Formés à la «médecine de brousse», sur la Côte-Nord

Gabriel Couture et son homonyme Gabriel Lamothe ont les yeux qui brillent et leurs mots se bousculent quand ils racontent les 10 jours qu’ils ont passés fin juillet à la pourvoirie du Lac Dionne, située à une cinquantaine de kilomètres de Baie-Comeau. «C’était vraiment le fun!» témoignent à l’unisson les deux étudiants en médecine de l’Université Laval. Avec 22 camarades du préexternat, ils ont participé à un stage sur la pratique de la médecine avec des ressources limitées dont l’objectif est d’explorer les défis des soins d’urgence en milieu sauvage et isolé.«C’était extrêmement pédagogique et très concret. Ça nous a poussés hors de notre zone de confort. On a appris plein de choses qui ne s’acquièrent pas sur les bancs d’école. C’est un des meilleurs stages auquel j’ai participé», considère Gabriel Couture, qui s’apprête à entrer en troisième année de médecine. «Je recommande absolument ce stage, sans hésiter», poursuit Gabriel Lamothe. «C’est différent de ce qu’on apprend à la faculté. On a été plongé dans le monde des premiers soins critiques qui n’a rien à voir avec une consultation one-on-one avec un patient à l’hôpital», observe le jeune homme qui, après avoir porté secours à des victimes «dans le chaos et sous pression», se dit «plus confiant» à l’orée de sa quatrième année. Ce stage, qui en est à sa sixième édition, n’a pas d’équivalent au Canada, assure son créateur et responsable pédagogique, le Dr David Paré. À travers des simulations d’accidents divers et variés, qui mettent à l’épreuve les étudiants et leur sang-froid, «on leur apprend à réfléchir en utilisant les ressources qui sont devant eux, et pas seulement ce qui se trouve dans leurs livres», explique l’urgentologue à l’Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec, également professeur de clinique à la Faculté de médecine de l’UL.Accident d’autobus, randonnée en forêt qui tourne mal, réaction allergique subite, bûcheron blessé par sa scie à chaîne, «on tire l’élastique pour pousser le réalisme au maximum. Il y a des cris, des pleurs, du faux sang, des fumigènes», se délecte le Dr Paré, qui avoue chercher à déstabiliser les stagiaires en les prenant par surprise. «Pas une journée ne se ressemble. Les étudiants cherchent toujours à anticiper la prochaine simulation, mais on innove à tous les jours et on change les formats d’apprentissage.»Chaque simulation remplit un objectif précis. Des fois, la théorie précède la mise en pratique; d’autres fois, les futurs médecins sont mis dans le bain sur des techniques ou des approches qu’ils n’ont pas encore abordées. «Ça peut les déstabiliser», admet l’urgentologue en soulignant que «le cerveau de chacun ne fonctionne pas de la même façon. En variant les méthodes pédagogiques, on vient rejoindre un peu tout le monde.»Tour à tour, les stagiaires endossent le rôle des victimes et des secouristes, ce qui leur permet de voir les deux côtés de la médaille. «La majorité des étudiants n’ont pas encore eu de contacts avec des patients, signale le Dr Paré. Quand ils jouent la victime, c’est bénéfique à plusieurs niveaux», précise-t-il en soulignant qu’en mettant simplement une jaquette, «on se sent vulnérable». Dans le cadre des simulations, les participants se rendent ainsi compte de petits détails de confort qui ont leur importance. «Se faire transporter avec des roches en dessous ou rester la face au soleil, ce n’est pas très agréable.» Ils s’aperçoivent également que la communication est tout aussi importante: «Une voix rassurante versus une personne qui crie, ça fait toute une différence. Dans le contact avec le patient, le ton qu’on emploie, c’est une énorme partie du traitement», assure l’urgentologue. Il coanime le stage avec le médecin de famille Jean Désy, qui a pratiqué plus de 30 ans dans le Grand Nord québécois, et Nikola Wagner, guide de montagne et instructeur de secourisme à la Croix-Rouge.La leçon par l’expérienceGabriel Couture a bien aimé se faire prendre au dépourvu. «On ne savait jamais à quoi s’attendre. C’était à la fois stressant et stimulant», mentionne l’étudiant présentant déjà un intérêt prononcé pour la médecine d’urgence. Il a particulièrement apprécié la simulation de l’accident d’autobus sur laquelle il est intervenu comme secouriste. «L’autobus était en feu, il y avait huit ou neuf