Et si les médecins ouvraient des pharmacies?

Après une journée entière passée à la clinique et alors que je n'avais déjà pas beaucoup dormi la nuit précédente, je suis rentré chez moi exténué, sans la moindre envie de parler à qui que ce soit. Je me suis allongé sur le canapé devant la télévision, et j'ai fermé les yeux – impossible de dire si j'ai fait une sieste ou si j'étais seulement à moitié endormi.Au cours de cette période de somnolence, j'ai soudain eu une idée prometteuse, ambitieuse et potentiellement lucrative. Les contours de cette entreprise risquée restaient flous, peut-être seulement pour moi, mais j'ai quand même décidé de partager ces réflexions avec quelques collègues. Je dois dire que, dans mon état, cette idée me semblait particulièrement réalisable, car les réglementations sont parfois confuses et les limites assez floues que l'on soit médecin, pharmacien ou d'autres professionnels de la santé.J'ai finalement réussi à réunir cinq amis médecins, chacun ayant sa propre clinique mais travaillant en étroite collaboration. Je leur ai dit: «Vu la situation actuelle, je pense que nous devons explorer d'autres pistes pour gagner de l'argent.»Un collègue a proposé d'investir dans un immeuble, d'en utiliser une partie et de louer le reste. Un autre a ajouté: «Il y a tout de même un petit problème: le manque de capitaux». Nous avons ri de cette réalité commune.À lire aussi: Retour vers le futur de l’interdisciplinaritéUn troisième collègue a suggéré que nous achetions une maison, que nous la louions et que nous nous développions progressivement en acquérant d'autres propriétés. Une idée jugée bonne, mais trop longue à mettre en place. J'ai alors proposé quelque chose: «Et si nous ouvrions une pharmacie de proximité? Nous pourrions y travailler chacun notre tour, chaque médecin y consacrant une journée par semaine. Étant donné que le conflit d'intérêt n'est pas une contrainte majeure et que les attributions sont multiples, nous pourrions aussi vendre des médicaments. Nous devons juste nous assurer que notre clientèle nous soit fidèle.» Après une brève délibération, ma proposition a été approuvée et nous avons convenu que l'épouse de l'un des collègues, une pharmacienne diplômée, s'occuperait de toutes les procédures nécessaires à l'ouverture de l'officine et à l'approvisionnement en médicaments.En un claquement de doigts, notre pharmacie voyait officiellement le jour. L'un de mes collègues s'est chargé de la toute première garde, et lorsque mon tour est enfin arrivé, je me suis posté avec assurance, en m'efforçant de repérer les médicaments, de retenir leurs prix et de maîtriser les différents moyens de paiement. Avec chaque patient, j'ai pris quelques minutes pour répondre à toutes les questions concernant leurs médicaments, en m'asseyant avec eux dans une pièce séparée pour garantir la confidentialité de la conversation. Je leur ai expliqué certains aspects du traitement qu'ils ignoraient peut-être, notamment les complications et les effets indésirables potentiels.Certains patients se sont souvenus de nos consultations médicales et étaient heureux de me retrouver dans la pharmacie.À lire aussi: Interdisciplinarité: que de chemin parcouruVers la fin de la journée, un groupe de trois personnes très élégantes est entré dans la pharmacie, se présentant comme des représentants de l'Ordre des pharmaciens de l'Ontario. Selon eux, une pharmacie voisine avait porté plainte contre nous, alléguant que des médecins jouaient aux pharmaciens.Curieux, j'ai demandé: «Quel est le problème?»Leur réponse a été la suivante: «Vous ne pouvez pas délivrer. C'est un conflit d'intérêts.»«Je croyais que les problèmes de conflits d'intérêts avaient disparu.»«Pas pour les médecins», ont-ils répondu d'une même voix.Voulant en savoir plus, je leur ai donc demandé ce qu'ils comptaient faire. Leur réponse a été sans équivoque: «La pharmacie va être fermée, le pharmacien fera l'objet d'une enquête et tous les médecins impliqués seront renvoyés devant l'Ordre des médecins et chirurgiens de l'Ontario.»J'ai essayé de protester en haussant le ton, puis j'ai levé la tête du canapé et jeté un coup d'oeil autour de moi. J'ai vu que ma femme riait.Ce n'était qu'un rêve.Le Dr Jabir Jassam est médecin de famille à Ottawa. Cet article a été publié à l'origine sur son blogue.

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