Entrevue de Janet Davidson avec le PDG de Medtronic, Omar Ishrak

Janet DavidsonLe 21 juillet 2016, le PDG de Medtronic, Omar Ishrak, a livré un exposé devant le Collège canadien des leaders en santé, à Vancouver, C.-B. L’exposé portait sur le système de soins de santé fondé sur des valeurs. À la suite de cet exposé, la consultante en soins de santé Janet Davidson a rencontré Omar. Voici un extrait de leur conversation.JANET DAVIDSON (JD): On n’a pas souvent l’occasion de parler à une entreprise du partage des risques de la façon dont vous l’avez fait. Le modèle et ses trois points : l’amélioration des résultats cliniques, l’accès simplifié et l’optimisation des coûts et de l’efficacité m’intéressent beaucoup. Ils sont très importants. Pouvez-vous me donner votre point de vue en ce qui concerne le Canada en particulier et nous donner les avantages et les défis que nous avons à relever?OMAR ISHRAK (OI): Tout d’abord, si je devais qualifier la situation du Canada dans une perspective mondiale je devrais traiter de certains aspects de l’accès, par exemple la population rurale; mais, en général, le problème d’accès est couvert. Les délais d’attente ne sont pas si mal et les gens obtiennent généralement les soins dont ils ont besoin. Qu’ils reçoivent les meilleurs soins ou non, les gens peuvent critiquer le système de santé, mais la qualité générale est très bonne. Je pense que vous avez acquis une orientation clinique universitaire et technologique, ainsi qu’une proximité avec la masse critique plus importante qu’aux États-Unis. Vous êtes dans une position d’être un chef de file dans certains domaines améliorant les nouveaux résultats cliniques, et, au Canada, il y a des antécédents, donc, il n’y a pas de raisons que cela ne puisse se poursuivre. Je pense que pour la troisième catégorie, l’efficacité , vous êtes en position de vous orienter vers une perspective de système de soins de santé fondé sur des valeurs plus rapidement que d’autres, mais cela vous impose de tirer parti de votre situation actuelle. Omar IshrakLes provinces ont non seulement des populations limitées, mais elles ont également des sites circonscrits (c.-à-d., la chirurgie cardiaque en Alberta est faite dans deux à trois emplacements) de sorte que le changement est plus simple s’il est concentré sur quelques sites circonscrits comme ceux-ci, comportant un nombre limité de patients et de médecins. Il existe également une autorité centrale et vous disposez même de budgets par capitation, ce qui permet de redéployer et de mesurer les avantages plus facilement que d’autres. Il y a des défis que les gens considèrent comme trop insurmontables au début; cependant, ce n’est pas vraiment le cas. Parmi ces défis, mentionnons la disponibilité des données et je vous conseille ceci : ne perdez pas votre temps, vous devez être résolu et pragmatique. Ne vous défilez pas. Responsabilisez les gens. Abolissez le cloisonnement et passez au système de soins de santé fondé sur des valeurs. En raison de la proximité des États-Unis (proximité évidente à de nombreux égards), il sera logique d’examiner la façon dont le CMS travaille avec un système encore plus compliqué. Le système américain est plus compliqué en raison de ses payeurs multiples, de ses nombreux états et de ses mécanismes de financement déconcertants. Ils tracent toutefois leur voie vers le système de soins de santé fondé sur des valeurs et apprendre d’eux serait utile pour que le Canada aille de l’avant.JD : Plus tôt, vous avez parlé de la nécessité de cibler des cohortes et certaines autorités canadiennes qui sont plus avancées que les autres, car elles cherchent des modèles de paiement qui soutiendront certains résultats en matière de maladie chronique.OI : Un modèle de résultats qui indique « Ceci est le résultat que je vais mesurer » et s’arrête là ne fait, en fait, rien. Si vous imposez cette manière de penser, alors les gens essaieront de leur mieux de trouver des personnes en bonne santé qui correspondent à ces résultats et vous n’aurez vraiment rien fait. Alors, je crois que, dans ce cas, la granularité est importante. Certains ont réfléchi à cette question et ils apprécient la granularité lorsqu’elle soutient les résultats.JD : Ce que j’ai observé au Canada, c’est que le régime d’assurance maladie est la caractéristique fondamentale de qui nous sommes en tant que nation, de sorte que modifier ce régime est un véritable défi. De nombreux Canadiens ne comprennent pas que, malgré les fonds que nous dépensons, notre rendement