Fuite des médecins vers le privé: des garde-fous sont nécessaires, pour l’AMC

Le ministre de la Santé Christian Dubé l'affirmait en mai dernier lors du congrès Première Ligne en santé: il ne faut pas ostraciser le secteur privé. Nombre de médecins québécois semblent l’avoir pris au mot. Ils n’ont en effet jamais été aussi nombreux à quitter le secteur public pour le privé. Selon des données préliminaires de la RAMQ, 780 omnipraticiens et spécialistes sont actuellement recensés comme «non participants ou désengagés», et ne facturent donc plus la régie publique pour leurs services. C’est la plus forte augmentation annuelle jamais enregistrée, avec une hausse de 22% par rapport aux 641 recensés l’année dernière, à en croire le quotidien anglophone The Gazette. Les omnipraticiens sont deux fois plus nombreux à avoir sauté le pas que les spécialistes. Chez ces derniers, les catégories les plus concernées sont les dermatologues, les chirurgiens orthopédistes et les anesthésistes. Et parmi l’ensemble des médecins qui font ce choix, les plus jeunes y sont les plus enclins: 162 médecins ayant moins de 5 ans d’expérience pratiquent au privé, soit six fois plus qu’il y a dix ans. Certains résidents passent même directement par la case privé en sortant de la Faculté.À lire aussi: «La médecine de famille est à un tournant»Au-delà d’aggraver la pénurie de main-d’œuvre dans le secteur public, cette fuite des médecins vers le privé pose la question de l’accessibilité équitable des soins, alertent plusieurs associations professionnelles. Jusqu’à créer un système de santé à deux vitesses dans la province, entre les patients capables de payer pour leurs soins, et les autres. Si le Québec est la province championne des médecins non participants au système public selon l’Association médicale canadienne (AMC), la préoccupation est la même à l’échelle nationale. «Le statu quo n'est pas une option»Hasard du calendrier, c'est dans ce contexte que l’AMC a publié, le 23 juillet, son projet de politique sur la gestion de l’équilibre entre le public et le privé dans le système de santé. La rhétorique de l'association s’articule autour de trois termes forts: l’équité, l’accès et la qualité des soins. «Le statu quo n'étant tout simplement pas une option, notre système de santé doit s'adapter et évoluer en s'engageant à créer des solutions accessibles, rentables, durables et de grande qualité», affirment ainsi les présidentes de l’AMC, les Dres Joss Reimer et Kathleen Ross dans un communiqué. Le système de santé doit reposer sur les besoins des patients et non leur capacité à payer. Pendant un an, l’AMC a donc examiné des données probantes et mené des consultations auprès de plus de 10 000 médecins, prestataires de soins de santé, responsables politiques et patient(e)s. «Un consensus national s'est établi sur le fait que notre système de santé ne doit pas favoriser les personnes qui ont les moyens de payer pour ces services», indique l’association, selon laquelle les prestataires de soins privés financés par l’État pourraient in fine nuire au système public qu'ils veulent désengorger.Les 22 recommandations de l'AMC, destinées à orienter les politiques sur les soins de santé publics-privés au Canada, reposent sur sept principes: la qualité des soins primairesreddition de comptes et transparencesoins completssoins intégrésautonomie cliniquedurabilité et abordabilitéresponsabilité professionnelleL'AMC préconise par exemple que les médecins puissent choisir leur milieu de pratique et de se désaffilier du régime d’assurance maladie public à condition que l’accès des patients aux soins financés par l’État ne soit pas compromis, que les praticiens «reconnaissent et divulguent les situations de conflits d’intérêts potentiels». D’après l’association, «il est démontré que la désaffiliation améliorerait l’accès aux services pour l’ensemble de la population, augmenterait la capacité du système de soins de santé et réduirait les temps d’attente».À lire aussi: «Le MSSS et Santé Québec n’ont pas de vision pour la première ligne»En outre, le rapport exhorte les gouvernements à former des équipes de première ligne interdisciplinaires et collaboratives accessibles à 50% des Canadiens d’ici cinq ans, et 80% d’ici 10 ans, sans que ces derniers aient à payer des frais privés afin de recevoir leurs principaux soins de santé.Le rapport mentionne également l’importance de faire respecter l’interdiction, prévue par la loi Canadienne sur la santé, d’imposer des frais aux patients pour l’accès à des soins primaires financés par l’État, et d’offrir aux Canadiens la possibilité d’aller se faire soigner ailleurs que dans leur province ou territoire si les soins ne peuvent lui être fournis dans un délai raisonnable. La facture revenant à leur province ou territoire de résidence. Une version définitive de ces recommandations devrait être publiée à l’automne.

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