Faire de sa schizophrénie une vocation

Quand il a appris la nouvelle, Luc Vigneault en est resté bouche bée. «J’ai tellement vécu d’ostracisme et de stigmatisation au cours de ma vie. Jamais je n’aurais pu imaginer qu’on me ferait un jour cet honneur. J’ai encore de la misère à y croire», convient l’auteur du best-seller Je suis une personne, pas une maladie, paru en 2013. «Il y a 30 ans, on me lançait des roches. Aujourd’hui, on me fait docteur», observe-t-il non sans malice en soulignant que son discours n’a pourtant pas changé. «C’est une grande victoire que je partage avec mes pairs ainsi qu’avec les professionnels qui m’ont accompagné et qui ont cru en moi.»À l’occasion de sa collation des grades, l’Université Laval (UL) va lui décerner un doctorat honoris causa en pharmacie. Une première pour un patient partenaire avec un diagnostic de schizophrénie et, d'une certaine façon, une revanche pour celui dont la scolarité s’est arrêtée en secondaire cinq à cause de son trouble mental. Soutenue par la Faculté de pharmacie de l’UL, sa candidature a fait l’unanimité. «L’octroi d’un doctorat honoris causa à Luc Vigneault est pleinement mérité et vise à reconnaître, à juste titre, sa contribution scientifique et sociétale exceptionnelle à l’amélioration des soins en santé mentale», souligne la doyenne de la faculté, Julie Méthot. Elle ajoute que le récipiendaire est «une grande source d’inspiration pour la Faculté de pharmacie et pour toute la communauté de l’Université Laval. Il collabore généreusement et étroitement avec plusieurs chercheuses et chercheurs en santé mentale. À titre de collaborateur ou de patient partenaire, il questionne, réfléchit, modifie les perceptions et les orientations. La pertinence de son analyse, la force de son expérience, mais aussi l’audace et les convictions qui l’animent sont remarquables».Diagnostiqué schizophrène à l’orée de ses 30 ans, Luc Vigneault a connu la toxicomanie, l’itinérance, la dépression. Il a également, et surtout, été victime de stigmatisation de la part des professionnels de santé à une époque — le début des années 1990 — où la maladie mentale condamnait les personnes à la marginalité. «On me voyait comme une maladie dont il fallait réduire les symptômes à coup de pilules. Je n’étais plus une personne, juste un cas à traiter. Mon avis et mes aspirations de vie ne comptaient pas», se remémore-t-il. «On m’a collé une étiquette de schizophrène et je m’en suis servi à des fins d’espoir.»Son credo tient en une phrase: on peut se rétablir de la schizophrénie. Une assertion qui vaut aussi pour tous les troubles mentaux. Dans cette optique, «les soignants doivent être à l’écoute des gens avec pour objectif de s’assurer qu’ils se rétablissent et non pas qu’ils prennent leur médication», résume Luc Vigneault. Ainsi, si les médecins sont les experts des maladies et de leurs traitements, les patients demeurent les experts des impacts de leur condition et des médicaments sur leur vie. Entre le savoir clinique des premiers et le savoir expérientiel des seconds, «il faut créer une alliance pour accompagner les gens dans leur projet de vie».PrécurseurCes messages, Luc Vigneault va d’abord les porter comme pair-aidant en santé mentale. Un métier qu’il va contribuer à créer au Québec et qui est maintenant intégré à plusieurs équipes de soins, grâce à sa promotion dans les différents Plans d’action en santé mentale du ministère de la Santé et des Services Sociaux depuis 2010. En 1998, il devient également le premier patient partenaire de recherche en santé mentale au Québec. C’est dans ce cadre-là que le Dr Marc-André Roy a fait sa connaissance. Le psychiatre se souvient d’une conférence de Luc Vigneault à laquelle il avait assisté. «Il a un charisme assez extraordinaire et c’est un communicateur incroyable. Il nous a fait rire et pleurer en racontant son histoire. C’est un homme courageux, qui a traversé l’adversité dans les années sombres de la psychiatrie en faisant preuve d’une résilience hors du commun.»Au sein de l’équipe CAP-Rétablissement du Centre de recherche CERVO de l’UL, Luc Vigneault est reconnu comme un chercheur à part entière, signale le Dr Roy. «Son savoir expérientiel n’est pas cosmétique. Il est primordial. Luc génère des questions de recherche, il nous amène des idées et nous fait voir des dimensions qu’on n’avait pas vu», indique le médecin qui, au début de sa carrière, n’envisageait absolument pas qu’il serait un jour collègue et ami d’un schizophrène. «C’était inconcevable à l’époque.»Lire aussi: Déstigmatiser la santé mentale, une conversation à la foisSelon le professeur à la Faculté de médecine de l’UL, ce doctorat honoris causa est «un geste de justice sociale qui vient souligner un parcours exceptionnel. C’est aussi une reconnaissance que les choses ont changé en psychiatrie. Au début de ma pratique, on cherchait à limiter les dégâts et à éviter l’hospitalisation. Maintenant, on met moins l’accent sur les symptômes. On accompagne plutôt le patient dans son rétablissement personnel et fonctionnel».Aujourd’hui, Luc Vigneault multiplie les casquettes. Il collabore à de nombreuses équipes de recherche, au Québec comme à l’international, à titre de co-chercheur, de patient partenaire ou de collaborateur (il est associé à plus de huit millions de dollars en subvention de recherche). Les projets dans lesquels il est impliqué touchent le rétablissement dans les troubles psychotiques, le processus de prise de décision partagée, la pair-aidance et la proche-aidance dans les soins, la stigmatisation, la justice et la santé mentale, l’aide médicale à mourir, la santé mentale et la citoyenneté, etc. En 2022, il est par ailleurs devenu le premier patient partenaire de l’histoire à être membre d’un jury de thèse doctorale, à l’Université de Bordeaux (France) en participant à la soutenance de Kevin-Marc Valéry qui présentait ses travaux sur la stigmatisation des personnes atteintes de schizophrénie. «Son savoir est équivalent à mon doctorat», a humblement admis l’étudiant français en psychologie.Luc Vigneault forme aussi la relève en santé comme conférencier invité sur le thème du rétablissement en santé mentale dans six universités et dix facultés au Québec, de même qu’à l’Université de Bordeaux. Il donne également des formations, anime des ateliers et participe à des conférences dans les milieux communautaires, professionnels, institutionnels et privés. De plus, il siège à titre de patient partenaire ou d’expert-conseil à diverses tables stratégiques, comme la Table de concertation de l’Institut national d’excellence en santé et services sociaux (INESSS) et il s’implique dans une multitude d’organismes communautaires.L’intéressé n’en tire aucune gloriole. «J’ai fait de ma vie un combat pour le mieux-être de mes pairs», commente-t-il humblement en répétant inlassablement son message: «La maladie mentale, si grave soit-elle, n’est pas une condamnation à vie.»À lire aussi:Êtes-vous vraiment inclusif.ve?

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