Des professionnels discriminés dans leur milieu ou par des patients

L’événement commence à dater – il remonte à la fin des années 2000 –, mais Anahita* s’en souvient comme si c’était hier. Parce que c’est la première fois que la jeune femme, née au Québec de parents immigrés iraniens, s’était sentie pointée du doigt en raison de ses origines. Et parce cela allait influencer la suite de sa carrière.Alors étudiante en pharmacie, elle effectue un stage de pratique en pharmacie communautaire dans une région où, à l’époque, les immigrants se comptaient sur les doigts d’une main. Au deuxième jour de son stage, elle se fait interpeller par un ATP qui lui lance impétueusement: «T’as pas mis ton voile aujourd’hui?». Durant la pause de lunch, la discussion s’oriente sur la religion, en général, et sur l’islam en particulier. «Les commentaires n’étaient pas directement reliés à moi, mais c’était tout comme, car ils se demandaient si c’était possible d’être musulmane et libre», raconte Anahita qui n’a pas confronté ses collègues. «J’étais la petite nouvelle, différente, et ce n’est pas dans mon tempérament.»Vraiment affectée, elle a vite compris qu’elle n’était pas tombée dans un milieu accueillant. «Qu’est-ce que ça aurait été si j’avais porté le voile?» s’interroge celle qui se dit croyante, mais pas du tout pratiquante. «J’en ai fait des crises d’angoisse et ça a eu une incidence sur mon parcours. À partir de là, j’ai décidé que j’allais pratiquer à Laval ou Montréal, où les gens me ressemblaient davantage.»Travailler dans la métropole n’est cependant pas un gage d’inclusivité, comme en témoigne Yen Nguyen qui tient à s’exprimer à visage découvert parce qu’elle trouve «important que les gens sachent que ça existe encore». Salariée dans une pharmacie située dans une galerie commerciale de l’arrondissement Ville-Marie, à Montréal, la professionnelle estime que la situation s’est dégradée depuis la COVID-19. «Le racisme ressurgit en période de crise.»Née au Vietnam, puis arrivée au Québec à six ans, elle confie qu'on la prend souvent pour une Chinoise: «J’ai subi beaucoup de discrimination à cause de ça pendant la pandémie. Des clients ont refusé que je les vaccine en me disant dans la face que le virus, les confinements, c’était de ma faute. D’autres n’ont pas voulu que je les serve en m’intimant de retourner dans mon pays pour ne pas prendre la job aux gens d’ici», raconte la pharmacienne.Ce genre de propos et d’attitudes discriminatoires, «j’en ai eu beaucoup en 20 ans de carrière», déplore celle qui a fini par se faire une carapace. «Au début, je pleurais souvent aux toilettes, j’éprouvais du stress mental et je ne voulais plus pratiquer la pharmacie commerciale.» Aujourd’hui, Yen Nguyen ne se laisse plus faire derrière le comptoir et ne se gêne pas pour répondre aux clients racistes, avec le soutien de ses collègues, qui n’hésitent pas à prendre sa défense, ou de son patron qui est déjà intervenu pour faire sortir les importuns.Poussé à l’arrêt maladieDes témoignages de sollicitude, Tom* n’en a pas reçu dans ses milieux de travail. Il a entamé sa transition de genre durant son cégep en soins infirmiers. Il travaillait alors comme préposé aux bénéficiaires (PAB) dans un CHSLD. «On me traitait de pas normal, que j’avais pas d’affaire comme PAB, que j’allais mêler les patients, etc.», se souvient-il avec amertume. «Que mes collègues, majoritairement des femmes, aient de la difficulté avec mon nouveau pronom et mon nouveau prénom, je peux comprendre. J’en avais moi-même. Mais quand je leur demandais de les respecter, je me suis fait dire “on doit faire attention à tout le monde ici, on va pas faire attention à ça en plus”.»Devant tant de mépris et se sentant exclu en raison de sa transidentité, l’aspirant infirmier a rencontré sa gestionnaire pour évoquer son mal-être. Selon lui, elle s’est montrée désemparée. «Elle m’a dit “je comprends ta situation, mais je ne sais pas quoi faire”. C’était devenu trop lourd, j’ai crissé mon camp.»Une fois diplômé, Tom est embauché comme infirmier à l’hôpital. Il a clarifié les choses dès le début, espérant que ça désamorcerait les problèmes. «Je ne voulais pas faire mon coming-out à tous les quarts d’heure. J’ai annoncé à l’équipe que j’étais un