Entrevue avec le DG de Novartis Inde - «Dans l’environnement indien de la propriété intellectuelle, aucune entreprise n’est encouragée à investir dans la R&D»

En 2009, Novartis remettait en cause devant la plus haute instance juridique de l’Inde le refus du pays de breveter son Glivec. Le 1er avril dernier, le verdict est tombé après plusieurs années d’attente : la Cour suprême indienne a refusé de breveter ce médicament contre le cancer.Les groupes de défense des droits des patients en Inde ont accueilli le verdict avec enthousiasme, considérant que les producteurs de médicaments génériques indiens pourront continuer à fournir aux malades des médicaments plus accessibles financièrement. En revanche, les géants de la pharma ont unanimement réprouvé une décision qui, selon eux, rend toujours plus difficile le lancement de nouveaux médicaments en Inde. Le directeur général de Novartis Inde, Ranjit Shahani, s’est prononcé sur la question.Verdict décevant« Dans l’environnement indien actuel de la propriété intellectuelle, aucune entreprise n’est encouragée à investir dans la recherche et le développement », affirme Ranjit Shahani. Le directeur général de Novartis Inde considère « décevante » la décision de la Cour suprême indienne de ne pas breveter son médicament contre une forme de leucémie. « Le Glivec est un médicament révolutionnaire qui a changé pour toujours la manière dont les recherches sur le cancer seront réalisées à l’avenir », fait-il valoir.La protection de la propriété intellectuelle peut relever du défi dans un pays où l’industrie pharmaceutique s’est développée grâce à la reproduction de médicaments brevetés. Ranjit Shahani admet par ailleurs que l’absence de protection de données résultant d’essais cliniques représente un problème majeur en Inde. « Dans d’autres pays, comme la Chine ou la Thaïlande, les données sont protégées pendant 5 à 10 ans, tandis qu’en Inde, elles ne le sont pas du tout, explique-t-il. Toutes les informations soumises aux autorités de contrôle sont accessibles à toutes les entreprises à des fins commerciales. »Championne des génériquesPossédant près de 53 000 marques de médicaments et 10 000 unités de fabrication, incluant de toutes petites installations de « garage », l’Inde est la championne des producteurs de médicaments génériques. Une tendance qui s’est consolidée avec l’évolution de son industrie et qui, avec le jugement Glivec, promet de se maintenir.Il y a à peine quarante ans, les multinationales, produisant essentiellement des produits brevetés, détenaient 80 % des parts de marché en Inde et les génériques en possédaient 20 %. Il y a cinq ans, les proportions étaient exactement l’inverse. Aujourd’hui, les génériques représentent au-delà de 90 % du marché indien.Outre les difficultés à faire appliquer la loi de 2005 sur la protection de la propriété intellectuelle, le marché indien pose d’autres défis de taille souligne Ranjit Shahani. Il pointe du doigt notamment le taux élevé de taxation à l’importation. En 1995, lorsque l’Inde a adhéré à l’Organisation mondiale du commerce, celle-ci s’était engagée à diminuer progressivement les taxes à l’importation, qui étaient alors de 100 %. « Elles sont désormais d’environ 20 %, ce qui est encore élevé par rapport à d’autres pays asiatiques comme la Chine, la Thaïlande ou la Malaisie, où elles sont de 5 à 10 % », souligne Ranjit Shahani. Le chef de Novartis Inde espère, par ailleurs, que d’ici peu, des médicaments pouvant sauver des vies, comme ceux contre des cancers ou le VIH-sida, pourront être importés sans taxes.Plus de contrefaçon dansles villagesLa contrefaçon de médicaments représente un autre problème en Inde, observe Ranjit Shahani. Ce phénomène serait cependant surestimé, selon lui, et n’atteindrait pas 30 % comme certains le prétendent. « Peut-être représentent-t-elles 1 à 5 % du marché, croit-il. C’est difficile de savoir parce que peu d’information est disponible sur le sujet », regrette-t-il. Il signale que les villages sont plus vulnérables face au problème de la