Distinguer les différents acides gras oméga-3 – Pour y voir plus clair dans les huiles de poisson

Commençons par le début. Dans la nature, les gras sont stockés sous forme de triglycérides (trois acides gras liés à un squelette de glycérine par des liens esters). Dans le cas particulier des huiles de poisson, chaque triglycéride (TG) contient un seul acide gras à chaîne longue. Un AEP ou un ADH est combiné à deux autres acides gras, principalement des mono-insaturés et des saturés de 18 carbones comme l’acide palmitique ou l’acide oléique.En suivant cette logique, les produits de base d’huile de poisson ont une concentration maximale en oméga-3 de 30 %. C’est ce qu’on retrouve sur le marché avec des concentrations de 18 % d’AEP et de 12 % d’ADH.Comment obtient-on des concentrations plus élevées ?Les producteurs de matières premières comme Ocean Nutrition (un des plus importants fournisseurs au monde, basé en Nouvelle- Écosse) utilisent une technologie industrielle qui permet de détacher les acides gras de leur triglycéride. Il faut savoir qu’on ne peut pas fabriquer un produit avec des acides gras libres car ils sont instables. Une fois libérés de leur glycérine, on les recombine donc en insérant un second acide gras à chaîne longue dans la structure pour obtenir deux oméga-3 par triglycéride. Il est impossible de mettre trois acides gras à chaîne longue sur le même triglycéride parce que la molécule obtenue est instable. Il faut savoir que nos acides gras oméga-3, à cause de leurs nombreuses liaisons doubles, ont une structure tridimensionnelle beaucoup plus complexe que celle d’un saturé. C’est donc une question de manque d’espace.Les produits ainsi obtenus contiennent un maximum de 60 % d’oméga-3, les principaux comportant 40 % d’AEP et 20 % d’ADH.Et les produits contenant plus de 60 % d’oméga-3 ?Pour obtenir des concentrations plus élevées ou des ratios d’oméga-3 différents (le ratio AEP/ADH normal varie entre 3/2 et 2/1), on doit non seulement changer de technologie, mais également de composé chimique. C’est ici qu’interviennent les éthyles esters. Comme les acides gras libres ne sont pas stables, on a développé une façon de les stabiliser en les combinant à un éthanol par un lien ester (d’où éthyle ester). Ces nouveaux composés ont été développés, entre autres, pour des fins d’études afin de permettre de distinguer l’effet de l’ADH de celui de l’AEP. Les études cliniques effectuées avec de l’ADH ou de l’AEP pur le sont donc avec des éthyles esters (EE).Les TG sont-ils plus naturels que les EE ?Les EE existent dans la nature. Notre foie en fabrique d’ailleurs comme intermédiaire pour le transport d’acides gras. Leur concentration augmente chez les cirrhotiques qui ont de la difficulté à les métaboliser. Bien peu de choses différencient ces deux types de molécules. Sur le plan de la biodisponibilité, elles sont presque identiques. Et les TG bénéficient de plus de documentations cliniques sauf dans les indications psychologiques comme les troubles de l’humeur, le trouble bipolaire ou la dépression. Dans ces cas, le poids de la preuve va vers le AEP-EE concentré. Notez aussi que les TG à deux oméga-3 n’existent pas dans la nature.AnecdoteL’histoire se passe à Vancouver. Un représentant d’une compagnie d’oméga-3 fait une démonstration comparant son produit à celui d’un concurrent. Il verse le contenu de son produit dans un verre de styromousse et rien ne se passe. Il verse ensuite le contenu du produit concurrent.Résultat : le styromousse se dissout ! Ledit représentant utilise donc cette réaction pour affirmer au public ébahi que son produit est bon et naturel et que l’autre est dangereux.ExplicationCette étonnante réaction s’explique par la différence de polarité entre les triglycérides et les éthyles esters. Les EE dissolvent le styromousse, pas les TG. Les TG concentrés ne sont ni plus ni moins naturels et sécuritaires que leurs contreparties EE, mais ce spectacle de foire en fait encore parler plusieurs.Autres mythesCertaines compagnies, surtout américaines, y vont d’un marketing douteux et à mon avis illégitime parce que faux. Elles prétendent que seul leur produit est frais parce qu’ils cueillent l’huile dès la pêche du poisson qui est sous leur contrôle strict; que leur pêche est environnementale (eco-friendly), parce qu’elle ne nuit pas au renou-vellement des stocks; que seuls des petits poissons sont utilisés parce qu’ils sont moins contaminés.Il faut savoir que la plupart des entreprises s’approvisionnent chez les mêmes fournisseurs de