soit médiocre, et nous, dans le système de soins de santé, devons être plus transparents sur l’endroit où nous nous retrouvons dans le classement de l’OCDE et avec nos dépenses.OI : C’est la même chose au Royaume-Uni. Il n’est pas nécessaire d’abolir le régime d’assurance maladie, optimisons-le. Par exemple, dites : « J’améliore le régime d’assurance maladie en utilisant les fonds de manière plus efficace pour fournir un meilleur accès et de la qualité ». Vous devez être transparents sur ce que vous tentez de faire lorsqu’il s’agit de modifier certains aspects du régime d’assurance maladie.JD : La stratification du risque et les déterminants sociaux ainsi que leurs conséquences ultérieures sur la santé m’intéressent. Comment pouvez-vous aborder ces sujets dans le dialogue?OI : Je pense que ces sujets sont essentiels. Nous avons appris qu’il faut les intégrer. Le statut socio-économique d’un patient constitue un élément important dans la conception du parcours des soins, il doit être intégré, et somme toute, ce n’est pas si difficile à impliquer. Nous devons tenir compte de choses simples comme où le patient sera rendu quand il reçoit ses soins. Un autre aspect important est d’évaluer la résilience d’un patient, ce qui est individuel et propre à chaque patient. Certains patients tolèrent la douleur mieux que d’autres. Cela influence leur niveau de satisfaction. Vous pouvez souhaiter modifier votre parcours de soins à la fin, en fonction de la résilience du patient. Certains patients sont plus enclins à être déprimés que d’autres. Cela pourrait être d’ordre socio-économique ou de nature personnelle. On doit tenir compte de ces éléments. Certains patients sont plus disciplinés que d’autres. Par exemple, quand vous leur dites de faire de l’exercice et qu’ils savent qu’ils n’en feront pas, alors c’est quelque chose à quoi vous devez réfléchir attentivement. Les médecins font cela en général, mais ils ne le font pas systématiquement. Il n’y a pas de critères de comparaison et rien ne dit aux gens à ce moment quelles sont les pratiques exemplaires absolues. Cela les pousse à faire tout ce qu’ils connaissent et avec quoi ils sont à l’aise, laissant un grand nombre de domaines s’améliorer d’eux-mêmes.JD : Vous avez parlé de quelques-unes des thérapies que Medtronic a développées et de la façon dont vous pourriez les utiliser dans un modèle collaboratif avec la prestation de services pour améliorer les résultats. Que pensez-vous du développement d’un processus d’innovation de la thérapie avec le gouvernement, les autorités ou les fournisseurs de soins de santé et de dire : « C’est une population qui nous préoccupe, discutons du genre de thérapies que nous pourrions élaborer à partir de zéro? »OI : Il y a plusieurs facettes à cela. Notre bande passante, en tant qu’organisation technologique, s’élargira en fonction des besoins en soins de santé. Cela signifie que notre capacité à développer une technologie, par exemple, qui fait la surveillance à distance, aura probablement une plus grande importance que celle que nous lui accordions avant. Cela est attribuable au fait que nous savons que la pleine reconnaissance des thérapies de base que nous avons élaborées (p. ex., un stimulateur cardiaque), dépend de la surveillance à distance, donc, notre capacité d’exercer cette surveillance à distance, ou une surveillance vidéo, ajoute une importance accrue que nous n’avions pas auparavant. Lors des discussions avec les autorités de la santé, ces éléments deviendront plus apparents; mais nous ne voulons pas nous éloigner autant de notre zone de confort alors que nous commençons à négocier avec les autorités de la santé et de maladies pour lesquelles nous ne disposons pas d’une expertise. Cependant, si la maladie s’inscrit dans le cadre de fait notre expertise, comme le diabète de type 1, ou de notre gamme limitée, comme le diabète de type 2 (que nous développons pour la bonne raison que vous évoquez), nous comprenons ce besoin de développer une expertise, des connaissances et des thérapies.L’autre point dont je voudrais discuter est une chose dont je n’ai pas parlé dans mon exposé, car c’est un sujet légèrement différent : nous sommes là où nous en sommes avec le système de soins de santé fondé sur des valeurs parce que le point de départ de ce parcours était ce que nous avons appelé valeur économique pour nos produits. Nous avons commencé cette discussion il y a cinq ans avec un processus de pensée voulant que nous devions, non seulement comprendre la valeur