Ententes frauduleuses et transactions de stupéfiants: un pharmacien condamné à 45 000$ d'amendes

Ce n’est pas la première fois qu’Éric Beaulieu a affaire au conseil de discipline de l’Ordre des pharmaciens du Québec (OPQ). Déjà en procédure d’appel pour une autre affaire datant de 2021, pour laquelle il a écopé de 55 000$ d’amendes, voilà que le pharmacien propriétaire fait de nouveau parler de lui, cette fois pour entente contraire à l’éthique et transactions de stupéfiants hors d’un contexte d’urgence. Le pharmacien vient ainsi d’être condamné à 45 000$ d’amendes pour avoir conclu des ententes douteuses avec plusieurs cliniques d'ophtalmologie, un intermédiaire du programme de soutien aux patients et une pharmacie hors de la province qui préparait des gouttes ophtalmiques à base de cocaïne à 5%.Éric Beaulieu, pharmacien propriétaire à Saint-Bruno jusqu'en novembre 2023, a plaidé coupable aux trois chefs d'accusation portés contre lui par l'OPQ. En plus des amendes, le conseil de discipline de l'Ordre lui a également intimé de débourser les frais d'enquête et d'audition.38 M$ de médicamentsL'accusation la plus grave, qui vaut à l’accusé une lourde amende de 30 000$, concerne un accord de distribution des médicaments Eylea® et Lucentis® avec huit cliniques d'ophtalmologie. Au mois de septembre 2021, un pharmacien concurrent affirme avoir reçu, de la part de quatre de ces cliniques, l’ordre de «cesser de servir la totalité de [s]es patients traités dans ces cliniques, dans un délai approximatif d’une semaine», rapporte le dossier de sanction. Selon lui, «plusieurs centaines de ces patients étaient automatiquement transférés du jour au lendemain à la pharmacie d’Éric Beaulieu». À lire aussi: Dénoncée par un concurrent, une pharmacienne propriétaire est blanchie sur toute la ligneAu total, d’après les enquêteurs de l'ordre, les arrangements de M. Beaulieu impliquaient 25 médecins prescripteurs dans huit cliniques, 20 564 services d'Eylea® et de Lucentis® à destination de 4 442 patients, pour une valeur totale de médicaments de plus de 38 millions de dollars.Lors de ses différentes auditions par le syndic, Éric Beaulieu s’est défendu en déclarant que, pour lui, ces accords étaient légaux, dans l’intérêt et le respect du consentement du patient, et que ce dernier restait libre «de choisir sa pharmacie et de changer d’idée en cours de traitement», rapporte la décision de l’Ordre. C’est d’ailleurs pour ces raisons qu’il n’a pas mis fin à ces accords après avoir été informé de l’enquête du syndic à son encontre. Éric Beaulieu a également souligné que les pharmacies habituelles de ces patients étaient informées des médicaments qu’ils recevaient dans son établissement.«Aucun patient ne connaissait la pharmacie avant d’être contacté»Le deuxième chef d'accusation, qui lui vaut une amende de 10 000$, concerne une entente verbale conclue avec Sentrex Health Solutions, un fournisseur de services pharmaceutiques et de soutien aux patients. Pendant près d’un an, Éric Beaulieu a ainsi obtenu «de la clientèle par l’entremise d’un intermédiaire ou en s’entendant à cette fin avec un tel intermédiaire dans le cadre du programme KabiCare du fabricant Fresenius Kabi Canada géré par Sentrex à l’égard du médicament Idacio®», rapporte le conseil de discipline. Cet accord a couvert 158 services pour un total de près de 114 500$, certains services ayant été offerts par le fabricant.À lire aussi: Un pharmacien propriétaire sanctionné pour dissimulation, fraude à l’assurance et publicité illégaleBien qu’il ait informé Sentrex qu’il ne souhaitait plus être inclus dans leur liste de pharmacies au mois de février 2022, Éric Beaulieu a tout de même continué d’offrir des doses de compassion, «en attendant que tous les PSP soient informés de sa décision». Il indique en outre avoir pris contact avec les pharmacies habituelles de ses patients pour éviter tout danger, et avoir pris connaissance des décisions semblables en s’assurant «de ne pas avoir l’exclusivité».De son côté, le syndic adjoint de l'Ordre en charge de l'enquête indique avoir «communiqué avec sept patients au hasard et aucun ne connaissait la pharmacie de [Éric Beaulieu] avant d’être contacté par cette dernière et n’avait pas eu à transmettre d’ordonnances avant que le service du médicament Idacio® ne débute». Son avocate évoque le contexte dans lequel les ordonnances ont été faxées à la pharmacie d'Éric Beaulieu. «En temps normal, le patient arrive soit à la pharmacie avec son ordonnance ou elle est télécopiée à sa pharmacie communautaire. [...] Le patient est alors en contrôle de son ordonnance alors qu’en l’espèce, il n’exerce pas de véritable contrôle. [...] Ce sont plutôt des tiers qui sont en contrôle de son ordonnance.»Des gouttes ophtalmiques à base de cocaïneEnfin, le troisième chef d'accusation, assorti d'une amende de 5000$, est plutôt surprenant. Éric Beaulieu a été reconnu coupable d'avoir réalisé des transactions de stupéfiants avec une autre pharmacie, au Nouveau-Brunswick. Il se procurait auprès de cette pharmacie des gouttes ophtalmiques à base de cocaïne pour le compte d'un médecin argentin qui avait l'habitude de les utiliser comme anesthésiants. Ces gouttes avaient, selon Éric Beaulieu, «une période de stabilité de sept jours», et étaient conservées dans une armoire fermée à clef.Au syndic, Éric Beaulieu assurera qu'il avait proposé d'autres options au médecin argentin, sans succès. Il a alors trouvé la pharmacie de Moncton pour l'accommoder. Reste que cette pratique n’est rien d’autre qu’une transaction de stupéfiants autrement qu’en présence d’une situation d’urgence pour le conseil de discipline de l’Ordre, qui y voit «un acte dérogatoire à l’honneur ou à la dignité de la profession». À lire aussi: Un technicien sanctionné pour avoir détourné de la cocaïne de la pharmacie«Si c’était à refaire, [j’aurais] référé le médecin au pharmacien préparateur», a reconnu Éric Beaulieu, qui s'est dit «un peu déçu de lui-même et éprouver beaucoup de regrets». Ces remords, conjugués à la vente de sa pharmacie au mois de novembre dernier, ont rassuré le conseil de discipline quant à une possible récidive, et ont peut-être évité au pharmacien de plus lourdes sanctions.

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