Désert médical, désert pharmaceutique

Le Collège des médecins du Québec a récemment pris l'initiative de visiter certains établissements de santé, certains en milieu urbain et d’autres en région. Le Collège a publié deux rapports en lien avec cette initiative dont le second se nomme «Rapport de la tournée des pôles en santé». Ces rapports ont fait beaucoup de bruit dans les médias. Il faut saluer l’initiative du Collège. La protection du public ne passe pas uniquement par la compétence des professionnels, mais repose aussi sur l’organisation et l’efficience de l’environnement dans lequel ces professionnels évoluent.Le constat que le Collège dresse est cependant franchement inquiétant. Parler de médecine à deux vitesses est presque un euphémisme; il y a probablement plus de deux vitesses dans notre système de santé. À titre d’exemple, mieux vaut faire un accident de voiture devant un hôpital de traumatologie que près d’un hôpital régional. Cela est tout aussi vrai pour une jeune femme qui souhaite accoucher dans des conditions modernes et décentes.Qu'en est-il de la couverture en soins pharmaceutiques au Québec? Malheureusement, nous avons très peu de données pour avoir un bon aperçu de la situation. Bien sûr, il existe le Rapport canadien sur la pharmacie hospitalière, mais pas besoin d'être un grand devin pour comprendre que la pratique de la pharmacie en établissement se fait à plusieurs vitesses. L'offre de services pharmaceutiques varie de façon vraiment (trop) importante d'un hôpital à l'autre, même en centre urbain et en centre universitaire. Le choix des unités et des patients qui bénéficient de services du pharmacien sont énormément variables et inconstants.En région, la situation est encore plus désolante. Les plans d'effectifs n’ont à peu près pas évolué depuis les années 1980 tant et si bien que c'est de peine et de misère que l'on couvre la gestion de la pharmacie, le service des ordonnances et, à géométrie extrêmement variable, quelques services cliniques. C'est un peu comme si les projets de loi 90, 41, 31 et le 67 à venir ne se rendent pas dans nos établissements.L'absence de vision pour les soins pharmaceutiques du ministère de la Santé du Québec, particulièrement pour le réseau public dont il est le grand patron, est en déphasage complet avec le potentiel de développement et de financement (néanmoins perfectible) du réseau des pharmacies privées. Le Ministère n’a jamais actualisé sa vision en lien avec l’évolution que le gouvernement a lui-même voté pour élargir le rôle des pharmaciens.Non seulement il n'est littéralement plus possible de développer la pratique en établissement de santé vu le nombre important de vacances dans les postes en résidence (maîtrise en pharmacothérapie avancée), mais il y a fort à parier qu’il sera impossible de maintenir le statu quo avec les retraites à venir, ainsi que le recrutement et la rétention anémiques. Catastrophe annoncée.Pourtant, il fut une époque où le réseau des établissements de santé a permis aux pharmaciens de développer une pratique clinique à l’image de l’évolution de la profession, particulièrement aux États-Unis. C’est à force d’huile de bras que des postes de pharmaciens ont été créés un à un, sur une base locale et avec peu ou pas de soutien du réseau. Ce sont des pharmaciens et des gestionnaires visionnaires qui, sur une base locale, ont été témoins des besoins de leur milieu et de la valeur ajoutée que constitue la présence de pharmaciens cliniciens. C’est un énoncé fort que cette reconnaissance locale. Cette évolution a fort certainement inspiré la reconnaissance du pharmacien et les modifications législatives qui ont donné aux pharmaciens l’autonomie et le rôle qu’ils ont maintenant acquis. Le Ministère n’a jamais été proactif, et ne l’est pas plus aujourd’hui. Les budgets des établissements étant encore compressés, les ressources financières permettent moins que jamais le maintien ou l’actualisation de l’offre de soins pharmaceutiques.Vous avez compris que je suis convaincu de la valeur ajoutée du pharmacien. Maintenant, la pratique clinique se développe de plus en plus en pharmacie communautaire. Cela est une évolution normale qui confirme la valeur ajoutée du pharmacien dans les soins aux patients.L’initiative du Collège des médecins de faire un état de la situation est inspirante. À cause des constats qui en émanent, on pourrait la qualifier de décourageante. Cependant, rien de tel que de faire le point sur où nous sommes pour pouvoir se prendre en main et travailler à construire le futur.Si la disponibilité des soins médicaux semble faire défaut dans plusieurs régions et établissements du Québec, il y a fort à parier qu’un portrait de la pratique et de la disponibilité des soins pharmaceutiques nous montrerait une zone nettement plus désertique que le tableau brossé en médecine.Cet état de fait me semble inacceptable. Il est grand temps que toutes nos organisations pharmaceutiques se lient afin de convaincre une fois pour toute les grands décideurs du système de santé de l’importance de se doter d’une vision en soins pharmaceutique et d’un plan d’action conséquent.Le MSSS ne sera peut-être plus l’interlocuteur de premier niveau avec la mise en place de Santé Québec.Peu importe qui sera le «grand chef», ce dernier doit comprendre que l’offre décente, actuelle de soins pharmaceutiques n’est plus optionnelle. Les bottines doivent suivre les babines.