Dre Élaine Gagnon: «Tout le monde a sa croix à porter»

Nous avons tous une croix à porter à un moment ou l’autre de notre vie, peut témoigner la Dre Élaine Gagnon, médecin de famille de Québec. Elle l’a vécu de dure façon, il y a un an et demi. Elle n’a pu sauver la vie de son mari, médecin comme elle, lorsqu’il a fait un infarctus pendant une randonnée cycliste. Ce drame aurait pu l’anéantir, mais elle s’en est remise avec une grande force en s’inspirant d’une réflexion que lui avait faite un jour son époux : «Si tu traverses l'enfer, n'arrête pas, continue.»La journée du 1er septembre 2016 s’annonçait magnifique. La Dre Gagnon et son mari, le Dr Sylvain Boutet, médecin en médecine sportive, médecin des Remparts de Québec et fondateur des cliniques privées Médic Axion, et quatre de leurs amis avaient choisi de faire du vélo dans la région de Stoneham, près de Québec.À 55 ans, le Dr Boutet mettait en pratique ce qu’il prônait à ses patients : faire du sport pour se maintenir en forme et garder son cœur en santé. Quatre fois par semaine, il allait au gymnase avec sa femme. On ne lui connaissait aucun problème cardiaque.«Si on lui avait fait passer un tapis roulant ordinaire, il l’aurait certainement passé avec beaucoup de facilité, est persuadé son épouse. Nous n’avions pas de crainte pour son cœur ni l’un ni l’autre. Comme il s’entraînait fort, jamais je n’ai eu peur pour lui.»Rien ne laissait donc présager le drame qui se préparait, sauf peut-être un bref incident survenu deux semaines plus tôt quand il avait eu une faiblesse en disputant un match de hockey. Il n’en n’avait pas soufflé mot à son épouse. Elle en a été informée après sa mort. «C’est bien malheureux. Les médecins font de la négation», regrette-t-elle.L’infarctus fatal«Je roulais une cinquantaine de pieds derrière lui, raconte la Dre Gagnon. En levant la tête, j’ai réalisé que l’un des cyclistes était étendu sur la chaussée. En m’approchant, j’ai réalisé qu’il s’agissait de Sylvain. Ma première idée est qu’il avait chuté et qu’il était inconscient parce qu’il s’était heurté la tête au sol ou qu’il s’était fait mal à la colonne.»Voyant qu’il ne bougeait pas, elle a commencé à lui pratiquer des massages cardiaques. «Au début, il a eu quelques réactions, j’avais l’impression qu’il revenait, mais le temps passait et je constatais qu’il ne réagissait plus.»D’autres médecins et des infirmières d’urgence en vélo arrivés sur la scène ont poursuivi les manœuvres de réanimation. Mais la Dre Gagnon était consciente que c’était vain. «Je savais qu’il était décédé. En entrant dans l’ambulance, je réalisais que ma vie venait de basculer.»À l’hôpital, une urgentologue est venue lui confirmer le décès de son mari. Le rapport d’autopsie a révélé qu’il avait plusieurs artères bloquées à 80% même si, dans la vie de tous les jours, il ne présentait aucun symptôme de maladie cardiaque.Pas de culpabilitéUn an et demi plus tard, la Dre Gagnon revit cette épreuve avec courage et philosophie. Les médecins sont formés pour sauver des vies. Elle-même n’a pas réussi à sauver son propre mari victime d’une crise cardiaque. Pourtant, cette idée ne l’a pas rongée. Au contraire. L’attitude qu’elle a adoptée est même inspirante.Lire la suite«Je n’ai pas ressenti de culpabilité, dit-elle. Je me disais que j’avais fait le maximum et j’étais même contente d’avoir été avec lui jusqu’à la fin. Je pense que sans défibrillateur cardiaque, avec une ambulance qui a mis 45 minutes à arriver, personne ne serait pas parvenu à le sauver.»Néanmoins, dans les premiers temps, sa brusque disparition a été difficile à vivre.«Rien ne pouvait me préparer à cela, ajoute-t-elle. Je n’avais jamais vécu de deuil, c’était la première fois que je vivais cela pour une personne très proche de moi.»Sa nouvelle familleÀ peine deux jours après le drame, pour oublier le chagrin, elle est retournée au gym avec son groupe d’habitués. «Pouvoir continuer l'entraînement avec les amis que nous avions l'habitude de côtoyer tous les jours a été une bouée de sauvetage, dit-elle. Sylvain manquait à nos amis, je me sentais comprise même sans en parler et je pouvais aussi répéter des choses qu'il avait l'habitude de dire ou en parler sans craindre de déranger. J’avais besoin de garder cette routine et parce que je n’avais plus personne à la maison, c’était devenu ma petite famille. Ça m’a beaucoup aidée.»Plus empathique comme médecinElle a vu une psychologue une seule fois. «Les émotions ne sont pas sorties davantage. Ma véritable psychologue, sourit-elle, ce fut mon automobile, où je me laissais aller à pleurer.»Au plan professionnel, elle a repris progressivement la médecine après seulement trois semaines d’arrêt. «Je n’avais pas le goût de revenir si vite, dit-elle, mais ce fut une bonne décision. Mes patients m’encourageaient. Entendre raconter les épreuves qu’ils vivaient m'a aussi permis de mieux accepter la mienne. Aujourd’hui, je suis plus empathique que dans le passé envers ceux qui vivent des deuils, parce que je connais mieux les émotions difficiles qu'ils vivent.»Plus tard, elle a vendu les parts que son mari possédait dans les deux cliniques privées Médic Axion qu’il avait fondées deux ans plus tôt, et elle est retournée pratiquer dans le système public à temps complet il y a quelques semaines.Une femme transforméeUn an et demi plus tard, la Dre Élaine Gagnon est une femme transformée, aussi bien comme médecin que sur le plan personnel. Le drame l’a forcée à se redéfinir et à s’affirmer. Néanmoins, elle trouve encore certains moments durs, les matins en particulier. «C’est la raison pour laquelle je vais au gym, c’est mon antidépresseur», confie-t-elle.Même si son mari n’est plus, l’influence qu’il avait sur elle demeure bien vivante.«Sylvain était quelqu'un qui voyait l'avenir positivement. Je pense qu'il m'a donné un peu de lui-même sur cet aspect. Il me disait: "On traversera le pont quand on sera rendu à la rivière."»Pas en colère après la vieElle n’est toutefois pas en colère après la vie et ne crie pas à l’injustice.«Certains m’ont demandé si j’étais fâchée après l’existence. Non. J’ai été gâtée d’avoir un bon mari. J’ai 54 ans et mes parents sont toujours vivants. J’ai été choyée, je me dis qu’il n’y a personne qui ne vit pas d’épreuves. Tout le monde a sa croix à porter un jour ou l’autre. C’était à mon tour. Je n’en veux pas à la vie.»

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