Déprescription: comment préserver la relation médecin-pharmacien?

Plus de 70% des Québécois de plus de 65 ans seraient prêts à arrêter un médicament ou plus si leur médecin de famille leur indiquait que cela est possible. Ce chiffre, souligné par l’INESSS dans un récent rapport sur la polypharmacie, interroge, alors que le Québec est la province canadienne où les adultes de plus de 65 ans ont le plus recours à la polypharmacie: un tiers d’entre eux ont réclamé au moins 10 médicaments distincts en 2022.Si la déprescription suscite un grand intérêt chez les professionnels de la santé, il n’est pas toujours facile d’annoncer aux autres membres de l’équipe de soins l’arrêt d’un traitement que l’on n’a pas soi-même pas initié. «Les professionnels sont motivés par la déprescription mais cherchent des outils pour la mettre en pratique», confirme Camille Gagnon, pharmacienne et directrice adjointe du Réseau canadien pour l'usage approprié des médicaments et la déprescription (ReCAD). À lire aussi: La pertinence: une solution pour le réseau de la santé, un remède contre le cynisme des médecinsEntamer la discussionFace à ce manque de temps commun à tous les professionnels, la communication et l’interdisciplinarité sont donc des leviers incontournables pour initier une déprescription. Mais là encore, certains manquent de pratique, explique Rachel Rouleau, chercheuse associée au centre Vitam de recherche en santé durable, et professeure de clinique à l’Université Laval. «La majorité des professionnels sont très bons cliniquement, ils peuvent et savent prescrire et déprescrire. Là où le bât blesse, c’est plutôt au niveau du savoir-être et du savoir-vivre.» Aborder la déprescription avec le pharmacien, le médecin ou les professionnels du GMF pour lesquels ou avec lesquels on travaille est donc primordial. «Réaliser des diagnostics réclame d’avoir un allié, il faut que le médecin puisse parfois se reposer sur le pharmacien, poursuit Rachel Rouleau. Il y a l’enjeu des patients qu’on va cibler, comment on va faire le suivi avec eux… Parler va éliminer beaucoup de difficultés dans la gestion de la déprescription.»Le pharmacien est d’ailleurs au cœur de la machine assure Émilie Bortolussi-Courval: «Au final, le professionnel qui reçoit toutes les ordonnances est le pharmacien, expert en pharmacothérapie. Il doit être en mesure de rallier l’équipe interdisciplinaire et de réaliser un rapport à destination des autres professionnels, même s’il n’est pas prescripteur. C’est un excellent point de départ.»Savoir justifier sa recommandation ou sa décisionUne fois que le sujet a été abordé, il s’agit de cibler les patients, comme les médicaments. C’est là qu’intervient MedSecure, outil d’aide à la décision clinique, conçu par la Dre Emily McDonald, clinicienne-chercheuse, et sur lequel a travaillé Émilie Bortolussi-Courval. Cette dernière explique que les médicaments peuvent être classés en trois catégories:à risque élevé d’effets secondaires néfastes (comme les somnolents, qui permettent de s’endormir en moyenne 7 minutes plus vite que si on n’en prenait pas, mais avec une qualité de sommeil dégradée et beaucoup d’effets secondaires);potentiellement inappropriés, dont les risques et avantages doivent être évalués par le prescripteur (les inhibiteurs de la pompe à protons, par exemple);futiles (comme le laxatif Docusate).«Ce classement est le point de départ pour déterminer quels médicaments il faut cibler et réviser en priorité», assure l’infirmière clinicienne. Reste ensuite à communiquer ces observations au prescripteur… Une étape parfois délicate. «Il faut éviter de toucher à l’intégrité ou à la qualité professionnelles du médecin, en disant que ce qu’il a prescrit n’avait pas de bon sens, par exemple, alerte Rachel Rouleau. Quand on veut, on peut trouver des arguments plus positifs pour appuyer sa décision.» On peut s’appuyer sur certaines études récentes, des symptômes nouveaux, le ressenti du patient… À lire aussi: Déprescription: trouver la meilleure solution pour chaque patientLe professionnalisme des acteurs de la santé doit aussi peser dans la balance, estime Camille Gagnon: «Depuis l’arrivée de nouveaux actes cliniques en pharmacie, tout se passe très bien. Les pharmaciens savent ce qu’ils font et pourraient faire bien plus en termes de déprescription.» Surmonter sa gêne pour le bénéfice du patientUn caillou peut toutefois se glisser dans la chaussure du médecin traitant qui voudrait communiquer un avis de déprescription à un spécialiste. «La question de ne pas vouloir empiéter sur son champ de pratique peut se poser, confie Émilie Bortolussi-Courval. Mais un médicament peut avoir terminé son travail.» «La déprescription fait partie du cycle de la prescription, c’est un tout», ajoute Camille Gagnon.La pharmacienne a toutefois pu constater ce frein à travers les témoignages qu’elle reçoit: «Un patient est entré à l'hôpital, et le clinicien à l’urgence a décidé de ne pas réviser la pertinence du somnifère qu’il prenait sous prétexte qu’il était là pour une courte durée. À sa sortie, son médecin de famille n’a pas jugé utile de réviser à son tour la pertinence du médicament, puisque les urgences n’y avaient pas touché.» Or, explique-t-elle, les interventions de déprescription sont souvent très bien reçues par les médecins de famille et les spécialistes. À lire aussi: Optimiser les médicaments et réduire la polypharmacie grâce aux bilans de médicationÊtre proactifsPlutôt que de «déprescrire», Rachel Rouleau préfère d’ailleurs parler de «prescrire mieux», pour anticiper les effets délétères de la polypharmacie. «On ne devrait pas en arriver là. Il faut apprendre à évaluer les médicaments au fur et à mesure, à être proactifs face aux complications ou interactions.» Selon elle, l’idéal serait de revoir toute la médication à chaque prescription, surtout en présence de polypharmacie. «Il ne faut pas attendre la fin de vie et les soins de longue durée pour s’y intéresser.» Surtout, ce sont les professionnels de la santé qui en bénéficieront au bout du compte, avec moins de suivis, moins de risques d’interactions médicamenteuses et plus de temps.

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