De plus en plus de médecins démissionnent: que se passe-t-il?

Personne ne peut vraiment comprendre la souffrance des autres s’il ne la vit pas lui-même. On peut compatir ou faire semblant de comprendre la souffrance, mais au bout du compte, celui qui souffre souffrira seul et les autres rentreront chez eux se reposer et s’amuser. Une de mes patientes m’a demandé si je pouvais accepter son amie comme patiente parce que son médecin démissionne. J’ai été choqué quand elle m’a donné le nom de l’omnipraticienne en question, car c’est une amie. Je l’ai appelée en fin de journée en espérant pouvoir l’aider à la convaincre de rester. - «Ce que j’ai entendu était-il vrai? Que vous démissionnez?» - «Oui» - «À part ce dont nous souffrons tous et ce contre quoi nous luttons, quelque chose de spécifique?» - «Pas du tout, mais je n’en peux plus.» - «Qu’est-ce que vous ne supportez plus, exactement?» - «Les exigences croissantes des patients, le surmenage, les faibles revenus, les frais généraux, la mauvaise communication des autres médecins et le fardeau que cela ajoute, les formulaires, et… Vous connaissez tout ça, alors pourquoi vous demandez?» - «Y a-t-il quelque chose que je puisse faire pour vous aider?» - «Oui, vous pouvez prendre tous mes patients ou trouver un médecin pour les prendre.» - «Vous avez essayé de trouver quelqu’un?» - «J’essaie depuis quelques mois. Personne ne veut plus faire de médecine familiale.» - «Qu'allez-vous faire?» - «Je vais faire comme les nouveaux diplômés: des suppléances ou des remplacements ici et là, sans engagement.» Nous avons bavardé un moment et je lui ai souhaité bonne chance pour trouver quelqu’un. Lire aussi: Abandonner la pratique en première ligne? Un omnipraticien sur deux y pense Il y a quelques semaines, je discutais avec un homme dont la femme est médecin de famille. Il m’a dit qu’elle allait bientôt quitter son cabinet. - «Pourquoi?», lui ai-je demandé. - «Elle répond qu’elle n’en est plus capable.» - «Que va-t-elle faire alors?» - «Elle a dit qu’elle ferait des remplacements ou des consultations sans rendez-vous.» Non, sa femme n’est pas mon amie avec qui j’ai discuté plus tôt. Un de mes patients, secrétaire dans un centre médical pour quatre médecins, m’a informé la semaine dernière que deux des cliniciens avaient démissionné et déménagé, l’un dans une autre province et l’autre aux États-Unis. «Je n’en peux plus» OK. Que se passe-t-il? Quelqu’un le sait-il? Quelqu’un veut-il le savoir? Où vont aller les 4000 patients de ces médecins? Ce n’est peut-être que dans mon petit cercle, mais combien de médecins démissionnent dans le monde? Si ce n’est pas une crise, alors qu’est-ce que c’est? Y a-t-il encore un doute sur le fait que la médecine familiale est en voie d’extinction? Quand les décideurs vont-ils se réveiller de leur torpeur? Pensent-ils vraiment que le système de santé peut fonctionner sans les omnipraticiens? Il semble que les médecins de famille démissionnent aujourd’hui plus que jamais, alors pourquoi? Eh bien, les médecins de famille démissionnent parce qu’ils «n’en peuvent plus». C’est réel, alarmant et terrible. Ils se mettent en grève, mais de façon permanente. Lire aussi: Qu'est-ce qui fait souffrir les médecins? Personne ne comprend Personne ne connaît, ou n’imagine, le stress et la pression subis par les médecins de famille. Même les autres spécialistes n’ont pas forcément conscience de ce qui arrive à leurs collègues en première ligne. Si tel est le cas, comment pouvons-nous espérer que le public ou les décideurs le sachent? Un spécialiste m’a appelé pour me demander s’il était possible de faire une visite à domicile cette semaine pour un patient commun. «Je suis désolé, docteur, je ne fais pas de visites à domicile de cette façon. Je les programme des semaines à l’avance et seulement pour les personnes de plus de 65 ans qui ne peuvent pas vraiment venir à la clinique», lui ai-je répondu. Il n’était pas content et m’a demandé avec agacement pourquoi. - «J’ai un emploi du temps chargé tous les jours et je ne peux pas faire de visites à domicile après 18 heures, car je serais épuisé.» - «J’ai dit au patient que je vous demanderais de faire une visite à domicile cette semaine en pensant que vous seriez d’accord avec cela.» - «Je suis désolé, docteur, je ne suis pas d’accord avec ça.» - «Et alors?», m’a-t-il demandé d’un ton surpris et en colère. - «Je suis désolé, je ne peux pas. Je suis très occupé et, comme vous, j’ai aussi une famille, mais n’hésitez pas à faire vous-même cette visite. Elle l’apprécierait vraiment.» Il a mis fin à l’appel dans un profond soupir. Lire aussi: Les omnipraticiens ont vraiment besoin de l'aide des médecins Le lendemain, la patiente m’a appelé pour me demander pourquoi j’avais refusé de lui rendre visite à domicile. Et aussi, si j’avais légalement le droit de refuser de faire cette visite à domicile? (Peut-être mon collègue avait-il inséré quelques idées dans son esprit.) Certains cabinets de spécialistes ne suivent pas toujours les directives de l’Ordre des médecins et chirurgiens de l’Ontario en appelant les patients pour leur demander des détails sur leurs rendez-vous. Certains collègues refusent de remplir le moindre formulaire pour leurs patients, même s’ils les ont vus à de nombreuses reprises, ont facturé des centaines de dollars pour leurs visites et leur ont demandé d’apporter leurs formulaires à leur médecin de famille. Je ne me plains pas. J’exprime ce que je vois, ce que j’entends et ce que je vis — ce qui se passe ici et maintenant. Si nos collègues ne savent pas ce que nous vivons, les autres ne le sauront pas. Les gens s’en fichent et les décideurs s’en fichent aussi. Ils pensent tous que nous allons continuer à travailler — jusqu’à ce qu’un jour le terrain se vide de médecins de famille. Il sera alors trop tard pour regretter, car la situation sera irrémédiablement devenue irréparable. Une chose que je peux dire et dont je suis sûr: le système de santé ne fonctionnera pas sans les omnipraticiens. J’espère qu’un jour, tout le monde sera au courant de ce qui se passe. Le Dr Jabir Jassam est médecin de famille à Ottawa.

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