Discerner l’épuisement professionnel et s’en prémunir

Le phénomène tend à se vérifier sondage après sondage. Depuis la pandémie de COVID-19, il s’est même accentué. Plus de la moitié des médecins au Canada (53%) ressentent un niveau élevé d’épuisement professionnel, un chiffre en hausse de 22% depuis 2017, selon la plus récente enquête de l’Association médicale canadienne (AMC) publiée l’été dernier. «On n’est pas encore au stade de la perte de sens, mais on s’en approche dangereusement», observe le directeur du Pôle santé d’HEC Montréal, Denis Chênevert. Le professeur en gestion des ressources humaines animait mercredi une formation sur «les déterminants de la santé psychologique des médecins au travail» en compagnie de la Dre Sandra Roman, médecin-conseil au département de santé publique du CISSS de Laval ainsi qu’au Programme d’aide aux médecins du Québec (PAMQ). Ensemble, ils ont pu confirmer cette tendance au burn-out auprès des 90 cliniciens qui ont assisté à cette activité de développement professionnel proposée par l’AMC. Un rapide coup de sonde lancé en direct a montré que 48% des participants de l’atelier ressentent du stress et n’ont pas toujours autant d’énergie qu’avant; 17% se disent sur la voie de l’épuisement professionnel, dont ils éprouvent au moins un des symptômes, notamment la fatigue émotionnelle; 10% déclarent des symptômes d’épuisement persistants et «pensent beaucoup à la frustration qu’ils vivent au travail». Enfin, 4% ont avoué être «en plein épuisement professionnel» au point où ils devraient aller chercher de l’aide. Ces chiffres n’ont pas surpris les deux formateurs. «Les taux de dépersonnalisation et d’épuisement émotionnel sont plus élevés au Québec qu’ailleurs au Canada», souligne Denis Chênevert. Les femmes médecins, les cliniciens en début de carrière, les omnipraticiens et ceux pratiquant en région étant les plus à risque. Mécanismes à l’oeuvre Bien qu’il soit très répandu, le burn-out est encore mal compris et il subsiste de nombreux mythes à son égard, signale la Dre Sandra Roman. «Selon l’OMS [Organisation mondiale de la santé], il ne s’agit pas d’un trouble mental. On parle plutôt d’un syndrome résultant d’un stress chronique au travail qui n’a pas été géré avec succès», indique la médecin-conseil. Elle précise qu’il s’installe de manière insidieuse, lentement et qu’il comporte généralement trois dimensions. Il y a d’abord l’épuisement émotionnel - «on se sent au bout du rouleau, on n’arrive plus à récupérer». Cette lassitude s’accompagne par du cynisme doublé d’un sentiment de déshumanisation - «la frustration prend alors de l’ampleur». Pour finalement aboutir à une perte de sens et une diminution de l’accomplissement personnel au travail - «on a l’impression de ne plus être assez compétent et efficace». Et on finit par perdre pied. S’il a des impacts au niveau individuel (désir de réduire ses heures, de quitter, etc.), l’épuisement professionnel a également des «répercussions systémiques majeures», signale la Dre Roman. Une étude a par exemple montré qu’à chaque accroissement d'un écart type de la moyenne d'épuisement chez les médecins, la probabilité d’une erreur médicale augmente de 12%. La multiplication des absences provoquées par les burn-outs engendre par ricochet un «cercle vicieux», signale Denis Chênevert. Cet absentéisme «réduit la capacité de délivrer des soins et augmente l’épuisement de ceux qui restent en poste». Lire aussi: L’épuisement professionnel des médecins nuit à la qualité des soins Facteurs personnels Il existe des déterminants individuels propices au burn-out. De l’aveu même des participants à la formation, le perfectionnisme qui caractérise les médecins est l’un d’entre eux. «Viser l’excellence, en donnant le meilleur de soi en tout temps et en toutes circonstances, est un idéal louable. Alors qu’être perfectionniste, c’est une vulnérabilité, car c’est impossible pour un humain d’être parfait», nuance la Dre Roman. Certains