Deux mois de radiation pour une erreur de diagnostic ophtalmologique

L’erreur est humaine, mais la persévérance dans l’erreur est diabolique, dit le proverbe latin. Le Dr Andrew Toren est certes humain, mais il n’a rien d’un diable. Dès que l’ophtalmologue a su qu’il avait commis une faute professionnelle, il a fait son mea culpa à la première occasion. Habité par un sentiment de honte doublé d’une volonté de repentir, le spécialiste du glaucome a aussitôt modifié sa pratique en conséquence. À l’urgence, le médecin essaye maintenant de se concentrer sur l’essentiel lors des journées très chargées et il a réduit de 10 % le nombre de patients qu’il voit en clinique, mentionne la décision du Conseil de discipline du Collège des médecins rendue dernièrement à son encontre. Désormais, celui qui assure la garde suprarégionale en ophtalmologie pour l’est du Québec vérifie trois fois ses dossiers comme ses écrits lorsqu’il s’adresse à un collègue référent. Le Dr Toren gère aussi mieux ses appels pour rester concentré, applique plus rigoureusement les directives hospitalières et il a suivi des formations d’une dizaine d’heures portant sur l’éthambutol et ses effets. Son erreur de diagnostic a également été présentée à l’Hôpital du Saint-Sacrement du CHU de Québec, ainsi qu’à l’échelle provinciale, afin d’améliorer la qualité des actes médicaux et éviter qu’une telle situation ne se reproduise. Il faut dire que le spécialiste, inscrit au tableau de l’ordre depuis 2012, a été passablement remué par ses manquements. Devant le Conseil, il a témoigné qu’au printemps 2019, soit un an après les faits en cause, il a «ressenti beaucoup de stress et d’angoisse en lien avec l’enquête disciplinaire» et «commencé à ressentir des symptômes de fibrillation auriculaire qu’il n’a jamais eus auparavant». Symptômes qui se vont se manifester jusqu’à ce que son arythmie soit diagnostiquée en mai 2021 et que le clinicien subisse deux interventions cardiaques l’automne suivant. «Les événements ont eu un impact considérable sur le Dr Toren. Il a tiré des leçons de ce qui s’est produit», souligne le Conseil de discipline dans sa décision, jugeant dans les circonstances que le risque de récidive du médecin est «très faible». En conséquence de quoi, et considérant qu’il n’avait aucun antécédent disciplinaire en dix ans de carrière, il lui a imposé deux radiations temporaires de deux mois, à purger concurremment. Des faits isolés, mais graves Il était reproché à l’ophtalmologue d’avoir «omis d’élaborer son diagnostic avec la plus grande attention et d’assurer une prise en charge conforme aux règles de l’art» ainsi que d’avoir fait parvenir au médecin référent et au médecin de famille de la patiente «une réponse à une demande de consultation contenant des informations erronées ou inexactes et non soutenues par le dossier» de celle-ci. Deux chefs d’accusation auxquels l’intéressé a plaidé coupable. Le 3 avril 2018, le Dr Toren reçoit une patiente dans la cinquantaine, référée pour des examens et une consultation en ophtalmologie. Quatre jours plus tôt, elle s’était plainte d’un trouble de vision et avait passé des examens à l’urgence de l’hôpital du Saint-Sacrement. Elle présentait ce jour-là une acuité visuelle de 20 sur 40 à l’œil droit et de 20 sur 30 à l’œil gauche. Le test des couleurs était quant à lui de 19 sur 20 pour l’œil droit et de 18,5 sur 20 pour l’œil gauche, «ce qui est dans les limites normales», précise la décision du Conseil. Lire aussi: Radié six mois pour une mauvaise démarche diagnostique Avant de rencontrer le spécialiste, la patiente repasse des examens. Elle présente alors une acuité visuelle de 6 sur 19 moins 2 à l’œil droit et de 6 sur 12 moins 1 à l’œil gauche. Le test des couleurs est de 17,5 sur 20 pour l’œil droit et de 13,5 sur 20 pour l’œil gauche. En fin de matinée, on dilate les yeux de la femme en vue des trois tests OCT (Tomographie en Cohérence Optique, ou Optical Coherence Tomography en anglais). Les deux premiers résultats sont normaux et le troisième pour les nerfs optiques est «supranormal», selon le Dr Toren. À 12h24 et à 12h26, l’ophtalmologue appelle la patiente à l’intercom. Elle ne se