Études en santé: des «passerelles» pour devenir médecin ou pharmacien?

Dans un blogue publié début février, le rédacteur en chef de Québec Pharmacie, Christophe Augé, se dit favorable à la création d’une «passerelle» qui permettrait aux étudiants du DEC en Techniques de pharmacie (TP) d’intégrer le doctorat de premier cycle en pharmacie. Une idée qui a suscité de vives réactions, plutôt négatives, de la part de ses lecteurs. Pour le pharmacien communautaire à Ascot Corner, en Estrie, cette passerelle renforcerait l’attractivité du programme de TP. Anticipant les critiques de ses pairs qui voient là une injustice ou une dévalorisation du diplôme de pharmacien, il écrit qu’un parcours passerelle «n’est pas la carte “chance” du Monopoly. Le DEC en lui-même n’est déjà pas une promenade de santé. (…) J’imagine que le niveau de sélection sera élevé pour accéder à cette éventuelle passerelle et, finalement, les étudiants devront, tout comme vous tous, avoir le niveau de compétences et réussir leurs examens pour devenir pharmaciens.» «Même si elle est loin, même si elle est dure à pousser, une porte ouverte, c’est de l’espoir et de la motivation», argumente Christophe Augé. «On récoltera ainsi les meilleurs fruits possibles du diplôme de TP et si certains sont tellement bons qu’ils enchaîneront vers un Pharm. D. (on parlera probablement d’une poignée par année), cela en fera d’excellents pharmaciens à n’en pas douter (encore des gains pour la profession).» Lire aussi: De TP à pharmacien? Dans l’absolu, le doyen de la Faculté de pharmacie de l’Université de Montréal, Simon de Denus n’est pas opposé à cette idée, mais il la juge précoce. «Il n’y a pas encore eu de diplômés dans le programme de TP [les premiers le seront courant 2024, NDLR]», explique-t-il. Au demeurant, le doyen s’interroge: «Quel serait l’objectif de cette passerelle et qu’entend-on par passerelle? Car il y a des prérequis (pour le Pharm. D.) qui ne sont pas inclus dans le programme de TP.» Du côté de l’Ordre des pharmaciens du Québec (OPQ), on a, semble-t-il, pris les devants. Lors d’une rencontre organisée en octobre au Cégep de Drummondville avec des étudiants en TP, la conseillère à la direction adjointe du soutien professionnel et de la formation continue de l’OPQ, Guylaine Bertrand, a annoncé que le projet d’un parcours passerelle entre le DEC en TP et le Pharm. D. serait dans les plans. «Dans ma tête, c’est vers là que l’on s’en va. C’est la suite logique», a-t-elle déclaré en ajoutant qu’elle ne pouvait «pas parler pour les universités, mais elles sont invitées à nos rencontres». Ce que confirme le doyen de Denus: «On a eu des discussions préliminaires avec les Cégeps, mais c’est prématuré», insiste-t-il. Des passerelles pour diversifier les profils des soignants en France En France, une telle passerelle existe et elle ne concerne pas seulement les études en pharmacie. Les étudiants titulaires d’un baccalauréat (équivalent du niveau Cégep), issus des spécialités scientifiques — mathématiques, physique-chimie, sciences de la vie et de la Terre — peuvent intégrer le Parcours d’accès spécifique santé (ou PASS). Ce PASS est en quelque sorte un tronc commun d’une année pour accéder ensuite, sur sélection, à des études de maïeutique (sage-femme), de médecine, d’odontologie (chirurgie dentaire) ou de pharmacie. Depuis 2010, des parcours passerelles ont été créés pour permettre à des étudiants qui n’ont pas suivi le PASS d’accéder directement en 2e ou 3e année de l’une des quatre filières d’études en santé. Cette possibilité est offerte à des candidats titulaires d’une licence (équivalent d’un baccalauréat québécois), d’un master (équivalent d’une maîtrise) ou d’une thèse (équivalent d’un doctorat) ainsi qu’aux détenteurs d’un titre d’ingénieur. Lire aussi: Université de Montréal: vers plus de diversité à la Faculté