médecins sont aussi propices à développer une dépendance à la job (ou workaholism) qui provoque leur épuisement, «car ils ont une relation malsaine au travail», signale le professeur Chênevert. Certes, ces névrosés ne sont pas légion, mais au sein d’une équipe, ils peuvent avoir une influence négative sur les soignants plus jeunes et les nouveaux, note-t-il. Causes exogènes La relation entre la demande de soins à satisfaire et les ressources disponibles pour y répondre est la principale source organisationnelle de l’épuisement professionnel. Si la demande augmente tandis que les ressources s’amenuisent, «c’est démotivant et stressant», signale le directeur du Pôle santé d’HEC qui souligne que le nombre d’heures travaillées n’a pas d’impact sur l’épuisement émotionnel. «C’est davantage une question de perception de la charge de travail et des ressources disponibles.» En la matière, le facteur déterminant demeure le contrôle que le professionnel peut exercer, ou non, sur sa propre charge de travail. Près de 40% des 90 médecins qui participaient mercredi à l’atelier ont ainsi indiqué qu’ils ne la maîtrisent pas. En revanche, deux sur trois se déclarent satisfaits de leur conciliation travail-vie de famille. Lire aussi: La fatigue des médecins de famille S’agissant des ressources disponibles et de leur efficience pour accomplir leur mission de soignant, ils sont en contrepartie bien plus frustrés. Près de 70% des participants s’en disent insatisfaits. Une particularité québécoise, selon la Dre Roman, qui s’explique par les nombreux enjeux auxquels le réseau de la santé est confronté, au premier rang desquels figurent la pénurie de main-d’œuvre. Cependant, les ressources en question ne se cantonnent pas aux ressources humaines, financières et matérielles, remarque Denis Chênevert. «L’épuisement est plus relié à des ressources relationnelles, au soutien social et émotionnel au sein de l’équipe, à sa culture, ses valeurs, sa collégialité.» Pistes de solutions Devant ce tableau, il ne faut pas attendre que le ministère de la Santé et des Services sociaux règle tous les problèmes d’un coup de baguette magique. «Là où on a une prise, c’est au sein de son équipe, mentionne la Dre Roman. On peut travailler collectivement sur les irritants qui sont sous notre contrôle. On peut aussi développer une culture de bien-être au travail en renforçant la sécurité psychologique.» C’est-à-dire la capacité à partager des idées, des questions et des préoccupations sans craindre de répercussions personnelles. Ou encore pouvoir avouer ses faiblesses et ses erreurs sans se faire dénigrer. Les leaders doivent bien entendu s’impliquer et s’engager, «mais tous doivent contribuer à leur niveau», insiste la médecin-conseil du PAMQ. Denis Chênevert a pour sa part partagé l’expérience menée en France par 35 équipes en oncologie pédiatrique, qui a été couronnée de succès. En résumé, tous les professionnels de la santé, du préposé au médecin-chef, ont été associés. Ils ont réglé en premier les conflits de nature émotionnelle afin d'assainir le climat de travail et développer une dynamique favorable au changement. Ils ont ensuite suivi des formations sur la résilience et la gestion du stress. Puis, ils ont créé des espaces de communication favorisant l’expression de chacun et ils ont adopté une démarche projet pour résoudre les problèmes en équipe. Enfin, ils ont institué des espaces de parole pour ceux qui vivent des situations difficiles. Bref, «il faut se mettre en mouvement, même si les gens sont débordés car, au final, tout le monde va sauver du temps», recommande le professeur à HEC. «Et le mouvement peut partir de la base», ajoute la Dre Roman. Autrement dit, à vous de jouer! Pour en savoir sur les formations du Pôle santé HEC Montréal en partenariat avec l'AMC, cliquez ici.

Discerner l’épuisement professionnel et s’en prémunir

Pour accéder au contenu, connectez-vous ou créez un compte gratuit.

Catégories connexes