Échographie ou tomodensitométrie en cas de soupçon clinique d'appendicite aiguë ?

Philippe Jobin philippe.jobin.2@ulaval.ca Radiologie Critique et pratique fait école. Des résidents de première année en spécialité de l’Université Laval ont rédigé un résumé critique d’un article récent d’intérêt dans leur domaine. Le responsable du cours d’apprentissage de la lecture critique, le Dr Michel Cauchon, a invité des cliniciens enseignants en spécialité et en médecine familiale à collaborer à la révision de ce travail de synthèse. Quelques-uns de ces travaux seront publiés au cours des prochaines semaines. Article de référence Doria AS, Moineddin R, Kellenberger CJ, Epelman M, Beyene J, Schuh S, et coll. US or CT for diagnosis of appendicitis in children and adults ? A meta-analysis. Radiology, octobre 2006; 241:83-94. RÉSUMÉ Objectif Évaluer la performance diagnostique de l’échographie et de la tomodensitométrie(TDM)pour le diagnostic de l’appendicite chez l’enfant et l’adulte. Conception Méta-analyse. Source des données Articles(1986 à 2004)provenant des banques de données suivantes: Medline, Embase, CINAHL, Cochrane Controlled Trials Register, Cochrane Database of Systematic Reviews et American College of Physicians Journal Club Databases. La liste des références des articles retenus a aussi été prise en considération. Il n’y a eu aucune restriction en ce qui concerne la langue. Sélection des études Les études prospectives et rétrospectives étaient incluses si elles mentionnaient les pourcentages de vrais positifs, vrais négatifs, faux positifs et faux négatifs relativement au diagnostic d’appendicite établi à l’aide de l’échographie ou de la TDM, comparativement à la présence ou non d’appendicite à la chirurgie ou à l’histologie avec un suivi d’au moins une semaine. Trois chercheurs ont indépendamment évalué la qualité de ces études à l’aide de critères préétablis. Extraction des données Les renseignements suivants ont été extraits des études retenues: devis de l’étude, âge moyen, sexe et nombre des participants, performance diagnostique ainsi que facteurs techniques concernant l’examen. Synthèse des données Des 229 articles sélectionnés, 57 respectaient les critères d’inclusion: 26 études portaient sur 9356 patients en pédiatrie et 31 sur 4341 patients adultes. La sensibilité et la spécificité globales pour le diagnostic de l’appendicite chez l’enfant ont été de 88 %(IC 95 %: 86 %-90 %)et 94 %(IC 95 %: 92 %-95 %)respectivement pour les études concernant l’échographie, et de 94 %(IC 95 %: 92 %-97 %)et 95 %(IC 95 %: 94 %-97 %)respectivement pour les études concernant la TDM. La sensibilité et la spécificité globales pour le diagnostic de l’appendicite chez l’adulte ont été de 83 %(IC 95 %: 78 %-87 %)et 93 %(IC 95 %: 90 %-96 %)respectivement pour les études concernant l’échographie, et de 94 %(IC 95 %: 92 %-95 %)et 94 %(IC 95 %: 94 %-96 %)respectivement pour les études concernant la TDM. Conclusion Du point de vue de la performance diagnostique, la TDM a une sensibilité plus élevée que l’échographie, tant dans les études chez l’enfant que dans celles chez l’adulte. Cependant, du point de vue de l’innocuité, il est important de prendre en considération le désavantage que possède la TDM en ce qui concerne la radiation, et ce, particulièrement dans la population pédiatrique. COMMENTAIRE Pertinence de l’étude L’appendicite est la pathologie abdominale aiguë nécessitant une chirurgie la plus fréquente, tant chez l’adulte que chez l’enfant. Le nombre de soupçons cliniques d’appendicite aiguë rencontrés dans un département d’urgence peut être impressionnant. Un retard de diagnostic peut avoir des conséquences graves, qui peuvent être significativement diminuées par une chirurgie précoce. Voilà pourquoi il est primordial de pouvoir maximiser la décision suivante: des deux examens d’imagerie les plus utilisés lors d’un soupçon clinique d’appendicite(l’échographie et la TDM), lequel offre la meilleure performance diagnostique ? Importance des résultats L’analyse des résultats démontre une différence statistiquement significative entre la sensibilité de l’échographie(88 %)et celle de la TDM(94 %)chez l’enfant