Des médecins de famille dénoncent la «chasse aux sorcières» de Legault

Alors que 800 000 Québécois n’ont toujours pas de médecins de famille, le premier ministre se dit prêt à déposer un projet de loi afin que son gouvernement puisse communiquer avec les présidents des CISSS et des CIUSSS l’identité des médecins qui ne suivent pas au moins 1000 patients. «Nous ne pouvons pas nier qu’il y a un problème d’accès aux soins de première ligne et qu’il faut le régler, mais ce n’est certainement pas en faisant une chasse aux sorcières et en ne connaissant pas la réalité du terrain que ça va se régler», lance la Dre Isabelle Leblanc, présidente du regroupement Médecins québécois pour le régime public. Ce médecin au GMF-U de Saint-Mary à Montréal trouve particulièrement insultant de voir le chef du gouvernement mettre les médecins dans deux cases: les bons médecins qui voient beaucoup de patients et les mauvais qui n’en voient pas assez. «Si le gouvernement décide de se pencher sur l’organisation des soins et non sur une règle comptable et arithmétique, on se rend compte qu’il y a plein de raisons pour lesquelles les Québécois ont de la difficulté à trouver un médecin de famille», affirme-t-il. À lire aussi: Le harcèlement psychologique des médecins de famille par le gouvernement D’abord, plusieurs médecins travaillent plusieurs heures par semaine à l’hôpital, font des accouchements ou des soins palliatifs et ont donc moins de temps pour faire de la prise en charge de patients. «Dans la région de Montréal, beaucoup de médecins de famille sont obligés de travailler à l’hôpital. Si on les oblige à faire de l'hôpital, comment peut-on les obliger à prendre plus de patients? lance le Dr Mathieu Pelletier, directeur adjoint du GMF-U du Nord de Lanaudière. La plupart des médecins de famille en font plus dans les hôpitaux que dans toutes les autres provinces canadiennes.» Selon lui, les médecins spécialistes devraient en faire davantage dans les hôpitaux pour permettre aux omnipraticiens de prendre plus de patients en charge dans les cliniques. En entrevue pour le prochain numéro de Profession Santé cette semaine, le président de la Fédération des médecins spécialistes du Québec, le Dr Vincent Oliva, a affirmé que les spécialistes étaient prêts à aider les médecins de famille. Des patients plus complexes D’autre part, pour améliorer la prise en charge, les médecins ne doivent plus être la seule porte d’entrée en première ligne. «Il y a plusieurs autres professionnels de la santé qui travaillent en première ligne qui sont parfois meilleurs pour répondre aux besoins des patients. Mais leurs services ne sont pas couverts par l’assurance maladie et l’accès à ces professionnels est difficile dans le régime public», explique la Dre Leblanc. Selon elle, dès l’instant où le gouvernement rendra facilement accessible la consultation par autre professionnel de la santé en première ligne, les médecins pourront se libérer plusieurs plages horaires. De son côté, la présidente du Collège québécois des médecins de famille, la Dre Caroline Laberge, estime que le gouvernement devrait tenir compte de la complexification des soins depuis une dizaine d’années. «Nous soignons beaucoup plus de choses qu’avant, les gens vivent plus longtemps, ils ont plus de maladies. Les consultations sont plus longues comparativement à ce que l’ont faisait il y a 20 ans. Ce n’est pas vrai qu’on peut voir un patient en 15 minutes. Si on veut donner un bon service, ça prend du temps.» Un exode accéléré ? Par ailleurs, la Dre Laberge s’inquiète de voir plusieurs étudiants bouder davantage la médecine familiale au profit de la médecine spécialisée après cette sortie publique. Déjà, cette année, près de 100 postes sont restés vacants dans les postes en résidence de médecine familiale. «Cela va être très nuisible à tous les efforts de valorisation que nous faisons au Collège. Ces efforts sont détruits par un gouvernement qui veut imposer des politiques comme celle-là», souligne-t-elle. «Ce n’est pas avec ce genre de discours que la profession va devenir attractive, poursuit le Dr Pelletier. C’est inquiétant puisqu’il va falloir recruter de jeunes médecins dans les prochaines années.» Celui-ci reproche le ton et les mots employés par François Legault qui, selon lui, s’attaque au professionnalisme des médecins de famille. «Avant, c’était les médecins paresseux, maintenant c’est les médecins qui ne font pas un bon travail. C’est assez rare que l’on réussit de grandes choses en gestion de la santé en se dénigrant et en se criant après. Ce dernier voit néanmoins un côté positif au fait que le gouvernement puisse communiquer l’identité de certains médecins aux CISSS et CIUSSS qui ensuite rencontreront ces professionnels de la santé. «J’ai des collègues qui pourraient être convoqués dans le bureau du PDG qui en ont plein sur le cœur. Les outils informatiques sont défectueux, les professionnels que l’on nous a promis ne sont pas là. Il y a plusieurs problèmes sur le terrain».

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