Entrevue avec Benoit Morin: un nouveau modèle de rémunération en 2024

«Maîtres de notre pratique». Tel était le slogan du congrès de l’Association québécoise des pharmaciens propriétaires (AQPP), qui s’est déroulé les 17 et 18 novembre à Québec. Le droit de propriété exclusif des pharmaciens, les pénuries de personnel en pharmacie, l’évolution du marché du travail après la pandémie et les programmes de soutien aux patients comptaient parmi les thèmes abordés lors du congrès. ProfessionSanté.ca s’est entretenu avec Benoit Morin à propos de ces enjeux. Il a été reconduit le 9 novembre à la présidence de l’AQPP pour un deuxième mandat qui s’amorcera en décembre. Où en est l’AQPP dans ses pourparlers avec le gouvernement sur le nouveau modèle de rémunération en pharmacie communautaire? Nous avons réalisé des avancées intéressantes sur le modèle de base, mais le diable est dans les détails et il reste du travail à faire. Les rencontres [avec la partie ministérielle] reprendront bientôt. L’objectif est que le nouveau modèle soit en vigueur au début de 2024, mais la Régie de l’assurance maladie du Québec a besoin d’un an pour programmer ses codes, alors nous visons une entente au début de 2023. Avez-vous des exemples d’actes qu’il faudrait rémunérer différemment? Les conseils aux patients devraient être rémunérés, car ils répondent à un réel besoin de la population et il ne faut pas que les pharmaciens soient placés dans un contexte où ils doivent choisir entre certaines activités qui sont rémunérées et d’autres non. Il faut qu’il y ait un sens à tout cela. Des pas ont aussi été faits pour la prise en charge, mais il faut que la rémunération qui y est associée soit à la hauteur. J’ajouterais que les pharmaciens doivent utiliser l’entente à son plein potentiel, ce qui n’est pas toujours le cas actuellement. La gêne à réaliser des activités cliniques semble encore présente chez certains pharmaciens. Oui. Un grand virage a été pris, mais les nouvelles activités ne sont pas toujours exploitées à leur plein potentiel. Il reste du travail à faire pour valoriser le leadership des pharmaciens, mais aussi faire connaître le travail des pharmaciens à d’autres intervenants. Durant la pandémie, le gouvernement a-t-il compris le potentiel clinique des pharmaciens communautaires? Définitivement. Nous avons démontré ce que nous pouvions accomplir. Nous avons été solides, en particulier durant la première partie de la pandémie où tout était fermé sauf les commerces essentiels comme les pharmacies. Nous sommes maintenant perçus comme des partenaires et non pas comme des demandeurs. Comment peut-on intégrer les pharmacies communautaires dans le plan de Christian Dubé tout en préservant leur autonomie face au gouvernement? Je vois d’un œil extrêmement positif que les patients soient dirigés vers leur pharmacien pour certains services par les GAP ou par le 8-1-1. C’est une avancée majeure et je ne pouvais pas souhaiter mieux. C’est galvaudé de dire le bon professionnel pour le bon patient, mais c’est de ça dont il est question. Ce qu’il faut éviter par contre, c’est de diriger les patients vers «les» pharmaciens, car on ne reconnaîtrait pas le lien privilégié qu’ils ont avec leur pharmacien. Votre congrès était intitulé «Maîtres de notre pratique». Quel est l’état actuel du droit de propriété exclusif des pharmaciens propriétaires québécois? Il glisse tranquillement, notamment à cause du mouvement des forces économiques. Or, il faut que tout le monde comprenne que ce droit de propriété est au bénéfice de la société québécoise, des patients, mais aussi à celui de l’ensemble de l’industrie. Le rôle de l’AQPP n’est pas de signer les ententes avec les chaînes et les bannières à la place des pharmaciens propriétaires, mais il est de mettre la barre où il faut. Il y a présentement un déséquilibre entre les pharmaciens et les chaînes et bannières. Le cadre réglementaire est à revoir afin de rétablir le rapport de forces des pharmaciens. Les pharmacies de spécialité sont de plus en plus nombreuses et posent un certain nombre d’enjeux pour les pharmacies communautaires. Y a-t-il un moyen pour les deux de cohabiter? Je ne souhaite pas de cohabitation. Je souhaite une démocratisation. Tous les pharmaciens communautaires sont aptes à prendre en charge les patients [qui ont besoin de ces médicaments]. Le dirigisme ne sert pas les patients. Je ne crois donc pas à la pertinence de ce modèle. C’est pour cette raison que l’AQPP a notamment mis sur pied Accessa. Où en est justement Accessa dans ses programmes de soutien aux patients? Avec les données que nous recueillons, Accessa permet de démontrer que tous les pharmaciens ont un rôle à jouer dans les médicaments de spécialité. Le portfolio évolue rapidement. Nous avons maintenant des partenariats avec neuf manufacturiers et d’autres sont à venir, 480 pharmacies ont recours à ces PSP et 1300 participants ont été formés jusqu’à présent (pharmaciens, infirmières, assistants techniques en pharmacie). Accessa grandit bien. Les pénuries de personnel entraînent-elles une hausse des salaires? Cela crée-t-il une pression malsaine sur le secteur? Oui. Les hausses de salaire entraînent un phénomène de chaise musicale. Le personnel bouge toujours et les équipes ne sont pas stables. Il devient donc difficile d’implanter des services comme ceux de la vaccination. Que peut-on faire d’autre pour renverser cette tendance? Malheureusement, tel qu’on a vu durant le congrès de l’AQPP, cette tendance est là pour une dizaine d’années, alors il faudra composer avec des solutions à plus long terme. À mon avis, il faut miser sur la mission des pharmacies afin que les employés comprennent qu’ils aident vraiment les patients, que ce ne soit pas qu’une question de salaire. Mais il faut aussi se rapprocher de notre personnel, de comprendre les préoccupations des employés. Faut-il déléguer davantage d’activités aux équipes pour leur faire prendre à cœur cette mission? C’est difficile actuellement, car des pharmaciens ont dû reculer sur la délégation – je pense notamment à la vérification contenant-contenu – par manque d’ATP. Il faut trouver d’autres stratégies. Il faut aussi admettre que le modèle de réussite que nous avions ne correspond plus à celui des jeunes, et il faut nous aligner sur leur modèle. C’est toute une réflexion que l’on doit avoir. Quels sont les autres dossiers sur lesquels l’AQPP travaille actuellement? Il faut accélérer le virage des activités cliniques pour une autre raison que je n’ai pas mentionnée, celle de se distinguer des pharmacies en ligne et des pharmacies postales. Pour y parvenir, il faut continuer de créer des liens avec nos patients, car ils ont besoin de nous. On l’a vu durant la pandémie, ils ont été vraiment reconnaissants de notre présence et il faut continuer de miser sur notre accessibilité.

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