De sérieux doutes sur la rigueur d’Hélène Quevillon et sa nouvelle certification

Grandeur et décadence. Cette expression, issue du titre complet d’un roman d’Honoré de Balzac, César Birotteau, sied bien à Hélène Quevillon, une infirmière formatrice en soins de réanimation, qui a déclaré faillite en janvier 2022. Dans Histoire de la grandeur et de la décadence de César Birotteau, parfumeur, chevalier de la Légion d’honneur, adjoint au maire du deuxième arrondissement de Paris, Balzac relate les aventures d’un homme couronné de succès qui a fini par crouler sous les dettes et se mettre lui aussi en faillite. Inscrite au tableau de l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (OIIQ) le 1er janvier 1966, Hélène Quevillon a complété sa formation trois ans plus tard par un «postscolaire en cardiologie de l’Institut de cardiologie de Montréal (ICM)» où elle a exercé quelques années, indiquait-elle sur son site web lorsqu’il était encore en ligne, avant que ProfessionSanté.ca ne la questionne sur sa troisième faillite personnelle. Depuis le 20 juin, celui-ci n’est plus accessible. À partir de 1977, Hélène Quevillon se consacre à l’enseignement. Son premier fait d’armes: elle devient cette année-là maître-instructrice en réanimation cardio-respiratoire (RCR) de la Fondation des maladies du cœur du Québec (FMCQ). «À l’époque, c’était une pionnière, l’une des premières non-médecins à obtenir ce titre», signale un ancien employé de la Fondation, aujourd’hui à la retraite, qui préfère rester anonyme. L’année suivante, elle est certifiée par l’American Heart Association comme instructrice en soins avancés en cardiologie (ACLS, pour Advanced Cardiac Life Support). Une certification confirmée en 1996 par la FMCQ, qui la nomme un an plus tard directrice de cours de soins avancés en réanimation cardiovasculaire (SARC). Cette nomination est rapportée dans Le Journal de l’OIIQ de novembre/décembre 1997: «Hélène Quevillon est la première infirmière reconnue directrice de cours en ACLS par la Fondation des maladies du cœur du Québec. Elle est donc autorisée à donner ce cours sans la présence d’un médecin.» Jusqu’en 2005, la professionnelle va accumuler les attestations de la FMCQ: maître-instructrice en SARC, en soins avancés de réanimation pédiatrique (SARP, ou PALS en anglais pour Pediatric Advanced Life Support), en défibrillation externe automatique (DEA), en premiers soins. Elle devient aussi instructrice en réanimation néonatale (PRN), en soins avancés liés aux matières dangereuses toxico-environnemental (AHLS, pour Advanced Hazmat Life Support) et en soins d’urgence gériatrique (GEMS, pour Geriatric Education for Emergency Medical Services). Incontournable dans le milieu Hélène Quevillon se targuait ainsi sur son site web d’avoir été «la première personne au Canada à obtenir l’ensemble des qualifications en techniques de réanimation cardiorespiratoire». Un instructeur qui a collaboré avec l’infirmière dans ses années fastes se souvient qu’elle était «vraiment incontournable dans le milieu de la réanimation. Elle faisait affaire avec des CLSC et des hôpitaux aux quatre coins de la province. Elle a aussi enseigné en Suisse», témoigne-t-il sous couvert d’anonymat. Son étoile va commencer à pâlir à partir de 2017, après la fusion administrative de la Fondation des maladies du cœur du Québec avec celle du Canada, devenues la Fondation Coeur + AVC. «Elle n’était pas à l’aise avec les communications en anglais. Elle se plaignait que les lignes directrices et les manuels de formation tardaient à être traduits en français. Elle était très revendicative», témoigne une source à l’interne qui ajoute qu’Hélène Quevillon «s’est fait des ennemis au sein de l’organisation». Différend ad hominem L’instructrice s’est notamment retrouvée sous la supervision d’un nouveau directeur des programmes de réanimation de la Fondation pour le Québec, Salim Grim, nommé en février 2019. Six ans auparavant, elle avait eu des démêlés avec cet homme alors qu’il participait à un de ses cours ACLS. Dans des documents transmis à ProfessionSanté.ca par Hélène Quevillon afin de relater «(son) histoire avec la Fondation», on découvre dans plusieurs courriels qu’elle a adressés à des dirigeants de Cœur + AVC que son différend avec Salim Grim repose au départ sur des considérations ethniques. Elle lui reproche notamment son attitude avec les femmes en général, et envers elle, en particulier, lors de la formation que l’infirmière lui a donnée en 2013. On apprend également que leur contentieux s’est ensuite réglé devant la Commission des droits de la personne et que l’homme «a gagné». Mme