homme trans, que je n’avais aucune misère à parler de ma vie et que je pouvais répondre à leurs questions.» Très vite, ses consœurs vont plutôt lui adresser des commentaires désobligeants. «Va-t’en prendre tes pilules, va voir ta psy… Dès que je faisais quelque chose de pas correct, c’était parce que j’étais trans. C’était très dur. Mon expertise était remise en cause à cause de mon identité de genre.» La situation a fini par être trop dure et l’infirmier est parti en congé maladie pour cause de dépression et d’anxiété. Éloigné du terrain pendant 18 mois, il a repris la pratique dans une clinique privée il y a quelques mois. «J’ai clairement choisi mon milieu pour ne jamais revivre ça. Tout le monde est au courant de ma transidentité et ça ne pose problème à personne.»À lire aussi: Prise en charge et suivi de la clientèle transgenre 101«On est sous les spotlights»L’histoire de vie de Diana* est différente. Réalisant qu’elle était femme après sa trentaine, la technologue en imagerie médicale a entamé sa transition dans un milieu où elle travaillait depuis dix ans. «J’avais beaucoup de stress. Finalement, ça a bien été accueilli par l’équipe. Tout le monde a fait son possible. Personne ne voulait me blesser, mais il leur est arrivé de se tromper de pronom. Ça peut faire mal, même si ce n’est pas fait avec une mauvaise intention», relate la professionnelle. «Mes collègues m’ont juste trouvé téteuse, car j’ai dû jongler avec mes deux prénoms en attendant que mon ordre daigne enfin faire le changement. Ça a presque pris un an. C’était frustrant.»Une conjoncture que Diana a mal vécue, car elle a eu l’impression que l’Ordre des technologues en imagerie médicale, en radio-oncologie et en électrophysiologie lui mettait des bâtons dans les roues. Durant l’intervalle, «ils m’ont forcé à me présenter aux patients et aux collègues avec mon ancien prénom. J’étais visuellement féminine, mais j’avais un prénom masculin. Comme un Jean-Guy avec un bonnet C», ironise-t-elle aujourd’hui.Bien dans sa peau et dans sa tête, Diana ne se sent pas spécialement discriminée. Au quotidien, elle appréhende néanmoins les réactions négatives. «Quand on est dans un groupe minoritaire, on a toujours un peu peur. Il y a des patients frustrés à l’hôpital. Ils ne veulent pas être là, ils sont dans la douleur. Si la personne réalise que je suis trans, il y a un risque que je prenne une remarque désagréable. Heureusement, je fais 5 pieds 4 pour 130 livres. Ça adonne que mon corps est compatible (avec mon genre).»Dans son travail, elle ressent également une certaine pression. Dernièrement, l’ambiance est devenue plus lourde après que sa cheffe de programme l’a rencontrée pour partager des doléances exprimées par des membres de l’équipe. «Genre, je faisais moins ma part», résume la technologue qui prend des hormones et accuse de ce fait une perte d’énergie. «Il faut quand même que je compense. Ça reste mon affaire. Mais c’est la même chose que pour les personnes racisées ou en surpoids. On est sous les spotlights. Si je fais une erreur, ça sera pire pour moi», estime Diana.À lire aussi: Comment parler à vos patients de leur poids, sans biais ni grossophobieAccueilli à bras ouvertsSi ces témoignages témoignent d’une réalité, ce n’est pas la seule. Sollicités par ProfessionSanté.ca, de nombreux professionnels de la santé issus de la diversité disent qu’ils n’ont pas vécu d’expériences discriminatoires dans leur milieu de pratique. «Dans mon parcours en médecine, jamais je n’ai senti que ma provenance ou ma couleur de peau a pu provoquer une quelconque discrimination», indique par exemple le Dr Dat Nhut Nguyen. Anesthésiologiste à Rouyn-Noranda, le médecin d’origine vietnamienne, réfugié au Québec en 1975, trouve les Québécois «très accueillants». «Bien sûr, il y a des fois des remarques un peu maladroites dans la rue, comme “vous êtes Chinois, vous travaillez sûrement comme cuisinier”. (Mais) quelquefois, je pense que certaines personnes de la minorité visible sont bien plus racistes que les Québécois.»* Les prénoms ont été changés à la demande des intéressés qui souhaitent conserver leur anonymat.

Des professionnels discriminés dans leur milieu ou par des patients

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