Écart salarial entre les hommes et les femmes médecins: des facettes méconnues

L’écart salarial entre les hommes et les femmes médecins est un problème qui touche la plupart des pays, selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS). Voulant examiner la situation à travers le Canada, la Dre Shannon Ruzycki et une équipe de chercheurs ont étudié le sujet afin de mieux le documenter et d'outiller les professionnels à aborder cet enjeu. Leur article a été publié dans le Canadian Medical Association Journal (CMAJ). «L'existence même de l’écart de rémunération genré est plutôt controversée, même si les données probantes sont très concluantes», affirme la Dre Ruzycki de la Cumming School of Medicine de l’Université de Calgary lors d’une entrevue avec ProfessionSanté.ca. Elle ajoute que cet écart est présent dans toutes spécialités confondues, dans les diverses provinces et territoires du pays, et peu importe l’expérience des médecins.Les commentaires sont généralement les mêmes: les femmes médecins sont moins bien payées car elles voient moins de patients que leurs collègues masculins, elles travaillent moins d’heures ou elles choisissent d’exercer dans des spécialités où la rémunération est moindre.La Dre Ruzycki reconnaît que ces points peuvent être véridiques à un niveau populationnel. Cependant, si par exemple les données indiquent que les femmes travaillent moins d’heures que les hommes, l’analyse des données accumulées pour l’étude tiennent compte de cette différence afin que les hommes et femmes médecins soient comparés à pied d’égalité. Les résultats des études indiquent clairement que l’écart salarial est bien réel, peu importe le type de rémunération que perçoivent les médecins.À lire aussi: L’écart salarial entre hommes et femmes bien réel au CanadaEn examinant de près les diverses études disponibles sur ce sujet, «nous avons été en mesure de voir que les tendances [menant à cet écart] ne sont pas discutées correctement, explique-t-elle. Nous avons donc cherché à [obtenir de nouvelles] données probantes sur l’écart salarial afin de mieux répondre à la résistance face à ce sujet.» Prendre conscience de l'écart au quotidienLa différence entre les rémunérations perçues par les hommes et femmes en médecine n’est pas toujours simple. Par exemple, une étude publiée en 2023 dans le Journal canadien de chirurgie démontre l’existence d’une «double discrimination à l’endroit des médecins et de la patientèle de sexe féminin». Dans ce cas, la discrimination salariale est dite double, car non seulement les chirurgiens percevaient une compensation «significativement moindre pour les interventions visant la patientèle féminine», mais aussi puisqu’il y a un plus grand nombre de femmes que d’hommes qui optent de se spécialiser en obstétrique et gynécologie, qui seraient des spécialités moins «payantes».«Pourquoi ne donnons pas la même importance à l’endométriose qu’à la dysfonction érectile? Nous n’investissons pas les mêmes ressources temporelles, financières et énergétiques sur ces enjeux», nota la Dre Ruzycki.«Il y a également des données qui soutiennent que, tant au Canada qu’aux États-Unis, les femmes médecins passent [en moyenne] plus de temps par patient que leurs homologues masculins», ajoute la médecin. Puisque plus de 72% de la rémunération globale des médecins québécois en 2015-2016, selon un mémoire publié en 2019 par la Fédération médicale étudiante du Québec (FMEQ), dédier plus de temps à chaque consultation est fait au détriment de la rémunération du médecin.À lire aussi: L’écart salarial entre hommes et femmes bien réel au Canada«L'un des désavantages du modèle de rémunération à l’acte pour le médecin est que ça récompense ceux qui voient plus de patients rapidement», constate la Dre Ruzycki. Elle explique aussi que ce désavantage est rapidement amplifié: le médecin qui voit plus de patients à travers de sa journée sera valorisé davantage par le système de santé. «Ce système punit ceux qui dédient plus de temps à leurs patients.»D’autres variables exercent aussi une influence sur la durée des consultations menées par des femmes médecins. L’équipe de recherche dont fait partie la Dre Ruzycki a également rapporté que les femmes médecins se font plus souvent interrompre par leurs patients que leurs collègues hommes, et se font aussi moins assister par les équipes administratives. «C’est probablement dû aux normes sociétales et culturelles», croit la médecin.Comment aider à changer les choses?L’écart salarial entre les hommes et femmes médecins n’est que la pointe de l’iceberg des inégalités systémiques des sexes et raciales présentes dans notre société, signale la Dre Ruzycki. Les multiples facettes de l’enjeu sont très nuancées et complexes, juge l’équipe de chercheurs. À lire aussi: Médecins: êtes-vous satisfaits de votre rémunération?Il y a beaucoup de facteurs qui sont hors du contrôle des médecins, admet la Dre Ruzycki citant les politiques gouvernementales et le vieillissement de la population. Elle encourage toutefois ses compères masculins de reconnaître le privilège auquel ils ont accès en ce qui concerne leur rémunération. Elle invite aussi à réfléchir sur l’importance accordée à certaines conditions propres à seulement un sexe, afin de proactivement discerner la double discrimination.L’implication des médecins dans les organismes tels que l’Association médicale canadienne, le Collèges des médecins du Québec et les fédérations médicales est cruciale pour faire changer les choses et réduire l’écart salarial, spécifie la Dre Ruzycki. Après tout, ces associations médicales ont pour responsabilité d’entreprendre les négociations qui permettent de réévaluer le système de santé «sous une perspective d’équité, de diversité, d’inclusion et d’anti-oppression».

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