contrefaçon de médicaments parce que moins de contrôle y est exercé et qu’en revanche, les grandes villes sont plus à l’abri. « Plus une marque est importante, plus elle risque d’être copiée », relève-t-il.Novartis ne veut pas s’en laisser imposer à cet égard et dispose de son propre service de sécurité, mène des raids conjointement avec les autorités locales, porte plainte et intente des poursuites contre les faussaires. Depuis quelques années, grâce au travail de l’Organisation of Pharmaceutical Producers of India, une association de multinationales, dont Ranjit Shahani est le président, la contrefaçon de médicaments est désormais un crime passible de dix ans de prison et d’une amende de 2,5 millions de roupies (environ47 000 $CAN).Une croissance enviableEn dépit de tous les défis qu’elle pose, l’Inde demeure un marché intéressant pour la multinationale suisse, reconnaît Ranjit Shahani. Novartis est d’ailleurs présente en Inde depuis son indépendance en 1947. Ces dernières années, l’industrie pharmaceutique indienne a connu une croissance annuelle de l’ordre de 14 à 16 %. Ce secteur vaudrait présentement 12,5 milliards de dollars.« Novartis connaît une croissance atteignant les 20 % et essentiellement dans le secteur des génériques de marque », fait savoir le PDG de Novartis Inde. Plusieurs facteurs expliquent ces chiffres qui font l’envie de l’Occident. Ranjit Shahani cite d’abord une corrélation directe entre l’augmentation du produit intérieur brut et les dépenses en médicaments. De plus, l’assurance santé est en voie de se développer en Inde. « Seuls 10 % des Indiens sont couverts pour l’instant, mais cette proportion est en augmentation » explique-t-il. Dans les grandes villes, il existe déjà de bons systèmes de soins. Ailleurs, l’infrastructure médicale fait défaut et devrait prendre de l’essor. « Le gouvernement encourage maintenant les petites villes, notamment à l’aide d’exemptions de taxes, à mettre en place des services adéquats » ajoute-t-il. Ranjit Shahani signale enfin, tout comme en Occident, l’augmentation significative en Inde des maladies chroniques telles que les cardiopathies et le diabète qui, jusqu’à récemment, restaient marginales chez les Indiens.À l’heure actuelle, l’Inde est le troisième pays au monde en volume et le quatorzième en valeur économique dans le secteur des médicaments. Le consultant international McKinsey estime que la valeur de l’industrie pharmaceutique indienne quadruplera d’ici 2020 pour atteindre 55 milliards de dollars.Une cause qui a fait du bruitAprès une bataille de près de 15 ans pour faire reconnaître en Inde le brevet de son médicament Glivec, indiqué dans le traitement de la leucémie myéloïde chronique, la Cour suprême du pays a rejeté, le 1er avril dernier, la requête de la compagnie pharmaceutique suisse Novartis. Le Glivec (commercialisé en Amérique du Nord sous le nom de Gleevec) a rapporté plus de 4,7 milliards à l’entreprise en 2012.La cause était suivie de près par l’industrie pharmaceutique mondiale et par les groupes de patients. Les compagnies pharmaceutiques, qui connaissent des défis de croissance dans les pays industrialisés, comptent sur les pays émergents, aux prises avec une augmentation importante de maladies chroniques, pour maintenir la bonne santé financière de leur secteur.Or, l’Inde a affirmé ses choix de soutenir en priorité sa propre industrie pharmaceutique, qui repose essentiellement sur les compagnies génériques, et d’offrir des médicaments peu coûteux à sa population, dont une large part ne peut compter sur aucune forme d’assurance.Dans le cas du Glivec, la Cour suprême de l’Inde a déterminé que le médicament était une nouvelle forme d’un produit existant, que cela ne représentait qu’une amélioration mineure et non une réelle avancée thérapeutique et que, par conséquent, elle ne pouvait accorder la protection demandée. L’Inde est le premier pays à rejeter le brevet sur le Glivec, en vigueur dans une quarantaine de pays dans le monde.

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