Déontologie: une troponine mal appréciée entraîne la mort d’un patient

Un patient, qui a récemment subi une chirurgie du genou, se présente à l’urgence de l’Hôpital de l’Enfant-Jésus, à Québec, le matin du 9 février 2018. Il souffre d’une douleur thoracique accompagnée d'une dyspnée. Il est examiné par un premier médecin, avant d’être pris en charge par le Dr Jean Villeneuve, qui vient de débuter son quart de travail. L’urgentologue procède à plusieurs évaluations, lui prescrit des médicaments, avant de lui donner son congé en milieu d’après-midi. Neuf jours plus tard, la conjointe du patient appelle le Dr Villeneuve et lui apprend son décès en posant des questions au sujet des troponines, ces marqueurs de l’infarctus du myocarde. Le médecin va immédiatement consulter le dossier médical et les résultats de laboratoire. Déstabilisé, il s’aperçoit rapidement de son erreur. Poursuivi en déontologie, l’urgentologue n’a pas cherché à se dédouaner. Il «a offert une grande transparence dans le cadre de l’enquête, a fait preuve d’honnêteté et n’a pas tenté de se disculper». Au contraire, il «a reconnu, sans détour, les faits à la première occasion», note le syndic dans la décision du Conseil de discipline du Collège des médecins du Québec publiée récemment. Logiquement, le Dr Villeneuve a plaidé coupable aux deux chefs d’accusation qui lui étaient reprochés, à savoir de «ne pas avoir élaboré son diagnostic avec la plus grande attention» et «de ne pas avoir rédigé des notes complètes au dossier» du patient, des «actes dérogatoires à l’honneur ou à la dignité de sa profession». Il s’est également entendu avec le syndic au sujet des sanctions à lui infliger. Celles-ci ont été entérinées par le Conseil qui lui a imposé trois mois de radiation pour son erreur de diagnostic et 2500$ d’amende pour ses notes parcellaires. Ce matin du 9 février 2018, le premier médecin qui a ausculté le patient, vers 7h50, constate une douleur thoracique d’étiologie imprécise, en éliminant la possibilité d’une embolie pulmonaire et d’un syndrome coronarien aigu. Il demande une angiographie par tomodensitométrie ainsi qu’un bilan. L’électrocardiogramme initial lui apparaît normal et il prescrit au patient des analgésiques. Lire aussi: Contrairement aux É-U, le Québec est encore en pandémie, dit le Dr Luc Boileau Le Dr Villeneuve prend le relais et rencontre l’homme à 8h30, car sa douleur a augmenté. Il consigne que le patient est devenu tachycarde et en diaphorèse, mais que la douleur a diminué à la suite d’une deuxième dose de narcotiques intraveineux. Il observe également qu’un électrocardiogramme de contrôle, effectué à 8h15, démontre une tachycardie sinusale à 103, toujours sans signe d’ischémie. Le rythme cardiaque est quant à lui régulier, à 88 battements par minute. Une «troponine négative», alors qu’elle était à 33 L’urgentologue revoit son patient à 10h20. Ce dernier semble souffrant et a eu besoin d’une dose de narcotiques intraveineux. Après réception des examens, le Dr Villeneuve note au dossier «angio TDM dicté: normal, sauf plaques pleurales anciennes: exposition amiante et stéatose hépatique connue au niveau de l’abdomen. Bilan: sans particularité, troponines (— ) négatives». Le patient lui indique alors que la douleur irradie son dos sous forme de brûlement. Il lui represcrit du Fragmin en prophylaxie postopératoire et lui propose des antidouleurs. Lire aussi: Il rejette les demandes de son patient malgré ses maux de tête Durant l’enquête, le médecin a déclaré qu’il n’avait pas réécrit de diagnostic dans sa note, mais qu’il travaillait sur celui d’une douleur thoracique d’étiologie imprécise, probablement musculosquelettique, dans un contexte postopératoire avec anxiété. Durant sa démarche clinique, il avait éliminé l’embolie pulmonaire, la dissection aortique, le pneumo/hémothorax et le syndrome coronarien aigu. À 14h45, le spécialiste revoit le patient qui se dit soulagé, mais «beurré» par l’analgésie. Il note qu’il semble anxieux et lui donne congé avec une prescription de Supeutol en lui conseillant de revoir son médecin de famille et son orthopédiste, comme prévu, mais de ne pas hésiter à revenir à l’urgence si besoin. Neuf jours plus tard, l’homme meurt dans des conditions qui ne sont pas précisées dans la décision. À la suite de l’appel de sa conjointe endeuillée, le Dr Villeneuve passe en revue le dossier du patient et ses résultats. Il constate que la troponine est à 33, à 8h10 le matin. Cette valeur le perturbe. Grandement ébranlé, il convient auprès du syndic que ce taux ne confirme pas, à lui seul, la présence d’un syndrome coronarien aigu, mais qu’il ne l’élimine pas non plus. Selon le médecin, sa conduite habituelle était de noter la troponine comme négative au dossier lorsqu’elle éliminait ce diagnostic, c’est-à-dire en bas de 14, ce qui n’était pas le cas en l’occurrence. Il admet qu’il aurait été plus prudent de faire un contrôle à 14h30, soit six heures après le premier dosage, mais n’arrive pas expliquer pourquoi il a noté que la troponine était négative. Il se demande d’ailleurs s’il a effectivement vu le bon résultat au moment de sa visite de contrôle. Nouvelle consigne à l’urgence de l’Enfant-Jésus Dans son rapport d’expertise, la Dre Julie Grégoire constate que ce patient présentait des facteurs de risque de maladie cardiaque, qui n’avaient pas été consignés au dossier, et que le tableau clinique aurait dû conduire le Dr Villeneuve à suspecter un syndrome coronarien aigu. À défaut, l’experte conclut que son investigation a donc été inappropriée. Depuis cet événement — le premier qu’on lui reproche depuis son inscription au tableau de l’Ordre en 1992 —, le Dr Villeneuve dit qu’il vérifie doublement et même triplement les résultats qu’il reçoit des laboratoires, car il ne veut plus jamais qu’une telle situation se reproduise. Au sein de l’urgence de l’Hôpital de l’Enfant-Jésus, il a également été décidé de ne plus écrire dans les dossiers médicaux si la troponine est positive ou négative, mais plutôt d’indiquer son taux.

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