Hausse du taux d’inclusion des gains en capital: agir ou pas avant le 25 juin?

Depuis l’annonce mi-avril de la hausse du taux d’inclusion des gains en capital, le téléphone des conseillers financiers ne dérougit pas. «C’est un sujet de préoccupation et d’inquiétude pour les médecins qui n’ont pas de fonds de pension et qui ne peuvent compter que sur leurs investissements et placements pour leur retraite. La très certaine hausse du taux d’inclusion peut devenir un obstacle pour leur accumulation d’épargne», observe Sébastien Chevrier, conseiller principal en gestion de patrimoine chez Physicians Wealth Advisory, un cabinet de conseil financier basé à Toronto dont la clientèle est composée principalement de cliniciens. Les questionnements de ces derniers sont légitimes. Lors de la présentation de son budget 2024, le gouvernement fédéral a notifié son intention de hausser le taux d’inclusion des gains en capital pour les sociétés et les fiducies, qui passerait de 50% à 66,67%, et ce dès le premier dollar. Les gains en capital réalisés par les particuliers à compter du 25 juin 2024 ne seront quant à eux soumis au taux d’inclusion majoré que sur la portion de ces gains excédant le seuil annuel de 250 000$ (déduction faite des pertes en capital).Tous les détails de ces mesures n’ont pas encore été rendus publics et la loi distincte du budget fédéral qui doit les entériner n’a pas encore été ratifiée. Si l’annonce d’Ottawa a suscité une levée de boucliers, notamment de l’Association médicale canadienne, il y a peu de chances que le gouvernement renonce à la hausse du taux d’inclusion, estime Nicolas Karaoglanian, conseiller en gestion de patrimoine chez fdp Gestion privée (anciennement la Financière des professionnels). «Ottawa doit trouver de l’argent quelque part, ils ne feront pas machine arrière», affirme-t-il en ajoutant que cela aura forcément un impact sur la fiscalité des médecins.Impacts variablesDans quelle mesure? «C’est difficile à dire, car c’est une question relativement complexe et parce que chaque situation est assez unique. Tout dépend du niveau d’imposition sur le revenu», indique Jean-François Bordeleau. Le directeur de la pratique professionnelle en placement pour Gestion financière MD renvoie néanmoins vers des simulations réalisées par sa société.S’agissant par exemple des gains en capital personnels, les particuliers bénéficieront d’un taux d’inclusion progressif. Sur la première tranche de 250 000$ de gains en capital au cours d’une année, le taux d’inclusion actuel de 50% sera maintenu. Les gains supérieurs à 250 000$ au cours d’une même année seront en revanche soumis au nouveau taux de 66,7%. Ainsi, pour une personne assujettie au taux d’imposition marginal le plus élevé (50%), la réalisation d’un gain en capital de 350 000$ après le 25 juin pourrait se traduire par une hausse de sa facture fiscale de 8355$ comparé à la réalisation de ce même gain avant le 25 juin. Pour les gains en capital des sociétés, le seuil de 66,7% s’appliquerait en revanche dès le premier dollar de gain. Toutefois, «la nature de l’imposition du revenu de placement au sein d’une société vient complexifier le calcul», précise Gestion financière MD qui compare un gain en capital de 10 000$ réalisé avant le 25 juin et après, en utilisant le taux d’imposition de l’Ontario, «car il s’agit d’un bon point médian parmi toutes les provinces». Si un gain en capital est réalisé après le 25 juin et que les fonds sont conservés dans la société, l’impôt augmentera de 8,37%. Si ce gain est distribué aux actionnaires, la facture fiscale de la société augmentera de 3,36%. Dans ce cas-ci, «si l’on ajoute l’impôt des particuliers d’une personne se situant dans la tranche d’imposition de 220 000$ à 246 000$, l’impôt total passera à 9,05%».Prendre du reculDans ce contexte, quoi faire et quelles décisions prendre? «Ça ne sert à rien de paniquer et de faire des choix inconsidérés», prévient Sébastien Chevrier. Ce dernier suggère d'ailleurs fortement de prendre un pas de recul et de consulter son comptable ou son fiscaliste pour adopter une décision sensée. «Ça se regarde en détail en fonction du niveau d’imposition qui influe grandement», insiste le conseiller financier. Il y voit l’opportunité de diversifier ses investissements, sur le bon vieux principe de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier, en profitant notamment des véhicules libres d’impôt, REER (régime enregistré d’épargne-retraite), REEE (régime enregistré d’épargne-études) et CELI (compte d’épargne libre d’impôt).Selon Jean-François Bordeleau, et ses confrères, le principal facteur à prendre en considération reste le besoin de liquidités à court terme, moins de trois ans grosso modo. «Si l’on veut financer un projet, comme s’acheter une voiture, se payer des vacances somptueuses ou encore investir dans un chalet, il ne faut pas attendre les nouvelles règles. Il vaut mieux réaliser son gain en capital avant le 25 juin pour alléger sa facture fiscale», explique le directeur chez Gestion financière MD.Lire aussi: Augmenter l’impôt sur le gain en capital nuirait à l’investissementNicolas Karaoglanian apporte toutefois un bémol, en rappelant qu’il y a des frais comptables, de l’ordre de 750$ à 1500$, pour procéder à la réalisation d’un gain en capital au sein d’une société. «Il faut que le gain soit supérieur à 40 000$ pour que ce soit pertinent. En deçà, ce n’est pas intéressant», signale le conseiller.Si le professionnel n’a pas besoin de fonds à brève échéance, «il vaut mieux ne rien faire», recommande Jean-François Bordeleau. «C’est une question de mathématiques. En réalisant son gain en capital, on obtient un avantage fiscal à court terme. Mais le montant retiré ne va plus croître dans un placement. Or si ce placement a un rendement de 4% pendant 10 ans, cela viendra largement compenser la hausse de l’imposition.»Remise en question de l’incorporation?Au-delà de la facture fiscale liée à la hausse du taux d’inclusion des gains en capital, plusieurs médecins se demandent si l’incorporation est encore pertinente. Nicolas Karaoglanian répond par l’affirmative, sans hésiter. «Les gains en capital demeurent le meilleur moyen de faire du rendement à long terme. Ça va l’être un peu moins qu’à 50%, mais ça reste tout de même très avantageux comparé aux dividendes.» Jean-François Bordeleau partage cet avis. «Ça fait encore du sens de s’incorporer, car c’est toujours un véhicule qui permet d’accumuler de l’actif dans la société pour reporter l’impôt plus tard.»Sébastien Chevrier apporte toutefois une nuance. «Les jeunes médecins ont des priorités différentes. Ils veulent épargner, mais ils ont des dettes à rembourser et ils ont une trésorerie à gérer. L’incorporation est une procédure assez dispendieuse, et si l’avantage fiscal des gains en capital est réduit, ils pourraient réfléchir à retarder leur incorporation pour payer leurs dettes ou privilégier leur REER ou leur CELI.»

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