de médecine Les TP, appelés préparateurs en pharmacie en France, ont également cette opportunité depuis 2021. Ces derniers détiennent un brevet professionnel (équivalent à deux années d’études après le Cégep) et après plusieurs années d’expérience, ils peuvent court-circuiter le parcours d’admission classique et rentrer en 2e ou 3e année de pharmacie. Tous les prétendants aux parcours passerelles font l’objet d’une sélection sur dossier et doivent ensuite convaincre un jury de leur motivation en lui exposant leur projet professionnel. Cinq pour cent des places en 2e ou 3e année des quatre filières en santé leur sont réservées, indique le président par intérim de la Conférence des doyens de Médecine, Benoît Veber, qui est également doyen de la Faculté de santé de Rouen, en Normandie. «On cherche à identifier des jeunes et des moins jeunes qui ont des parcours différents, une certaine maturité, et qui veulent se réorienter en santé en faisant un choix positif.» Lutter contre les déserts médicaux Le Dr Veber explique que l’objectif de ces passerelles est de «diversifier les profils des professionnels de la santé. Sinon on n’a que des candidats monotypés, issus des classes scientifiques (au baccalauréat)». À 18 ans, poursuit-il, «on ne sait pas toujours ce qu’on veut faire dans la vie. Certains choisissent la médecine par pression familiale ou parce que c’est une voie d’excellence. Mais quand on arrive à l’hôpital, il faut de l’humanité pour soigner des gens et on n’acquiert pas forcément ça dans les filières scientifiques». Lire aussi: Une jeune fille de 13 ans acceptée en école de médecine Le professeur en médecine précise que les places offertes aux candidats passerelles «rentrent dans notre contingent autorisé. Ce ne sont pas des places en plus. On ne veut pas avoir plus de médecins, mais avoir des médecins différents. On a besoin d’une élite dans les grands centres hospitaliers ou pour faire de la recherche. Mais on a aussi besoin de médecins et de pharmaciens du quotidien, de proximité», explique le responsable du service de réanimation chirurgicale à l’hôpital de Rouen en signalant que le but de cette diversification des profils est aussi de combler les déserts médicaux en France et de remédier à la pénurie de pharmaciens. Pas à l’étude au Québec De ce côté-ci de l’Atlantique Nord, le président de la Conférence des doyens des facultés de médecine du Québec, David Eidelman, mentionne qu’en fonction des contingents prévus par le gouvernement, «quelques places dans notre programme d’études médicales peuvent être comblées par des médecins diplômés hors Canada et États-Unis (DHCEU), ayant le statut de résidence au Québec, qui rejoignent le programme à la fin de la deuxième année ou à l’externat». Autrement, ajoute par courriel le doyen de la Faculté de médecine et des sciences de la santé de l’Université McGill, «aucune discussion sur d’éventuelles passerelles n’est en cours en ce moment. Au Québec, les études de médecine attirent toujours beaucoup de candidates et de candidats qualifiés», explique-t-il en signalant que «l’effectif de nos programmes est limité d’abord et avant tout par le nombre de places octroyées par le gouvernement et par la capacité d’accueil des milieux de formation cliniques». Simon de Denus souligne quant à lui que les enjeux sont différents en France. «Ici, on n’a aucune difficulté à recruter des étudiants en pharmacie. La profession est très contingentée et on reçoit chaque année beaucoup plus de demandes qu’il n’y a de places offertes, avec des candidats de très grande qualité.» Il n’empêche que si un jour cette passerelle se crée, le pharmacien Christophe Augé n’y voit «que du positif, cela ne nous retirera rien, cela ne fera qu’enrichir nos milieux de travail des meilleurs éléments possibles».

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