EZResus à la conquête de l’espace

L’équipe médicale derrière l’application mobile EZResus n’en a pas cru ses yeux et ses oreilles. Invitée à une rencontre Teams par l’Agence spatiale canadienne mi-janvier, elle croyait participer à un énième rendez-vous de suivi sur sa candidature au Défi des soins de santé dans l’espace lointain. C’est alors qu’elle a appris, à sa grande surprise, qu’EZResus était le gagnant de ce concours pancanadien lancé fin 2021 qui visait à «développer de nouvelles technologies en santé qui pourraient être utilisées dans des communautés éloignées et par des astronautes en mission».«Nos chances étaient réduites, car on était le seul OBNL [organisme à but non lucratif] à concourir et on faisait face à une centaine de gros compétiteurs», commente le Dr Frédéric Lemaire, le créateur tout excité de cette application d’assistance à la réanimation dont la première version a été mise au point en 2016. Pour l’urgentologue à l'Hôpital Charles-Le Moyne de Longueuil, c’est donc «une nouvelle tout à fait incroyable, un rêve d’enfant qui se réalise! On se permet de rêver grand et d'imaginer que notre application pourrait être utilisée en orbite.»Disponible sur cellulaire, tablette et ordinateur, EZResus a été conçue comme un assistant à la réanimation qui aide médecins et infirmières lors des situations d’urgence. De la taille du drain thoracique chez les enfants à la profondeur du tube endotrachéal pour les adultes, du choix du bon médicalement (parmi un éventail de 170 traitements) à la détermination de sa dose, de sa concentration sécuritaire et de sa vitesse d’administration adéquate en fonction des caractéristiques du patient, l’application «enlève de la pression sur les équipes d’urgence. Elles peuvent se concentrer sur les gestes qui sauvent, car elles n’ont plus à faire de calcul mental en lien avec la logistique des soins ni à se soucier des procédures à suivre», indique le Dr Lemaire.Lors de l’annonce des lauréats de son défi, l’Agence spatiale canadienne (ASC) a mentionné qu’EZResus, «présente un grand potentiel pour établir des diagnostics et intervenir en cas d’urgence médicale dans l’espace. (Elle) résume les données dont le personnel d’urgence a besoin durant la première heure de réanimation, très critique.» L’Agence souligne que lors de la dernière démonstration au jury, «l’équipe (d’EZResus) a démontré à quel point les calculs et les interventions, déjà compliqués, peuvent se complexifier sous la pression subie lors d’une situation où la vie du patient est en danger».Aucune urgence depuis 1998Médecin-chef à l’ASC, le Dr Raffi Kuyumjian compare les soins dans l’espace à ceux en régions éloignées où le médecin de famille de formation continue de faire des dépannages pour maintenir ses compétences. «Les enjeux sont assez similaires. On n’a pas un accès facile aux spécialistes, aux outils de tests ou à la pharmacopée. On doit faire ce qu’on peut avec les moyens qu’on a.»Depuis les premières missions à bord de la station spatiale internationale (SSI) en 2000, aucune situation d’urgence ne s’est toutefois présentée en orbite. «C’est de la chance», affirme le Dr Kuyumjian. «Les modèles mathématiques prévoyaient qu’on devrait faire une évacuation médicale aux 10 ans, mais ça ne s’est pas encore produit.» Cette chance tient aussi à la sélection drastique des astronautes et à la batterie de tests médicaux qu’ils passent chaque année pour s’assurer de leur bonne santé, un prérequis pour qu’ils maintiennent leur certification de vol. À bord de la SSI, chacun est suivi de près par un médecin de vol attitré. Depuis la Terre, ce dernier surveille les paramètres vitaux de son astronaute avec qui il discute une fois par semaine de son état médical, de son sommeil, de sa nutrition, de sa charge de travail, etc.En revanche, dans l’espace lointain, c’est-à-dire au-delà des limites de l’orbite terrestre où vont s’aventurer les futures missions vers la Lune ou Mars, les astronautes ne pourront pas communiquer en temps réel avec leurs médecins de vol. En cas de problème, «les membres de l’équipage devront prendre soin les uns des autres», signale le Dr Kuyumjian en précisant qu’il y a rarement un médecin à bord, David Saint-Jacques faisant presque figure d’exception dans un corps de métier essentiellement composé de pilotes et d’ingénieurs. Ils sont certes formés aux gestes d’urgence de base par des infirmières en soins intensifs et des paramédics de la NASA, mais «ils vont avoir besoin d’outils comme EZResus, une application très prometteuse», estime le médecin-chef de l’ASC.Impacts sur TerreAujourd’hui présente dans 29 pays et utilisée par plus de 5000 médecins dans le monde, EZResus va toutefois devoir être adaptée aux réalités des missions spatiales, notamment à l’équipement médical et aux médicaments embarqués. Après une visite en réalité virtuelle de l’ISS, le Dr Lemaire et son équipe ont ainsi reconfiguré l’application pour présenter un prototype opérationnel au jury de l’ASC.Deux optimisations majeures sont également prévues. «Quand on a les deux mains occupées, ce n’est pas idéal pour naviguer sur l’app», observe le Dr Lemaire qui s’est rapproché du Centre de recherche en informatique de Montréal pour développer une «navigation speak to text. Les astronautes n’auront qu’à parler pour interagir avec l’app», explique l’urgentologue qui compte également intégrer une couche d’intelligence artificielle à EZResus pour accroître sa pertinence clinique.Depuis septembre dernier, le médecin a mis sa pratique à l’urgence sur pause pour se consacrer au projet à temps plein. «Je me donne deux ans pour aller au bout du rêve», indique le clinicien en soulignant que les évolutions apportées à l’application pour répondre aux enjeux de l’espace auront des impacts directs sur son utilisation sur Terre. «Le potentiel est trop gros. Sur un shift à l’urgence, tu peux sauver une vie. Au moment où on se parle, il y a peut-être deux ou trois vies qui sont en train d’être sauvées grâce à EZResus. C’est fou!»

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