matières premières. À ma connaissance, aucune compagnie ne fabrique sa propre huile (à l’exception du Meg-3 de Ocean Nutrition, disponible directement ou par d’autres entreprises qui le mettent sous leur propre étiquette avec le logo Meg-3 [petit poisson vert]). La fraîcheur de l’huile n’a rien à voir avec la pêche, mais bien avec le contrôle de qualité (la chaîne de froid, entre autres). D’ailleurs, sur ce dernier point, la fraîcheur d’une huile se mesure par la valeur peroxyde qui établit le taux d’oxydation réel de l’huile.La mythologie du petit poisson moins contaminé que le gros est vraie uniquement dans l’aliment. Les grands prédateurs comme le thon rouge, le requin ou le brochet sont en fin de chaîne alimentaire, donc plus intoxiqués. En revanche, lorsqu’on parle d’un extrait comme une huile de poisson, ce concept ne s’applique pas. Les huiles sont purifiées par des processus comme la filtration et la distillation et, chez les bons fabricants, un contrôle de qualité rigoureux mesure la présence des divers contaminants dans le but de garantir que leur teneur soit en deçà des seuils de détection. Toutes les compagnies canadiennes ont de tels contrôles de qualité, obligatoires par la Direction des produits de santé naturels (DPSN). Et soyons francs, la plupart des entreprises distributrices achètent le produit déjà encapsulé chez leur fournisseur. Alors ces arguments facétieux, typiques du marketing amé-ricain, n’ont plus leur place ici où l’industrie est encadrée par la DPSN.La réalité des différents ratios (proportions entre AEP et ADH)À l’exception des indications pour la dépression et les troubles de l’humeur, tous les ratios des produits sur le marché sont basés sur très peu de choses.Dans la dépression, le poids de la preuve va vers un produit contenant 1000 mg de AEP-EE et le moins possible de ADH1. Pour les indications d’inflammations, la logique voudrait qu’on utilise surtout de l’AEP puisqu’il est le précurseur des éicosanoïdes anti-inflammatoires. Par contre, les études ont presque toutes été faites avec les huiles de poisson TG (contenant donc une proportion importante de ADH)2,3.Concernant les indications cardiovasculaires, il n’y a pas de consensus sur la prédominance d’un oméga-3 sur un autre. Vous trouverez plusieurs études qui utilisent des produits plus riches en ADH et tout autant qui utilisent des produits plus riches en AEP. Les experts s’entendent pour recommander des doses d’oméga-3 globales, sans mentionner de ratio.Les données sur l’ADH dans le développement du cerveau sont correctes. En effet, le cerveau du fœtus, des nourrissons et des enfants jusqu’au début de l’adolescence (dernière période de croissance du cerveau) a la capacité de fixer l’ADH comme matériaux de construction. Quant à nous, pauvres adultes, nous avons perdu cette capacité. Ainsi, l’ADH a montré la capacité de prévenir le déclin cognitif seulement s’il est consommé sur une très longue période, sinon la vie durant. L’ADH n’est plus considéré comme un composé unique, mais plutôt comme un marqueur de la consommation de poisson, comme habitude de vie. Vanter les mérites d’un produit riche en ADH pour prévenir la maladie d’Alzheimer ou le déclin cognitif n’est pas basé sur de la science rigoureuse.En conclusionLes oméga-3 de poisson sont parmi les substances les plus importantes et les plus fréquemment utiles pour une panoplie d’indications. Comme le commerce des oméga-3 est un marché mature, plutôt stable et assez bien garni, les compagnies y vont de stratégies plus ou moins légitimes pour se différencier de la concurrence.À l’exception des indications pour les troubles de l’humeur, la dose totale est plus importante que le rapport entre les deux oméga-3 et que la structure chimique sous laquelle ils nous sont présentés.Références1. Appleton KM, Rogers PJ, Ness AR. Is there a role for n-3 long-chain polyunsaturated fatty acids in the regulation of mood and behaviour? A review of the evidence to date from epidemiological studies, clinical studies and intervention trials. Nutr Res Rev. 2008 Jun;21(1):13-41.2. Goldberg RJ, Katz J. A meta-analysis of the analgesic effects of omega-3 polyunsaturated fatty acid supplementation for inflammatory joint pain. Pain. 2007 May;129(1-2):210-23.3. Calder PC. Session 3: Joint Nutrition Society and Irish Nutrition and Dietetic Institute Symposium on ‘Nutrition and autoimmune disease’ PUFA, inflammatory processes and rheumatoid arthritis. Proc Nutr Soc. 2008 Nov;67(4):409-18.

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