clinique de chaque nouveau produit développé, nous devons aussi comprendre la valeur économique correspondante qui résulte d’une amélioration de la valeur clinique. Cela nous conduit à un point laisse entendre que l’hôpital lui-même est le seul à ne pas se rendre compte de cette valeur économique. Cela est important. Cette situation nous a obligés à adopter une rigueur dans notre processus de développement de produits. Dorénavant, peu importe ce que nous faisons, nos gens à l’étape conceptuelle font ce qu’il faut pour développer la technologie, offrir la formation nécessaire pour la déployer et, également, comment concrétiser la valeur financière de l’amélioration, ce qui constitue une étape importante. Nous le faisons maintenant pour chaque produit. Nous accordons la priorité selon la reconnaissance du fait qu’il est possible d’avoir une excellente valeur clinique et une technologie de pointe, mais pour que les gens paient pour cela et qu’ils se rendent compte de la valeur économique, un changement important est nécessaire. Par conséquent, nous devons, soit changer nos priorités, soit être prêts à faire des investissements. Ce changement est déjà amorcé, mais nous avons constaté, au cours des trois ou quatre dernières années, que notre rendement d’affaires et nos nouveaux produits ont été manifestement meilleurs, en ce sens que les produits ont atteint leurs objectifs et leurs plans comme prévu, le plus souvent plus tôt que prévu. Notre taux d’échec a également été considérablement réduit. Nous croyons qu’une bonne part de cette situation est attribuable à une rigueur constante.JD : Vous avez parlé du fait que, dans ce type d’environnement ouvert, vous devez être prêt à accepter qu’il peut y avoir un autre produit d’une autre entreprise qui pourrait être plus efficace que le vôtre et que cela doit être accepté. Avez-vous étudié la possibilité de partenariats avec d’autres fournisseurs de l’industrie dans cette situation?OI : Nous ne l’avons pas encore fait, mais cela pourrait arriver. Un partenariat avec d’autres sociétés qui ont des produits complémentaires se produira probablement d’abord et, dans une certaine mesure, nous le faisons; cependant, ce n’est pas précisément de cette façon. Nous avons des modèles en Europe où nous gérons des laboratoires de cathétérisme. Nous gérons certains coûts par patient. Cela est fondé sur le choix du médecin (il peut utiliser d’autres produits dans les laboratoires de cathétérisme qui ne sont pas de Medtronic). Nous avons des preuves à ce sujet et nous sommes d’accord avec cela; de sorte qu’à ce point de vue, nous l’avons permis. Voilà un exemple; toutefois, il est un peu faible en raison du fait que c’est le choix d’un médecin et non pas un résultat réel mesuré. Au fur et à mesure que nous rendons ces modèles beaucoup plus rigoureux et selon la perspective du système de soins de santé fondé sur des valeurs, nous aurons davantage d’exemples.JD : Vous avez eu une carrière impressionnante et vous avez fait des choses remarquables avec Medtronic et Covidien. Alors, quelle est la prochaine étape chez Medtronic?OI : Je pense que vous venez d’entendre le début d’un parcours. Nous sommes loin de la fin de ce parcours. Il reste beaucoup à faire en ce qui concerne le système de soins de santé fondé sur des valeurs. Je pense que c’est bien pour nous, mais c’est encore mieux pour les systèmes de soins de santé. C’est suffisant.JD : Comment vous assurez-vous que le système de soins de santé fondé sur des valeurs continue de rester une réalité importante et ne devient pas une expression à la mode, par opposition à de véritables transformations significatives?OI : Je pense que la seule façon de le faire est de créer des modèles d’affaires qui nous rendent responsables et d’en démontrer les résultats. Transformer les modèles d’affaires, prendre des risques et retirer des bénéfices sont les moyens qui apportent des transformations significatives. Nous sommes très granulaires à ce sujet; examinez nos gains. Nous publions le chiffre d’affaires que nous recevons de ce genre de choses et nos projections pour l’avenir. Nous démontrons que nous sommes responsables. Dans ce domaine, le courage et la conviction sont nécessaires. Si l’on y croit, on peut y arriver. Il faut être sincère à ce sujet et si vous le faites, alors que ce soit bien fait. Dites ce que vous faites, mesurez-le et parlez-en. Ce ne sera pas parfait, mais vous vous améliorerez et c’est ce qui importe.

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