«Hit by a cow»: Réflexion sur la pratique médicale

Quand j'étais enfant, il arrivait qu'une vache vêle dans le champ. C'était rare, puisque les vaches mettaient plutôt bas à l’étable. Mais cela se produisait. Mon père me demandait alors d'aller chercher le veau. Je prenais le vieux Mc Cormick1, le W-4, j'accrochais le trailer, puis je partais à la recherche du veau et de sa mère. Habituellement, je les retrouvais sur le grand coteau, à l’abri du vent, cachés par les cenelliers et à l’ombre du grand chêne.J'étais alors témoin d'une scène inhabituelle et presque loufoque. Le veau qui n’était au monde que depuis quelques heures avait réussi, cahin-caha, à se mettre sur ses pattes et n’avait qu’une idée en tête: trouver le pis nourricier pendant que sa mère le pourléchait à grands coups de langue.Je prenais alors le bébé dans mes bras et le mettais dans la remorque. Tout un exploit quand on pense que je n’étais guère plus gros que le veau. Puis, je revenais doucement vers l'étable. La vache suivait docilement son bébé.Aujourd'hui, je suis allé travailler à l'Unité de débordement de la Covid-19 dans un hôpital de campagne de ma région. Comme j'ai reçu le vaccin, il y a trois semaines, je me suis dit que c'était de mon devoir d'aller aider.La plupart des personnes qui m'ont été attribuées étaient très vieilles. Elles souffraient généralement de démence avancée, d'Alzheimer ou vasculaire. Plusieurs étaient parkinsoniennes. Pour la plupart, elles étaient grabataires, alitées, souffrant d'insuffisances diverses, cardiaques, pulmonaires, rénales et hépatiques. Elles avaient eu le malheur, en plus, de contracter la Covid. Et, en parcourant le dossier de l'une d'elles, j’ai trouvé la mention suivante dans ses antécédents: «Multiple trauma- Hit by a cow».Wow!Avez-vous souvent vu cela, vous, dans un dossier médical: «Hit by a cow»? En tout cas, en ville, là où j’ai passé le plus clair de ma vie professionnelle, je ne me souviens pas d’avoir vu une pareille mention … mais c’est vrai que les vaches sont plutôt rarissimes à Verdun !!!Cela m’a rappelé «la grosse Juliette» – c'était le nom que mon père avait donné à la chef du troupeau. J’imagine que la grosse Juliette aurait bien pu me charger et me blesser sérieusement si une pulsion l’en avait prise. À l’époque, j’étais haut comme trois pommes et je ne n’aurais pas fait le poids contre l’énorme ruminant. Sa tête à elle-seule m’apparaissait gigantesque. Le petit bonhomme que j’étais ne devait pas l’apeurer beaucoup. Elle m’a sans doute fait une faveur.J’étais donc là, au poste, à penser à tout cela, à me demander si cette faveur qu'elle m'avait faite, transparaissait chez ceux qui m'avaient été confiés? Moi, qui n'ai pas été «hit by a cow», suis-je à la hauteur des attentes? Suis-je un bon médecin?Qui sommes-nous, nous, médecins de famille? À califourchon entre la Science et l’Art. Dotés de pouvoirs et de connaissances que nous avons acquis et que nous appliquons consciencieusement. Tenants de l’histoire et du vécu de nos patients. Sensibles à leur volonté et leurs attentes, et celles de leurs proches.J’ai souvent pensé que la médecine familiale était une spécialité trop difficile à exercer. J’ai souvent trouvé que les attentes que l’on avait à notre égard étaient trop élevées; que celles que nous nous imposions nous-mêmes étaient bien trop grandes; que le spectre du «bon vieux médecin de village», le bon Docteur Welby (omniprésent et omnipuissant), était bien trop lourd à porter. Pas surprenant que tant de jeunes résidents préfèrent se réfugier dans l’exercice de l’urgence ou d’une autre sous-spécialité.Toutefois, j’avoue que lire dans un dossier «hit by a cow» change la perspective.La vie est faite de plein d’événements et de rebondissements sur lesquels nous avons bien peu de contrôle. 1. https://www.youtube.com/watch?v=Ea3yWVC8JF8

«Hit by a cow»: Réflexion sur la pratique médicale

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Roger Ladouceur