présente pas. À 13h10, une infirmière l’appelle une troisième fois, sans succès. La feuille de consultation est donc envoyée à la numérisation pour ensuite être classée dans son dossier médical. Mauvaise date La quinquagénaire se pointe finalement à 14h30. L’infirmière accepte malgré tout de la remettre à l’horaire du Dr Toren, mais puisque la feuille de consultation du jour n’est plus accessible, elle commence une nouvelle note d’évolution sur laquelle elle écrit par erreur la date du 2 avril 2018. L’infirmière procède dans la foulée à un second test d’acuité visuelle, mais les yeux de la patiente sont encore dilatés en raison des tests OCT. Résultat, son acuité visuelle est de 6 sur 18 plus 2 pour l’œil droit et de 6 sur 12 moins 2 pour l’œil gauche. Lorsque le clinicien rencontre enfin la femme, il a en main la note évolutive erronément datée du 2 avril, qu’il croit être les résultats de la veille, de même que la note d’évolution du 30 mars 2018 et les résultats des tests OCT effectués plus tôt dans la journée, ceux-ci étant disponibles dans le dossier clinique informatisé de la patiente. Lire aussi: Trois mois de radiation pour avoir misé sur le mauvais traitement Le médecin la questionne sur la présence de signes neurologiques. Il n’y en a pas. Il procède alors à un test du fond des yeux en portant une attention particulière aux nerfs optiques et aux macules des rétines de la patiente qui sont sans particularité. Quant à l’acuité visuelle, le Dr Toren a expliqué durant l’enquête du syndic qu’il ne pouvait se fier aux résultats des tests effectués sur la feuille datée du 2 avril 2018 puisque ceux-ci ont été effectués alors que la patiente avait les yeux dilatés. Il croit d’ailleurs que ce sont des résultats de la veille. Il fouille donc «dans sa paperasse» et retrouve une feuille du jour avec des résultats d’acuité visuelle qui sont de 6 sur 6 pour les deux yeux. A posteriori, le spécialiste admettra qu’il s’agissait vraisemblablement des résultats d’une autre patiente, mais le mystère reste entier, cette feuille des résultats n’ayant jamais été retrouvée. Une toxicité «très bien connue» En raison de la présentation clinique, des tests OCT qui sont normaux et de l’absence de scotomes centraux aux tests des champs visuels, le Dr Toren finit par écarter la possibilité d’une neuropathie, d’autant plus que la patiente n’a pas constaté d’amélioration depuis qu’elle a cessé de prendre son médicament, l’éthambutol. Lire aussi: Il rejette les demandes de son patient malgré ses maux de tête Sollicité par l’enquêteur du syndic, le Dr Jean-Daniel Arbour, qui est professeur agrégé de clinique au Département d’ophtalmologie de l’Université de Montréal, souligne dans son rapport d’expertise que «la toxicité à l’éthambutol est très bien connue en ophtalmologie et se traduit par une atteinte des nerfs optiques avec principalement une baisse de l’acuité visuelle et de la vision des couleurs. C’est exactement ce qui s’est produit ici avec une baisse très significative de l’acuité visuelle et de la vision des couleurs, de surcroît de façon très rapide.» Il en conclut que «les soins prodigués par le Dr Toren (…) n’ont pas été conformes aux règles de l’art, comme ce qui est attendu de la part d’un médecin spécialiste en ophtalmologie, diligent et raisonnable.» Dans l’après-midi, l’ophtalmologue écrit sa lettre au médecin référent et au médecin de famille de la patiente. Il inscrit comme diagnostic: «Pas d’évidence de neuropathie, ni cause objectif de perte AV subjectif AV 6/6 6/6 couleur normal champ visu normales». Dans cette même lettre, il propose le plan de traitement suivant: «U/S Doppler Carotid Suivi à MD famille Continuer médicament comme avant». Par chance, la quinquagénaire n’a jamais repris de l’éthambutol, comme le révèle son dossier médical. Durant l’audience, le Dr Toren a reconnu «la gravité objective» de ses infractions et présenté ses excuses à la patiente. La décision indique d’ailleurs qu’il «fait preuve d’un repentir sincère» et qu’il «éprouve de la honte et de la culpabilité». Deux sentiments que le clinicien ne veut plus jamais éprouver.

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