victimes, certaines à l’intérieur, d’autres en dessous. Je me suis vite occupé d’une personne qui se trouvait sous l’autobus. Elle avait une fracture ouverte à la jambe droite avec hémorragie et une blessure à l’abdomen. On s’est tous précipités pour porter secours, sans avoir une vision globale de la scène.» Résultat: le lieu n’était pas sécuritaire et les secouristes n’ont pas vu qu’une victime en arrêt cardio-respiratoire était coincée sous le véhicule. La leçon a vite été retenue: «Dans une situation d’urgence, on ne doit pas gérer un problème à la fois. On doit avoir une vue d’ensemble pour ensuite déterminer les priorités», explique Gabriel Couture.Lire aussi: Être bien préparé pour affronter des situations médicales déstabilisantesGabriel Lamothe se souvient quant à lui de la dernière soirée du stage. Le groupe pensait en avoir fini. «On était assis à l’extérieur, en train de jouer, quand on a entendu un appel de détresse sur un talkie-walkie qui était allumé à l’intérieur du chalet. On devait partir à la recherche d’une quinzaine de victimes [jouées par des gens de la région, des résidents, des médecins ou du personnel de la pourvoirie]. Je me suis retrouvé dans la peau d’une personne qui gère une crise. La difficulté, c’était qu’il commençait à faire nuit. L’équipe s’est équipée de flashlights et je l’ai envoyée trouver les victimes. J’ai donné mon max, l’équipe a fait de son mieux, mais ça n’a pas été évident de la coordonner.» Résultat: quatre victimes ont été retrouvées. La leçon: «On ne doit pas être trop loin les uns des autres pour mieux y voir et prendre de meilleures décisions. En tant que leader, plus je suis proche de l’action, plus je sais quoi faire», résume l’étudiant qui ne sait pas encore vers quelle spécialité il va s’orienter.En plus des connaissances techniques, le stage met l’accent sur le volet humain et la nécessaire collaboration en situation d’urgence. «Les étudiants apprennent à travailler en équipe. Ils se côtoient 24 heures sur 24 pendant 10 jours et doivent cohabiter. On met beaucoup d’intensité. S’il n’y a pas de frictions, c’est que j’ai raté mon travail», estime le Dr Paré en signalant que cette facette-là du stage représente le quotidien d’un médecin. «On ne s’entend pas toujours avec tout le monde, mais il faut être capable de travailler ensemble au bénéfice des patients.»Valoriser les régions éloignéesProposé chaque été depuis 2017, excepté durant la pandémie, ce stage voyage entre la Gaspésie, le Bas-Saint-Laurent et la Côte-Nord, où les étudiants en médecine de l’UL peuvent aller accomplir des stages précliniques, leur externat et/ou leur résidence de spécialité. «Le second objectif du stage, c’est de leur faire découvrir la région et les différents types de pratique qu’on peut y trouver pour leur donner le goût d’y venir», indique le Dr Paré.Lire aussi: Régions rurales: plus d’aide financière aux étudiants pour améliorer l’accès aux soinsCette année par exemple, le Centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS) de la Côte-Nord a pris les stagiaires en charge pendant une fin de semaine. «C’était super, on a découvert les richesses de la région. Ils nous ont emmenés faire du kayak de mer et pour la première fois, j’ai vu une baleine», s’enthousiasme Gabriel Lamothe. Les participants ont également visité l’hôpital Le Royer, à Baie-Comeau. «On a discuté avec des médecins et des infirmières, pourquoi ils sont venus ici, quelle est leur pratique et quelles sont leurs réalités, etc.», relate l’étudiant; il n’exclut pas de s’installer plus tard en région. «Ça amène de la qualité de vie. Il y a aussi la proximité avec la nature. À voir quelle sera ma situation de famille, mais ça a planté une graine.»Gabriel Couture a pour sa part été charmé par les deux médecins de famille qui leur ont fait visiter l’hôpital. Si pour l’instant, il est retenu à Québec pour des raisons personnelles et professionnelles, l’étudiant se dit intéressé par la médecine en région. «Les médecins y ont une plus grande responsabilité et un plus grand éventail de tâches, notamment en médecine de famille où leur pratique est plus variée.»Depuis 2017, une quinzaine de stagiaires du Dr Paré sont ensuite retournés travailler en région. «On pense que le stage a un impact réel», commente modestement l’urgentologue.

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