Est-il vraiment efficace de traiter la paralysie de Bell avec de la prednisolone et/ou de l'acyclovir ?

Dr Michèle Aubin michele.aubin@mfa.ulaval.ca UMF Laval Article de référence Sullivan FM, Swan IRC, Donnan PT et coll. Early treatment with prednisolone or acyclovir in Bell’s palsy. N Engl J Med, octobre 2007; 357:1598-607. RÉSUMÉ Objectif Évaluer l’efficacité de la prednisolone et de l’acyclovir donnés seuls ou en combinaison dans le traitement précoce de la paralysie de Bell. Conception Essai clinique randomisé de type factoriel avec groupe témoin placebo. Contexte Étude réalisée entre juin 2004 et juin 2006 dans 17 hôpitaux d’Écosse. Participants En tout, 551 patients âgés de 16 ans ou plus présentant depuis moins de 72 heures une faiblesse unilatérale du nerf facial sans cause identifiable ont été envoyés en otorhinolaryngologie (ORL) pour confirmer le diagnostic de paralysie faciale. Les critères d’exclusion comprenaient la grossesse, l’allaitement, un diabète non maîtrisé (Hb glyquée > 8 %), un ulcère peptique, une otite moyenne aiguë, un herpès zoster, la sclérose en plaques, une infection systémique, la sarcoïdose ou toute autre maladie rare, ainsi que l’incapacité à donner un consentement éclairé. Intervention Les patients étaient assignés au hasard à recevoir pendant 10 jours l’un des quatre traitements suivants : prednisolone à 25 mg deux fois par jour et acyclovir à 400 mg cinq fois par jour, prednisolone et placebo, acyclovir et placebo, ou deux placebos. Principales mesures de résultats Proportion de patients ayant une résolution complète de la paralysie faciale (score de 1). La gravité de l’atteinte du nerf facial a été mesurée par l’échelle à six points de House-Brackmann (1 = fonction normale et 6 = atteinte fonctionnelle grave). L’apparence faciale des patients était évaluée à partir de photos prises dans quatre poses : au repos, lors d’un sourire forcé, les sourcils élevés, et les yeux bien fermés. Un panel de trois experts (ORL, chirurgien en plastie, neurologue) qui ne connaissaient pas le groupe d’assignation des patients évaluait les photos de façon indépendante et attribuait un score (de 1 à 6) – les évaluations ne différaient pas de plus d’un point dans 92 % des cas; lorsqu’il y avait un écart de plus d’un point entre elles, elles étaient reprises, et la médiane des trois valeurs accordées servait de mesure finale. Les mesures secondaires des résultats étaient la qualité de vie estimée par le Health Utilities Index Mark 3; l’apparence faciale globale, évaluée au moyen du Derriford Appearance Scale 59; la douleur mesurée par le Brief Pain Inventory; et les effets secondaires. Résultats Des 551 patients randomisés parmi les 620 éligibles, 496 ont été évalués. À trois mois, la proportion de patients ayant récupéré de façon complète était plus élevée chez ceux ayant reçu de la prednisolone comparativement à ceux n’en ayant pas reçu (83,0 % vs 63,6 %; IC95 % 11,7 %-27,1 %; p < 0,001), alors que cette proportion ne différait pas de façon significative entre les groupes ayant reçu ou pas de l’acyclovir (71,2 % vs 75,7 %; IC95 % -12,4 % à - 3,3 %; p = 0,50). Après neuf mois, ces proportions étaient respectivement de 94,4 % et de 81,6 %, avec et sans prednisolone (IC95 % 7,2 %-18,4 %; p < 0,001), et de 85,4 % et de 90,8 % avec et sans acyclovir (IC95 % -11,0 % à - 0,3 %; p brut = 0,07 et p ajusté = 0,10). Il n’y avait pas de différence significative entre les quatre groupes à l’étude quant aux mesures d’efficacité secondaires. Il n’y a pas eu d’effets indésirables graves dans les groupes à l’étude. Conclusion Un traitement précoce de la paralysie de Bell avec de la prednisolone améliore de façon significative les chances de guérison complète à trois et à neuf mois. Par contre, il n’y a pas de preuve que l’acyclovir donné seul ou en combinaison avec la prednisolone soit efficace. COMMENTAIRE Pertinence de l’étude L’utilisation de stéroïdes et d’antiviraux dans le traitement précoce de la paralysie de Bell est déjà bien répandue, mais les données probantes soutenant cette pratique sont plutôt minces. Deux revues Cochrane ont été publiées sur le sujet, et même en réunissant les résultats des petites études réalisées, elles concluent que les données actuelles sont insuffisantes pour statuer sur