«Dire à ses patients de ne pas suivre les consignes médicales est de la mauvaise pratique» - le Dr Alain Poirier

Depuis plusieurs mois, l’un des médecins les plus visibles au Québec est le directeur national de la santé publique, le Dr Alain Poirier. C’est lui qui, en grande partie, a la tâche de convaincre la population et le corps médical de la justesse et de la nécessité de la vaccination pour contrer la pandémie de grippe A (H1NI). C’est probablement l’une des missions les plus difficiles de sa carrière en santé publique. Nombreux sont les médecins au Québec à remettre en question la pertinence d’une campagne de vaccination massive généralisée.Être directeur de la santé publique à l’approche d’une pandémie de grippe, est-ce une lourde responsabilité?C’est un moment unique. Je dis souvent que je fais le plus beau travail en santé publique au Québec parce que je suis le patron de tout en matière de prévention. Je suis là la première fois où survient une pandémie de grippe et qu’on s’apprête à mener la plus grande opération de vaccination jamais réalisée. Durant un an, nous avons fait la revue de toutes les mesures à prendre avec 25 partenaires. Nous avons brassé les avis de tout le monde. Nous sommes prêts.Même si vous êtes bien préparés, êtes-vous confiant ou anxieux face à ce qui s’en vient ?Il y a beaucoup d’inconnues. Il faudra faire beaucoup d’ajustements et continuer à dire aux gens : faites-vous vacciner. Il faut que la population ait confiance dans le vaccin.Comment avez-vous vécu la première phase de la grippe A (H1N1) au printemps 2009 ?Je n’en suis pas à ma première crise. Je débutais ma carrière en santé publique sur la rive-sud de Montréal quand a éclaté l’incendie de l’entrepôt de BPC à Saint-Basile-le-Grand en 1988. On avait dû procéder à l’évacuation partielle de 5000 personnes de 3 municipalités. On a travaillé 20 heures par jour pendant 3 semaines. J’ai perdu 10 livres!Quelles autres crises avez-vous affronté en santé publique ?Le méningocoque dans les années 1990. Trois mois après mon arrivée à Québec en 2003, il y a eu l’épisode de SRAS. Il n’y a eu aucun cas au Québec, mais ce fut tout de même un méchant branle-bas de combat. À mon entrée en fonction, on travaillait déjà sur la planification d’une éventuelle mutation de la grippe. C’est sous ma gouverne que le plan a été finalisé. En 2004, il y a eu l’éclosion de C. difficile qui a fait des centaines de victimes. L’an dernier, il y a eu la crise de la listériose avec les fromages. Il y a aussi des combats permanents : contre le tabac, l’obésité, les maladies transmises sexuellement, qui sont en hausse depuis deux à trois ans, la chlamydia, la ghonorrée, la syphilis, le VIH, l’hépatite C. Ça me stresse. On a donc beaucoup de boulot à la santé publique.Y a-t-il un dossier de santé publique qui ne fait plus les manchettes, mais qui vous préoccupe beaucoup ?Au Québec, la fluoration de l’eau nous préoccupe, car trois pour cent seulement du réseau est fluoré. Nous avons même perdu le réseau de la ville de Québec. C’est un dossier miné depuis des années. Ce sera un défi que de revenir à la fluoration. Toutes les études ont démontré qu’il n’y a aucun problème avec l’eau fluorée. Le niveau recommandé est deux fois moins élevé que celui que l’on trouve dans l’eau de la mer. Les coûts de soins dentaires sont très élevés. Ajouter du fluor dans l’eau potable est une solution facile et peu coûteuse. On pourrait réduire les coûts de santé dentaire. Ce n’est pas une crise, mais une honte pour la santé publique.Les nombreuses voix qui s’élèvent au Québec contre la campagne de vaccination contre la grippe compliquent-elles votre travail ?On s’attendait à avoir beaucoup de questions avec l’arrivée de la pandémie. C’est légitime. Il faut que les gens posent des questions. Ce qui complique ma tâche, ce sont les réponses que donnent certaines personnes. Comme médecin de la santé publique, je ne donnerais pas mon avis sur les risques d’une opération cardiaque. Je demanderais à un chirurgien cardiaque qui s’y connaît.Même si vous êtes un expert en santé publique, les doutes demeurent malgré vos conseils. Pourquoi ?Parce qu’une piqûre semble banale ainsi que la prévention et la vaccination, on s’improvise connaisseur. On entend dire que le vaccin a été fait rapidement. Or, il a été fabriqué en six mois comme tous les autres vaccins. Les compagnies sont toujours en train de changer le produit pour refaire rapidement le vaccin. Le processus n’a pas changé. La véritable efficacité du vaccin, on la mesure toujours après.Des médecins s’opposent à cette campagne généralisée et suggèrent ouvertement aux gens en bonne santé de ne pas se faire vacciner.Des groupes d’experts ont mis au point toutes nos recommandations. Les questions, les analyses, les avis, tout est réalisé par une armée de spécialistes en immunologie, en vaccinologie, etc. Je ne suis pas seul là-dedans. Il y a un danger à recommander à ses patients de ne pas faire ceci ou de ne pas faire cela. Il faut écouter les autorités, les experts en la matière. Si tu dis à ton patient de ne pas suivre les consignes médicales, c’est de la mauvaise pratique.Venu à la santé publique par la santé internationale ou le parcours du Dr Alain PoirierLe Dr Alain Poirier s’est orienté vers la santé publique dès ses études de médecine, à Sherbrooke, par idéal et pour avoir un impact sur toute une communauté.« J’ai débuté en médecine interne parce que c’est une discipline large, raconte-t-il. J’ai connu ma femme très tôt en médecine. Tous les deux, nous nous intéressions aux problèmes en Afrique et dans les pays en voie de développement. Je me suis mis à lire le Forum mondial de la santé et la revue de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). J’y ai découvert l’importance de travailler en amont. »« Mon père était politicien, poursuit-il. Il était maire de Victoriaville. J’avais en lui un modèle d’individu qui s’impliquait beaucoup dans sa communauté. Cela a dû jouer dans mes choix. En médecine, je me suis dit que c’était bien de sauver mes patients un par un, mais qu’il fallait changer les choses en amont. »« Quand j’ai décidé de faire de la santé publique, c’était d’abord dans le but de faire de la santé internationale. J’ai fait des stages en Afrique, à l’OMS. Au cours des ans, j’ai fait des missions dans une dizaine de pays, dont l’Albanie, Haïti et la Slovaquie. Comme j’avais une petite famille à Montréal, ce n’était pas simple de travailler en santé internationale. Cela m’a amené à m’orienter vers la santé publique ici au Québec. »Il a gravi cette spécialité et participé à la création des Directions de santé publique. Il a été nommé directeur national de la santé publique du Québec en 2003.Âgé de 53 ans, le Dr Alain Poirier est marié avec la Dre Danielle Longpré, qui pratique à la clinique médicale L’Actuel, à Montréal.Ne manquez pas notre entrevue exclusive avec la ministre fédérale de la Santé, Leona Aglukkaq. Cliquez ici.

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