et chez l’adulte(83 % vs 94 %, respectivement). Il n’y a pas de différence statistiquement significative en ce qui concerne la spécificité chez les deux groupes. Les auteurs calculent que pour 10 000 enfants de 11 ans chez qui l’on utilise l’échographie plutôt que la TDM, environ 280 auront un diagnostic de départ manqué d’appendicite, alors que pour 10 000 adultes de 35 ans, environ 480 appendicites seront manquées initialement avec l’échographie. Étant donné l’importance relative d’un diagnostic initial manqué(complications, morbidité, possible décès)comparée à la facilité d’utilisation de la TDM(disponible, rapide, relativement peu dispendieuse), il semble évident que la TDM devrait être utilisée comme premier examen d’imagerie lors d’un soupçon clinique d’appendicite. Il faut cependant se rappeler qu’il existe un certain risque(bien que souvent sous-estimé)lié à l’utilisation de la TDM plutôt que l’échographie: la radiation. Chez les enfants, les effets délétères de la radiation sont plus importants: les auteurs estiment que sur les 10 000 enfants qui ont l’échographie plutôt que la TDM, 13 cancers seront évités(deux chez l’adulte). Ce risque amène à sérieusement prendre en considération l’échographie avant la TDM chez l’enfant malgré une sensibilité moindre, quitte à utiliser la TDM par la suite si l’échographie est négative et que la situation clinique ne s’améliore pas. Critique de la méthodologie Les points forts de cette revue systématique sont: question clinique précise; méthode de recherche d’articles exhaustive; recherche d’articles par deux chercheurs de façon indépendante; sélection des articles à l’aide de critères objectifs et appropriés au contexte clinique; qualité des études évaluée indépendamment par trois radiologistes(dont deux à l’aveugle)en utilisant des critères objectifs; calcul des coefficients de corrélation entre ces trois chercheurs pour s’assurer de leur degré d’accord; vérification du biais de publication à l’aide du funnel plots; analyses de métarégression pour s’assurer de l’homogénéité des études quant à certains facteurs potentiellement confondants; et analyse de sensibilité. Les points faibles sont: absence de figure présentant la sélection des articles; absence d’explications détaillées sur l’exclusion de certains de ceux-ci; biais liés aux devis des études sélectionnées(prospectives et rétrospectives)et à leur qualité méthodologique limitée(score médian de qualité d’environ 38 sur une échelle de 100); absence de randomisation dans la plupart des études pour le choix du test diagnostique; et absence d’information dans les études quant à l’indice de masse corporelle, malgré qu’on sache que le pourcentage de gras peut diminuer la performance de l’échographie. Mise en perspective selon l’état des connaissances Une méta-analyse 1 a déjà évalué l’échographie chez l’adulte, et une revue systématique 2 a déjà comparé l’échographie et la TDM chez l’adulte et l’adolescent dans ce contexte. La sensibilité de l’échographie et de la TDM dans ces articles était comparable à celle de la présente méta-analyse. La prise en compte dans la prise de décision non seulement de l’efficacité de l’une et l’autre des techniques d’imagerie mais aussi de leur innocuité, particulièrement chez l’enfant, est très bien mise en perspective dans cette méta-analyse. Références 1. Orr RK, Porter D, Hartman D. Ultrasonography to evaluate adults for appendicitis : decision making based on meta-analysis and probabilistic reasoning. Acad Emerg Med, 1995; 2:644-50. 2. Terasawa T, Blackmore CC, Bent S, Kohlwes RJ. Systematic review : computed tomography and ultrasonography to detect acute appendicitis in adults and adolescents. Ann Intern Med, 2004; 141:537-46. CONTRIBUTION À LA PRISE DE DÉCISION CLINIQUE Cette méta-analyse appuie la conduite diagnostique actuelle lors du soupçon d’une appendicite aiguë, soit d’utiliser en premier lieu la TDM chez l’adulte et l’échographie chez l’enfant. La TDM pourrait être utilisée dans un deuxième temps chez l’enfant si l’échographie est négative ou non concluante alors que le soupçon clinique est important.

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