Quevillon avait même mené une enquête sur M. Grim dans le but de dissuader la Fondation de procéder à sa nomination comme directeur des programmes de réanimation. Elle contestait la validité de sa formation en médecine, certaines de ses expériences professionnelles, n’hésitant pas à le qualifier «d’escroc». Après son entrée en fonction, elle a continué à critiquer son nouveau superviseur, estimant entre autres qu’il causait du tort à la Fondation. Dans un courriel envoyé le 18 mai 2023 à la nouvelle présidente de la Fondation, Maggie Fox, l’infirmière prétend ainsi que sous son «règne (…), 300 à 500 instructeurs et maîtres-instructeurs ont démissionné» en raison de son «intransigeance» et de sa «sévérité» qui, selon elle, n’avaient pas lieu d’être. Sa bataille va finalement s’avérer vaine et Hélène Quevillon, qui s’autoproclame «lanceuse d’alerte», est convaincue que son action a conduit Cœur + AVC à la décertifier de ses titres de maître-instructrice RCR-DEA, ACLS, PALS et Premiers Soins en 2021. Lire aussi: Une formatrice en soins de réanimation soupçonnée de faillite frauduleuse Avant d’avoir accès à ces documents, ProfessionSanté.ca avait contacté et sollicité à plusieurs reprises la Fondation pour connaître les raisons de la décertification de Mme Quevillon. Sa responsable des communications pour le Québec, Maryse Bégin, et son homologue pour le Canada, Stephanie Lawrence, ont refusé de nous répondre au motif que l’instructrice n’était plus certifiée par Cœur + AVC depuis deux ans. Dérogation aux normes et standards Ces raisons se trouvent néanmoins dans un courriel figurant parmi les documents que nous a transmis l’infirmière. Il lui a été envoyé le 13 octobre 2020 par l’ancien coordinateur des programmes de réanimation de la Fondation pour le Québec, Andrew Lawee, à la suite d’une discussion qu’il avait eue avec elle. Il lui reproche notamment de faire «la promotion des formations certifiées Cœur + AVC, mais avec des plans de cours qui ne correspondent pas à nos formations». Il l’accuse aussi d’avoir enseigné «28 formations SARC et SARP avec moins de trois participants. (…) Il n’est pas possible d’offrir ces formations à moins de trois personnes, car il y a une dynamique d’apprentissage et d’enseignement à respecter», insiste le coordinateur en ajoutant qu’il «est important d’avoir assez de participants pour faire les activités comme la dynamique d’équipe, les mégacodes et les évaluations pratiques». Notre source à l’interne citée précédemment nous indique également que, durant la pandémie, Mme Quevillon aurait donné des formations RCR-DEA en ligne, puis qu’elle aurait certifié ses élèves sans qu’ils accomplissent la partie pratique du programme. Des allégations qui n’ont finalement pas été prouvées. Quoi qu’il en soit, elle a été déchue de tous ses titres par la Fondation le 10 mars 2021. Pour poursuivre ses activités, l’infirmière s’est alors tournée vers un instructeur reconnu par Coeur + AVC avec qui elle s’était liée d’amitié lorsqu’elle était sa maître-instructrice, Stéphane Delisle. Il a accepté de l’aider en animant les formations PALS que Mme Quevillon organisait pour des médecins et des résidents en médecine familiale, mais celui-ci a fini par se raviser au printemps 2022. «Je ne voulais plus être associée à elle. La qualité de ses prestations se dégradait. Je craignais de perdre mes titres d’instructeur», explique-t-il en entrevue avec ProfessionSanté.ca, soulignant qu’il avait «levé le drapeau auprès de la Fondation, comme d’autres collègues». Manuel passé date L’instructeur signale que l’infirmière fournissait à ses élèves du matériel pédagogique qui n’était plus à jour. Une résidente qui devait suivre une formation programmée en mai 2022 par Mme Quevillon a ainsi reçu un manuel PALS édité par Cœur + AVC en 2016. Il s’agissait d’un livre usagé qui n’était pas accompagné du feuillet résumant les faits saillants des nouvelles lignes directrices établies en 2020 relatives à la réanimation cardiorespiratoire et aux soins d’urgence cardiovasculaire. Ce feuillet était disponible sur le site web de la Fondation à l’été 2021 et il devait être joint à l’ancienne édition en attendant la mise à jour du manuel PALS. Parmi les nombreuses questions que ProfessionSanté.ca lui a posées par écrit, Mme Quevillon n’a souhaité répondre qu’à celle concernant ce manuel. «La Fondation prend du temps pour le PALS pour les mettre à date (sic). On commande et [ils] nous envoient ce qu’ils ont», explique-t-elle par courriel. Cependant, le site web transactionnel de Cœur + AVC ne propose pas de manuels usagés. De son côté, la Fondation