Du cholestérol LDL à des traitements contre le cancer et la COVID-19

L’équipe du Dr Nabil G. Seidah vient de publier coup sur coup deux études qui «ouvrent des perspectives extraordinaires», selon le directeur de l’Unité de recherche en biochimie neuroendocrinienne de l’Institut de recherches cliniques de Montréal (IRCM) qui, d’ordinaire, affiche l’humilité du scientifique. La première, publiée en ligne dans la revue Molecular Metabolism le 22 décembre, met en lumière le mécanisme qui conduit une protéine pivot à réguler le cholestérol LDL; mécanisme qui influe également sur le développement de certains cancers et maladies cardiovasculaires. La seconde, parue le 27 janvier dans le journal Viruses, montre comment cette même protéine joue un rôle clé dans l’infection par la COVID-19. Ces deux articles scientifiques (disponibles en pied de page) sont le fruit de deux décennies de recherche. Tout a commencé en 2003 lorsque le Dr Seidah a identifié, en collaboration avec le groupe de la Dre Catherine Boileau, de l’Hôpital Necker-Enfants malades à Paris, que la protéine dénommée PCSK9, découverte par son équipe, était associée à des cas d’hypercholestérolémie. PCSK9 régule la famille des lipoprotéines de basse densité ou LDL (low density lipoproteins) qui peuvent s’accumuler dans le sang et entraîner l’athérosclérose et des maladies cardiaques. «On s’était rendu compte que la PCSK9 élimine la fonction des récepteurs LDL [LDLR] qui normalement captent dans le sang ces LDL pour ensuite les conduire dans les cellules du foie où elles sont synthétisées», explique le professeur-chercheur à la faculté de médecine de l’Université de Montréal. Autrement dit, plus le taux de PCSK9 augmente, moins les cellules du foie sont en capacité de réguler le «mauvais cholestérol». À partir de là, des anticorps monoclonaux inhibiteurs de la PCSK9 ont été développés, comme l’evolocumab et l’alirocumab, qui ont pour effet de réduire le taux de cholestérol LDL et de prévenir, dans certains cas, l’athérosclérose qui résulte d’un niveau élevé de ce cholestérol-là. Malgré tout, «l’enjeu était de comprendre de quelle manière ce gain-de-fonction de la PCSK9 altère les récepteurs LDL et les empêchent de jouer leur rôle dans la dégradation des lipoprotéines. Quel est le signal envoyé aux LDLR par la PCSK9 et d’où provient-il?», indique le Dr Seidah. Avec l’aide de ses collègues, et grâce à des collaborations récentes avec des chercheurs de l’université Paris-Saclay et de l’université de Pise, en Italie, il lui a fallu 10 ans pour arriver à ses fins. Stimuler le système immunitaire face aux cancers Pour ce faire, ils ont «découpé en morceaux» la protéine PCSK9. Puis, en effectuant différentes analyses structurelles et cellulaires, les scientifiques montréalais ont fini par découvrir que la PCSK9 contient trois domaines structuraux qui régulent son trafic cellulaire et que le second (M2) est responsable du signal transmis aux récepteurs LDL pour qu’ils soient acheminés vers les compartiments de dégradation cellulaire. Ils se sont également aperçus que la PCSK9 ne dégrade pas seulement les LDLR, mais aussi d’autres récepteurs tels ceux des facteurs d’histocompatibilité, comme HLA-C. Découverte qui fait l’objet de l’article publié dans Molecular Metabolism. Les chercheurs y révèlent que la PCSK9 fait partie d’un complexe de quatre protéines, dont HLA-C. Essentielle dans le fonctionnement du système immunitaire, «HLA-C stimule notamment l’activité antitumorale des lymphocytes T, une fonction qui est dégradée par PCSK9», précise le Dr Seidah. «Or quel domaine de PCSK9 s’attache à HLA-C?» poursuit-il. «C’est le domaine M2!» Ainsi, l’inhibition de la PCSK9 aurait un effet protecteur contre la croissance de tumeurs et de leurs métastases en augmentant le niveau de HLA-C à la surface des cellules cancéreuses. Dans la foulée de cette découverte, des essais cliniques de phase 1 ont été lancés à Montréal et Québec auprès de plusieurs personnes atteintes de différents cancers. L’ objectif est de confirmer que les anticorps monoclonaux inhibiteurs de la PCSK9 empêchent son interaction avec HLA-C, aidant par ricochet le système immunitaire à combattre les cancers. Des effets aussi sur les infections sévères à la COVID-19 Comme si cela ne suffisait pas, l’équipe du Dr Seidah s’est rendu compte que la PCSK9 a aussi une influence sur l’infection par le coronavirus SRAS-CoV-2, que les scientifiques détaillent dans l’article publié dans Viruses. Entre mai 2021 et juin 2022, une étude clinique a été menée par des cliniciens américains, en partant de la prémisse que la PCSK9 a une influence potentielle sur l’inflammation vasculaire et sur la réponse inflammatoire à la COVID-19. Ils ont donc administré de l’evolocumab à 60 patients qui avaient de sévères séquelles respiratoires dues à la COVID-19. Leurs troubles inflammatoires ont fortement diminué et la moitié d’entre eux ont pu quitter les soins intensifs. Les chercheurs de l’IRCM montrent dans leur article comment l’anticorps monoclonal inhibiteur de la PCSK9 provoque de telles améliorations. Ils ont découvert que la PCSK9 réduit le niveau de la protéine ACE2. Or durant l’infection, le SRAS-CoV-2 se lie aux récepteurs cellulaires de l’ACE2 des voies respiratoires via sa glycoprotéine de surface S, connue sous le nom de spécule (Spike). En dégradant l’ACE2, la PCSK9 aurait deux fonctions successives, temporellement séparées. En premier lieu, la diminution du niveau du récepteur ACE2 de SRAS-CoV-2 réduirait l’infection. Par contre, la PCSK9 serait aussi partiellement responsable de l’augmentation de l’inflammation suivant l’infection, car l’enzyme ACE2 génère l’angiotensine 1-7 qui est fortement anti-inflammatoire. «Nous croyons que suivant l’infection par le SRAS-CoV-2, en bloquant la PCSK9, on augmente le niveau de ACE2 et donc on diminue sensiblement l’inflammation pulmonaire induite suite à l’infection par ce coronavirus», explique le Dr Seidah. Il ajoute que «ceci pourrait expliquer pourquoi les patients prenant des statines — qui diminuent la synthèse du cholestérol intracellulaire et sont anti-inflammatoires, mais augmentent aussi la synthèse de la PCSK9 — seraient protégés par la diminution des niveaux des récepteurs ACE2, porte d’entrée du SRAS-CoV-2. En revanche, après l’infection, il serait nécessaire de réduire l’inflammation associée ainsi que l’anti-PCSK9 [l’evolocumab en l’occurrence] qui, en inhibant l’activité de la PCSK9, serait en partie responsable de la diminution de l’inflammation, et donc de celles des hospitalisations de longue durée et des décès de plusieurs patients fortement infectés par la COVID-19.» Si cette découverte appelle d’autres analyses, elle n’en demeure pas moins prometteuse alors que la COVID-19 a provoqué encore 9598 décès dans le monde ces sept derniers jours, dont 3713 aux États-Unis et 229 au Canada, selon des données de l’Organisation mondiale de la santé.

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