours aux hôpitaux indépendants à but non lucratif et un financement à l’activité permettrait de fournir de meilleurs services aux patients que le système centralisé aujourd’hui en place au Québec. En prenant exemple sur trois pays européens où les hôpitaux indépendants sans but lucratif sont très présents – les Pays-Bas, la France et l’Allemagne –, l’économiste de l’IEDM souligne les principaux avantages de ce modèle: une gestion décentralisée pour accorder plus de pouvoir et d’autonomie aux institutions;un financement à l’activité pour encourager les hôpitaux à prendre en charge davantage de patients et à prodiguer des soins de meilleure qualité;le recours aux assurances duplicatives et au co-paiement, assurant une meilleure autonomie financière des hôpitaux.Emmanuelle B. Faubert a choisi ces trois pays car ils surpassent le Canada en matière de prestation de soins: «alors que le Canada se classe 10e sur les 11 systèmes évalués dans le classement général [du Fonds du Commonwealth en 2021, ndlr], la France, l’Allemagne et les Pays-Bas occupent respectivement la 8e, la 5e et la 2e place», écrit-elle.Un postulat que nuance toutefois Anne Plourde, chercheuse à l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS), et auteure de l’ouvrage Santé Inc, mythes et faillites du privé en santé (éd. Écosociété). De prime abord, la chercheuse craint que «l’idée d’aller vers des OSBL [soit] une stratégie pour aboutir à la privatisation des services en santé. Une privatisation qui permettrait à des entreprises privées à but lucratif de fournir des services, et de les financer via des co-paiements et des assurances duplicatives.» Ce qui irait à l’encontre des grands principes du service public québécois, selon elle. Un nécessaire retour à une gestion moins centraliséeN'étant pas soumis à la même bureaucratie que les hôpitaux publics (comme c'est le cas au Canada), les hôpitaux indépendants à but non lucratif européens «disposent d’une plus grande autonomie dans la gestion de leurs opérations et sont largement autogérés», écrit Emmanuelle B. Faubert dans sa note. En France et en Allemagne, ces établissements peuvent ainsi adapter leur gestion administrative et leur modèle de rémunération à la réalité du terrain et exercer davantage de contrôle sur leurs activités. Une analyse que rejoint en partie la chercheuse de l’IRIS. Elle explique d'ailleurs qu'à l'origine, le système de santé québécois était très décentralisé, et laissait une grande autonomie de gouvernance à chaque établissement. Mais, peu à peu, «la gestion des services publics est devenue beaucoup trop centralisée et bureaucratique. C'est le résultat des réformes successives des dernières décennies». Si une décentralisation est possible et souhaitable dans le système public québécois, afin de conférer davantage de pouvoir décisionnel au niveau local, elle requiert des garde-fous, notamment en termes de composition des conseils d’administration des hôpitaux et de reddition de comptes si le financement est public. Dupliquer la rémunération à l’acte aux hôpitauxL’économiste Emmanuelle B. Faubert souligne par ailleurs la vertu du financement à l’activité plutôt que via les budgets globaux des gouvernements, établis sur la base des années précédentes, qui inciterait les hôpitaux à prendre en charge davantage de patients et offrir plus de services. Les patients ne seraient plus une source de coûts, mais de revenus. Le Québec accroît d’ailleurs son recours à ce système, puisque «25% du financement hospitalier est déterminé sur la base de l’activité», rapporte la note de l’IEDM.À lire aussi: Les chirurgies au privé sont 140 fois plus nombreuses qu'avant en Outaouais«Il s’agit de la même logique que la rémunération à l’acte des médecins, observe Anne Plourde. Donc, il y aurait une tarification prévue pour chaque acte, pour chaque activité médicale ou de santé prodigués par l'hôpital.» Un modèle qui favorise la quantité au détriment de la qualité des soins, d’après la chercheuse de l’IRIS, et qui pourrait amener les hôpitaux à prioriser certains services plus rémunérateurs mais qui ne répondent pas aux besoins du terrain, voire à sous-traiter certaines activités. «On s’oriente en fait vers de potentielles coupes budgétaires dans un contexte de nouvelle gestion publique centrée sur l'optimisation des ressources et la mesure des indicateurs», estime-t-elle.En outre, ce financement à l’activité pose la question de la bureaucratie qui l’accompagne. «Dans les années 80, on avait 800 actes médicaux codifiés, et on s'est rendus à 11 000 dans les années 2010. C'est tellement complexe que les médecins eux-mêmes doivent faire affaire avec des firmes spécialisées pour gérer leur rémunération. Ça génère une quantité de travail administratif énorme. Et là, on veut étendre ce mode de financement aux hôpitaux. Je ne vois pas comment ça va améliorer leur efficacité», conclut Anne Plourde. Les assurances duplicatives, le risque d’un système à deux vitessesMais les hôpitaux indépendants sans but lucratif ont une dernière corde à leur arc, assure l’économiste de l’IEDM: les assurances duplicatives et le co-paiement. Selon Emmanuelle B. Faubert, «lorsque les soins hospitaliers sont payés par les assureurs plutôt que par les budgets globaux des gouvernements, l’autonomie financière des hôpitaux privés sans but lucratif est accrue», car «l’assurance privée, qu’elle soit complémentaire, dupliquée ou globale, permet une meilleure couverture et une plus grande flexibilité, tant pour les hôpitaux que pour les patients.» En d’autres termes, il faudrait revenir sur l’interdiction des assurances duplicatives actuellement en vigueur au Québec. Un non-sens pour la chercheuse de l’IRIS Anne Plourde. «Ça a été pensé comme un mécanisme fondamental pour empêcher le développement d'un marché privé parallèle qui viendrait phagocyter les ressources du secteur public.» D’après elle, l’accès aux services professionnels non couverts par la RAMQ est déjà inégalitaire, car il dépend du type d’assurance privée et des moyens de chaque habitant – tout comme pour le principe de co-paiement. «En plus, l’interdiction des assurances duplicatives fonctionne très bien chez les médecins, puisqu’elle les retient dans le secteur public. Si on les autorise dans les hôpitaux, on risque de voir partir nos médecins vers le privé», ajoute la chercheuse. «L’État a trop souvent utilisé les OSBL comme une manière de sous-traiter»Anne Plourde en est convaincue, les hôpitaux indépendants à but non lucratif pourraient être une solution, seulement s’ils sont fermement encadrés. «Au Québec, nous avons confié des services aux OSBL, comme le soutien à domicile. Les entreprises d'économie sociale jouent un rôle très important, les organismes communautaires aussi.» Les organismes de services sociaux représentaient 8,5% des OBNL au Canada en 2023. Malgré ce point positif, la chercheuse observe que les conditions de travail et la qualité des services se sont dégradées dans les entreprises d’économie sociale. «L’État a trop souvent utilisé les OSBL comme une manière de sous-traiter, à moindre coût, des services qui étaient auparavant offerts dans le secteur public, regrette-t-elle. Si on veut aller vers un modèle où on laisse plus de place aux OSBL, il ne faut pas que ce soit dans une optique de réduction des coûts.» Surtout, il s’agirait selon elle de mieux répartir les financements vers la prévention et la première ligne pour, in fine, réduire la demande de services et les besoins. «Mais tout ça peut difficilement se faire dans un cadre privé, car la prévention, ce n’est pas très payant. Donc ça prend un système public fort pour être capable d'aller vers ces mesures.»

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