mentionne que «la version la plus récente de notre manuel du dispensateur de SARP [PALS, NDLR] a été imprimée en septembre 2022, mais n’a été disponible à l’achat qu’en novembre 2022». Sa responsable des communications nationales, Stephanie Lawrence, précise que «n’importe qui peut acheter ce manuel sur notre Magasin du cœur en ligne, ou auprès de tout autre libraire qui choisit de se le procurer et de le revendre». À la question de savoir si un formateur peut fournir à ses élèves un manuel SARP ou PALS usagé qui n’est plus à jour, elle répond: «Oui, s’ils le souhaitent et que l’étudiant choisit de l’acheter. Si cela se produit, il s’agirait d’une interaction entre un instructeur et un étudiant, et non régie par Cœur + AVC.» Mme Lawrence tient également à rappeler que «les instructeurs certifiés par Cœur + AVC sont des travailleurs autonomes et ils ne sont pas des employés ou des sous-traitants de la Fondation». «La responsabilité de la Société de sauvetage est engagée» Malgré ses antécédents avec la Fondation Coeur + AVC, Hélène Quevillon a obtenu l’an dernier une nouvelle certification, cette fois auprès de la Société de sauvetage du Québec, en tant que monitrice RCR-DEA pour les fournisseurs de soins de santé. «Ce n’est pas rassurant qu’elle ait pu ravoir des titres. La formation en réanimation, c’est un très petit milieu. Ça se savait. La Société de sauvetage aurait dû en tenir compte», considère Stéphane Delisle, qui questionne le contrôle de qualité de l’organisme québécois. Un autre instructeur certifié par Cœur + AVC estime quant à lui, sous couvert d’anonymat, que «la Société de sauvetage a une imputabilité. Ça engage leur responsabilité éthique». Son directeur général, Raynald Hawkins, a indiqué lors d’une première entrevue avec ProfessionSanté.ca que la candidature d’Hélène Quevillon a suivi la procédure usuelle de reconnaissance des acquis imposée à tous les moniteurs qui veulent être reconnus par la Société de Sauvetage. Pour ce faire, «ils doivent être agréés par la Fondation Coeur + AVC, la Croix rouge canadienne, les Ambulances Saint-Jean ou la CNESST (Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail)», explique-t-il. Ils rencontrent ensuite un formateur de la Société de sauvetage qui, pendant quatre heures, valide les compétences de la personne en revoyant avec elle les contenus du programme visé. Concernant Mme Quevillon, le directeur général signifie qu’elle a fourni une copie de sa certification Coeur + AVC. Or, celle-ci n’était plus valide, comme en témoignent les documents transmis par l’intéressée. Raynald Hawkins se défend en expliquant qu’en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels, «on ne peut pas confirmer auprès des organismes formateurs que les gens sont bien certifiés. S’il y a des antécédents, on ne peut pas les corroborer non plus. On n’est pas à l’abri de situation comme celle-là», ajoute-t-il en évoquant le cas de l’infirmière. Devant les faits rapportés par ProfessionSanté.ca au sujet des démêlés de Mme Quevillon avec la Fondation Coeur + AVC, Raynald Hawkins déclare qu’«on va lancer une enquête interne». À propos des soupçons de faillite frauduleuse qui pèsent sur elle, qu’il ignorait, il convient que «si on avait su qu’elle avait déclaré faillite, on aurait fait une enquête plus approfondie». Durant une seconde entrevue, quatre jours après la première, le DG de la Société de sauvetage rapporte que «Mme Quevillon n’a pas donné beaucoup de cours» depuis sa reconnaissance comme monitrice RCR-DEA fin janvier 2022 et que «tout semble en règle. Nous n’avons pas eu de plaintes». S’agissant de la certification non valide de Coeur + AVC qu’elle a présentée, il semble considérer que ce n’est pas tant un enjeu en expliquant que des personnes peuvent ne pas avoir renouvelé leur certification pour des raisons personnelles et que la procédure de reconnaissance des acquis sert à valider leurs compétences plus que leur titre. «De par ses formations antécédentes, Mme Quevillon avait toutes les compétences requises pour former des gens en réanimation cardiaque», ajoute Raynald Hawkins. Ceci dit, le directeur général nous informe qu’il va mettre en place un nouveau processus pour renforcer le contrôle des formateurs certifiés. «Quand les gens vont s’inscrire pour demander une équivalence, ils vont devoir nous donner l’autorisation de valider leurs antécédents auprès des organismes certificateurs». Quant à Hélène Quevillon, «elle est sous surveillance», annonce-t-il.

De sérieux doutes sur la rigueur d’Hélène Quevillon et sa nouvelle certification

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