leur efficacité (1,2). Il apparaît donc très pertinent de se questionner sur l’efficacité de la prednisolone et de l’acyclovir. Ces traitements pris seuls ou en combinaison sont-ils efficaces dans le traitement précoce de la paralysie de Bell ? Importance des résultats Cette étude a montré une amélioration cliniquement et statistiquement significative de la proportion de patients ayant eu une récupération complète à trois et à neuf mois lorsqu’ils ont été traités précocement avec la prednisolone, alors que l’acyclovir n’a pas montré d’avantage comparativement au placebo, et ce, qu’il ait été pris seul ou en combinaison avec la prednisolone. Le nombre de patients à traiter avec la prednisolone est d’environ 6 pour obtenir un cas additionnel de guérison à trois mois, et d’environ 11 à neuf mois par rapport au placebo. Il faut souligner que l’évolution naturelle de la paralysie faciale est favorable, puisque environ 65 % des membres du groupe placebo ont eu une récupération complète à trois mois et 85 % à neuf mois. Critique de la méthodologie Ce large essai clinique randomisé respecte toutes les règles de qualité. Les groupes traitement et placebo sont comparables. La mesure des résultats a été effectuée à partir d’instruments validés et faite à l’aveugle par un groupe d’experts ayant un fort pourcentage d’accord entre eux. La proportion de perdus de vue est faible; plus de 90 % des sujets ont fait l’objet d’une analyse, et celle-ci respecte le groupe d’assignation (intention de traiter). Les auteurs rapportent une fidélité au traitement élevée et ils mentionnent l’absence d’effets secondaires graves. Les différentes analyses effectuées avaient été spécifiées à l’avance. Les auteurs ont même fait des tests supplémentaires pour tenir compte du risque d’être perdu de vue au suivi. La seule limite relevée réside dans la validité externe de l’étude, qui s’applique surtout aux patients ayant eu une paralysie faciale modérément grave et dont le traitement a été instauré dans les 48 heures suivant le début des symptômes. En effet, le score moyen d’atteinte du nerf facial (House-Brackmann Scale) était de 3,5 sur un maximum de 6, et la majorité des patients (plus de 85 %) ont amorcé le traitement moins de 48 heures après le début des symptômes. On peut présumer que peu de patients avaient une atteinte grave (score de 5 ou plus), et il est donc difficile de savoir si les résultats de l’étude s’appliquent également à ce sous-groupe. De la même façon, on ne peut savoir si la prednisolone demeure efficace si sa prise est commencée plus tardivement. Mise en perspective selon l’état des connaissances Cet essai randomisé confirme les données de la plupart des autres études en regard du bénéfice attribué aux stéroïdes dans le traitement précoce de la paralysie de Bell. Par contre, l’absence d’efficacité du traitement antiviral retrouvée ici contredit les résultats favorables d’autres essais randomisés de moindre importance dont une étude japonaise récente ayant utilisé le valacyclovir 3. Cette dernière comportait toutefois certaines lacunes méthodologiques, comme un pourcentage de perdus de vue de 25 % et l’absence d’évaluation à l’aveugle. De plus, les patients recrutés présentaient une paralysie faciale plus grave que celle des participants de l’étude actuelle. Il est donc possible que le traitement antiviral ne procure un bénéfice que chez ce sous-groupe. D’autres études sont nécessaires pour le confirmer. Contribution à la prise de décision clinique Le traitement précoce de la paralysie de Bell avec la prednisolone est efficace et utile en clinique; par contre, l’ajout d’acyclovir ne semble pas procurer de bénéfice supplémentaire chez les patients ayant une atteinte modérément grave. Références Salinas RA, Alvarez G, Ferreira J. Corticosteroids for Bell’s palsy (idiopathic facial paralysis). Cochrane Database Syst Rev, 2004; 4:CD001942. Allen D, Dunn L. Aciclovir or valaciclovir for Bell’s palsy (idiopathic facial paralysis). Cochrane Database Syst Rev,2004; 3:CD001869. Hato N, Yamada H, Kohno H, Matsumoto S, Honda N, Gyo K, et coll. Valacyclovir and prednisolone treatment for Bell’s palsy : a multicenter, randomized, placebo-controlled study. Otol Neurotol, 2007; 28:408-13

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